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SOIREES ENVIRONNEMENT
Vendredi 7 Octobre 18h30
Halte au gaz de schiste !
En partenariat avec : Le Collectif Urgence Climatique Martigues, le Café Citoyen de Provence, Les AMAP de Martigues, Les Amis de la Terre, le Collectif 13 Stop Gaz de Schistes,les Maisons de Quartier J Pistoun et E Cotton...
Avec le soutien de la Ville de Martigues
Soirée animée par :Avec le soutien de la Ville de Martigues
Michel GAIRAUD rédacteur en chef du RAVI
Joseph Fox
USA, 2011, 1h47
Festival Sundance : Prix Spécial de Jury
Oscars : Nomination Meilleur Documentaire
Les plus importantes recherches de gisements de gaz naturel sont en ce moment entreprises à travers tous les États-Unis. La société Halliburton a développé une technologie de forage, la fracturation hydraulique, qui va permettre aux États-Unis de devenir « l’Arabie Saoudite du gaz naturel ». Mais cette technique est-elle sans danger ? Lorsque le cinéaste Josh Fox reçoit une lettre l’invitant à louer ses terres pour y faire un forage, il va sillonner le pays et découvrir en chemin des secrets bien gardés, des mensonges et des toxines…
Alors qu’il est question en France d’introduire cette « technologie », un tel documentaire fait œuvre d’utilité publique. Par un retour d’expérience que l’on ne souhaiterait jamais connaître, Gasland témoigne du prix beaucoup trop élevé à payer pour une hypothétique indépendance énergétique visée par l’exploitation de ce gaz, outre l’existence des alternatives renouvelables.
Gasland montre avec force une réalité dont on a peine à croire qu’elle n’est pas fiction tant elle glace le sang. Lorsqu’il devient possible avec un briquet de mettre le feu à son eau du robinet chargée de méthane, les limites du rationnel sont bel et bien franchies.
Tarif Unique Débat/Collation/Film: 7 euros
Alors qu’il est question en France d’introduire cette « technologie », un tel documentaire fait œuvre d’utilité publique. Par un retour d’expérience que l’on ne souhaiterait jamais connaître, Gasland témoigne du prix beaucoup trop élevé à payer pour une hypothétique indépendance énergétique visée par l’exploitation de ce gaz, outre l’existence des alternatives renouvelables.
Gasland montre avec force une réalité dont on a peine à croire qu’elle n’est pas fiction tant elle glace le sang. Lorsqu’il devient possible avec un briquet de mettre le feu à son eau du robinet chargée de méthane, les limites du rationnel sont bel et bien franchies.
Tarif Unique Débat/Collation/Film: 7 euros
Mardi 8 Novembre 20h30
Dans l’abîme du futur nucléaire !
En partenariat avec : Le Café Citoyen, Urgence Climatique, Les AMAP.
Soirée animée par :
Michel Gairaud rédacteur en chef du RAVISoirée animée par :
Into Eternity
Michael Madsen
Suede, Finlande, 2011, 1h15
Grand Prix du Festival du Film d’Environnement
Grand Prix du Festival Vision du Réel
En Finlande, le projet Onkalo (caverne en finnois) prévoit l'enfouissement de déchets nucléaires au fond de kilomètres de tunnel creusés dans le granit, jusqu'à 500 mètres sous la surface de la planète. Là, les matières radioactives attendront mille siècles avant que l'on puisse les approcher sans danger.
Sur ce défi jeté au temps, le documentariste danois Michael Madsen jette un regard curieux, teinté d'humour froid. La solution d'Onkalo est présentée comme la plus sûre, plus que le retraitement plus que l'hypothèse qui revient souvent dans les discussions de comptoir d'expédier les déchets jusqu'au soleil ("et si le lanceur s'écrase ?" demande un des intervenants).
Mais elle pose des questions qui repoussent les limites de l'entendement. Comment - par exemple - communiquer avec les humains qui vivront sur Terre dans 100 000 ans ? Il suffit de s'imaginer ce que pourrait être une conversation avec un homme de Neandertal pour appréhender l'ampleur de la difficulté.
Depuis le 11 mars et l'engloutissement éphémère des réacteurs de Fukushima, cet essai intelligent et spirituel a pris un caractère d'urgence.
lecture-rencontre à 19h00 / buffet / projection à 21h (entrée libre, participation au buffet de 3 €)
Sur ce défi jeté au temps, le documentariste danois Michael Madsen jette un regard curieux, teinté d'humour froid. La solution d'Onkalo est présentée comme la plus sûre, plus que le retraitement plus que l'hypothèse qui revient souvent dans les discussions de comptoir d'expédier les déchets jusqu'au soleil ("et si le lanceur s'écrase ?" demande un des intervenants).
Mais elle pose des questions qui repoussent les limites de l'entendement. Comment - par exemple - communiquer avec les humains qui vivront sur Terre dans 100 000 ans ? Il suffit de s'imaginer ce que pourrait être une conversation avec un homme de Neandertal pour appréhender l'ampleur de la difficulté.
Depuis le 11 mars et l'engloutissement éphémère des réacteurs de Fukushima, cet essai intelligent et spirituel a pris un caractère d'urgence.
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PAGE BLANCHE / ECRAN NOIR
Mardi 18 Octobre 19h00
Carte Banche à Florence PAZZOTTU
La place du sujet
Mardi 18 Octobre 19h00
Carte Banche à Florence PAZZOTTU
La place du sujet
lecture, projection et rencontre
avec Florence Pazzottu
avec Florence Pazzottu
Une Initiative : AUTRES ET PAREILS et Cinéma Jean Renoir en partenariat avec : La MJC de Martigues et la librairie L’Alinea
Présentation : Olivier Domerg
Présentation : Olivier Domerg
lecture-rencontre à 19h00 / buffet / projection à 21h (entrée libre, participation au buffet de 3 €)
La place du sujet est à la fois un livre de Florence Pazzottu et de Giney Ayme publié par les éditions l’Amourier en 2007 et un documentaire de Florence Pazzottu réalisé en 2011. Sans être réductible l’un à l’autre, livre et film parlent du Panier, à Marseille, et depuis ce quartier.
La Place du Sujet. Un film de Florence Pazzottu.
Avec Alain Badiou, Son Woul Woun, Lucia Principe, Nicolo Manzolini, Yaya, Élise Touanen.
Tourné dans le centre historique de Marseille en pleine mutation, ce Panier au fort caractère mais qui, administrativement, n'existe pas, ce film interroge ce que signifie habiter (son quartier, sa ville, sa langue). Travaillé par « l'abrupt du réel », par les résonances poétiques et politiques du mot « habitation », entre exil et demeure, rénovation et expulsion, La place du sujet tisse une parole plurielle qui invite à lutter contre « la corruption de la langue par l'identité » et — comme le dit aussi dans ce film le philosophe Alain Badiou — à faire l'expérience de sa propre étrangeté.
Poète et artiste, Florence Pazzottu est née à Marseille, où elle vit actuellement. Elle a fondé à Paris la revue Petite (1995-2005) avec Christiane Veschambre et est membre du comité de rédaction d'Action poétique. Elle participe régulièrement à des lectures et festivals de poésie en France et à l’étranger. Son récit, La tête de l'Homme, a été créé au théâtre par François Rodinson à la Manufacture (CDN) de Nancy en 2009 et repris à la Maison de la poésie à Paris en 2010. Il sera recréé dans une mise en scène de l'auteur et joué les 10, 11 et 12 novembre 2011 dans le cadre des « Rencontres à l'échelle » aux Bancs publics à Marseille. En 2010-2011, elle a réalisé deux films : un documentaire, la Place du sujet et un poème-vidéo, Autrement dit en cours d'achèvement. Florence Pazzottu publie principalement aux éditions Flammarion.
La Place du Sujet. Un film de Florence Pazzottu.
Avec Alain Badiou, Son Woul Woun, Lucia Principe, Nicolo Manzolini, Yaya, Élise Touanen.
Tourné dans le centre historique de Marseille en pleine mutation, ce Panier au fort caractère mais qui, administrativement, n'existe pas, ce film interroge ce que signifie habiter (son quartier, sa ville, sa langue). Travaillé par « l'abrupt du réel », par les résonances poétiques et politiques du mot « habitation », entre exil et demeure, rénovation et expulsion, La place du sujet tisse une parole plurielle qui invite à lutter contre « la corruption de la langue par l'identité » et — comme le dit aussi dans ce film le philosophe Alain Badiou — à faire l'expérience de sa propre étrangeté.
Poète et artiste, Florence Pazzottu est née à Marseille, où elle vit actuellement. Elle a fondé à Paris la revue Petite (1995-2005) avec Christiane Veschambre et est membre du comité de rédaction d'Action poétique. Elle participe régulièrement à des lectures et festivals de poésie en France et à l’étranger. Son récit, La tête de l'Homme, a été créé au théâtre par François Rodinson à la Manufacture (CDN) de Nancy en 2009 et repris à la Maison de la poésie à Paris en 2010. Il sera recréé dans une mise en scène de l'auteur et joué les 10, 11 et 12 novembre 2011 dans le cadre des « Rencontres à l'échelle » aux Bancs publics à Marseille. En 2010-2011, elle a réalisé deux films : un documentaire, la Place du sujet et un poème-vidéo, Autrement dit en cours d'achèvement. Florence Pazzottu publie principalement aux éditions Flammarion.
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«Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon / Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse.» On pense souvent à l’ondulation rêveuse, crépusculaire et grandiose de Baudelaire dans ses Fleurs du Mal en s’enfonçant dans les galeries de la maison close l’Apollonide. Même sentiment d’élasticité du temps, d’apesanteur fardée et de mélancolie asphyxiante. «Ce n’est pas sans raison que Baudelaire a associé l’obsession de l’esclavage érotique et l’illumination spiritualisée, incluant le baiser, le parfum et la conversation dans la même notion d’immortalité», écrit Théodore Adorno sur le poète spleenétique. La «putain», la «femme entretenue» est livrée sans réserve au commerce légal de la prostitution dans les lourds taffetas de la maison de tolérance, mais son corps hygiénique est scellé sur un mystère qui ne se laisse pas même deviner. Si bien que les salons et les chambres de l’Apollonide sont comme les cryptes mystiques d’une révélation qui ne veut pas venir. Partout sur les murs dansent les ombres gigantesques des allégories morales, le Remords, la Colère et l’Ennui. Le temps ne s’écoule plus, il stagne, lac noir aux vaguelettes répétitives, c’est l’éternel présent du plaisir tarifé. Les nuits sont identiques, il faut se préparer, bien se laver, faire tapisserie puis ouvrir les cuisses, feindre la jouissance et finalement se frotter les lèvres à l’eau de Cologne.
Coulissantes. La maison est immense, c’est le château de Barbe-Bleue aux multiples cachots ; la maison est minuscule, une enfant détraquée y a entassé les poupées par dizaine. «Je suis fatiguée, je pourrais dormir mille ans», dit l’une des filles de l’Apollonide dès la première séquence. Dormir, ne plus se réveiller, échapper à ce destin de créature sacrifiée. Car la prostituée fin de siècle est pour le client, grand bourgeois, industriel richissime, la promesse d’une évasion hors des contraintes de sa classe, mais pour cela il lui faut encore recourir à l’exploitation. De même qu’il use et abuse de la force de travail d’une main-d’œuvre sous-payée, son temps libre il lui faut l’abolir dans l’ivresse du champagne et du coït extraconjugal.
Le film s’organise en série de scènes coulissantes et néanmoins disjointes. Tout advient ici sous la forme d’une épiphanie éphémère, chaque passe est à la fois un recommencement et une dépossession : le charme, la fête, la gaieté adviennent, brillent mais sont aussitôt corrompus. L’angoisse et le deuil bordurent les jeux, les rires, les étreintes. Apollonide ou souvenirs de la maison des morts. Où sommes-nous ? La ville bat aux portes du film sans faire de bruit, on ne la verra jamais, tout le récit est intériorisé et les déambulations des filles aux bras des clients ressemblent à s’y méprendre à un bal de spectres aux confins luxueux de quelques limbes pourpres ou verts.
Le luxe d’apparat de la maison, les beaux habits des putains masquent leur origine sociale. Une fausse égalité règne dans les échanges entre les hommes et les femmes et le libertinage n’est déjà plus qu’un simulacre de jouissance sans entrave. La condamnation bourgeoise de l’amour vénal se superpose à un désir insatiable de possession. Le film s’ouvre sur un geste atroce de défiguration (le visage de Madeleine, interprétée par la révélation Alice Barnole) qui crée un choc si violent que tout ce qui suit se déploie dans l’engourdissement du traumatisme. Un climat de décadence emporte la dernière partie, avec ses filles écroulées à même le sol, fumant l’opium, lisant les pages humiliantes d’un traité scientifique qui les traite de sous-humaines à l’idiotie congénitale, ou encore avec la victime de la syphilis, dont le corps se couvre de chancres avant de crever loin des hommes, horrifiés par la perspective d’être contaminés.
Découvert en 1997 avec Quelque chose d’organique, suivi par le Pornographe, Tiresia, De la guerre, Bertrand Bonello, né en 1968, a longtemps fait figure d’outsider élégant. L’Apollonide est un accomplissement. L’esthète, l’érotomane, le moderniste ont fini par trouver dans la maison de tolérance le laboratoire idéal pour parachever la synthèse bouleversante de leurs obsessions respectives. Il s’agit aussi de son film le plus asiatique, entre le rituel japonais du Mizoguchi de la Rue de la honte et l’entropie chinoise des querelles de courtisane du Hou Hsiao-hsien de Fleurs de Shanghai.
Le cinéaste n’a jamais été aussi libre, aussi concentré, sa virtuosité discrète explose. Il n’est plus possible de faire la part entre ce qui relève de l’accident dont la caméra baladeuse se saisit et ce qui participe de l’extrême sophistication d’une mise en scène qui ne laisse rien au hasard. Bonello ose tout : la peau des filles, une panthère sur canapé, le tintement du cristal, une baignoire de champagne, une bouche barbouillée de sang et des larmes de sperme, Michaux et les Moody Blues, le split-screen, une langue léchant le sol, l’ensemble parfondu, malaxé comme une pâte d’opium qu’on roule dans la bouche jusqu’à l’orgasme lent de la mémoire désintégrée. Chef-d’œuvre! Didier Peron
Roméo et Juliette s’aimèrent et eurent un enfant, Adam, qui tomba malade. D’une caméra frôlante et pudique, Valérie Donzelli livre un conte sur la douleur des parents sous forme d’art poétique cinématographique et de déclaration de guerre au désespoir mou, et d’amour à la création. Espérons qu’après avoir fait les belles heures de la Semaine de la Critique et du festival Paris Cinéma, La guerre est déclarée obtienne le succès en salle qu’il mérite amplement.
On a assez reproché au cinéma français de se regarder le nombril avec trop d’insistance pour apprécier le véritable dynamitage que constitue La guerre est déclarée. L’autobiographie comporte en elle-même le germe de la digression, et constitue peut-être le genre le plus adapté à l’explosion d’un intimisme parfois trop fade, et à l’enchaînement des tentatives à l’écran. La première humilité, peut-être, le premier talent, sans doute, de Valérie Donzelli est celui de raconter un épisode douloureux de son existence sans considérer que ce dernier soit en lui-même un objet cinématographique. L’autobiographie n’a pas de valeur parce qu’elle dévoile l’intimité, mais parce qu’elle transcende cette intimité en regard, et, par là-même, au cinéma, peut se métamorphoser en une forme d’art poétique, une sorte de manifeste personnel, sans nombrilisme aucun.
On retrouve dans le deuxième film de la réalisatrice de La Reine des pommes les mêmes aspects de prime abord : un couple (Valérie Donzelli elle-même et Jérémie Elkaïm), et un côté bricolé dont la sympathie se transforme ici en mystère parfois fort déroutant que son premier film contenait déjà, n’en déplaise aux ayatollahs de la critique prompts à s’emparer des maladresses d’un premier film. Force est de constater cependant que l’aspect ludique cinématographique est bien davantage pensé et développé dans La guerre est déclarée : la photographie est bien davantage soignée, et l’on retrouve toujours l’association des références, notamment celles, évidentes, à Truffaut (les iris, la voix off, l’utilisation à contre-temps de Vivaldi) et à Demy (le jeu sur la frontière entre le parlé et le chanté). Mais elles deviennent plus légères, paraissent parfois presque inconscientes, ou mieux appréhendées.
C’est surtout dans la construction et la capacité à ébaucher des enchevêtrements de tons, de rythmes et de genres sans que ces variations ne paraissent forcées ou surplombantes que Valérie Donzelli surprend. Le premier principe qui préside au développement de la narration est la rupture : les plans ne sont jamais là où on les attend, l’humour non plus. L’essence et la réussite d’une tragi-comédie résident probablement dans sa précision : La guerre est déclarée offre tout autant de moments de pointillisme comique au travers d’un titre de journal, d’une chanson de Jacqueline Taïeb ou d’une expression maladroite, que d’envolées pures et simples. Car la légèreté n’est ni un faux semblant qui renierait l’importance d’un récit ou sa profondeur, ni une pose, mais justement un regard.
De détournements en détournements, d’asymétries en asymétries, Valérie Donzelli réussit à créer une dramaturgie naturelle qu’est celle du kaléidoscope logique sans systématisme : ne reculant devant aucune scène pouvant prêter aux explosions d’émotion factice surlignée — comme celle, surprenante, de la révélation de la maladie d’Adam, Valérie Donzelli passe son film à tenter, à oser les coupures, les ruptures, les moments de saturation visuelle et sonore, les passages volontairement écrits, les scènes courtes qui font mouche et celles où elle s’attarde un peu plus, laissant coexister une liberté certaine qui n’affiche pas d’obsession de la maîtrise, et un sens évident d’architecte et de conteuse. Si l’on peut considérer que La Reine des pommes était, peut-être faute de moyens, un premier essai parfois bancal, La guerre est déclarée en est clairement la transformation.
Ariane Beauvillard
Coulissantes. La maison est immense, c’est le château de Barbe-Bleue aux multiples cachots ; la maison est minuscule, une enfant détraquée y a entassé les poupées par dizaine. «Je suis fatiguée, je pourrais dormir mille ans», dit l’une des filles de l’Apollonide dès la première séquence. Dormir, ne plus se réveiller, échapper à ce destin de créature sacrifiée. Car la prostituée fin de siècle est pour le client, grand bourgeois, industriel richissime, la promesse d’une évasion hors des contraintes de sa classe, mais pour cela il lui faut encore recourir à l’exploitation. De même qu’il use et abuse de la force de travail d’une main-d’œuvre sous-payée, son temps libre il lui faut l’abolir dans l’ivresse du champagne et du coït extraconjugal.
Le film s’organise en série de scènes coulissantes et néanmoins disjointes. Tout advient ici sous la forme d’une épiphanie éphémère, chaque passe est à la fois un recommencement et une dépossession : le charme, la fête, la gaieté adviennent, brillent mais sont aussitôt corrompus. L’angoisse et le deuil bordurent les jeux, les rires, les étreintes. Apollonide ou souvenirs de la maison des morts. Où sommes-nous ? La ville bat aux portes du film sans faire de bruit, on ne la verra jamais, tout le récit est intériorisé et les déambulations des filles aux bras des clients ressemblent à s’y méprendre à un bal de spectres aux confins luxueux de quelques limbes pourpres ou verts.
Le luxe d’apparat de la maison, les beaux habits des putains masquent leur origine sociale. Une fausse égalité règne dans les échanges entre les hommes et les femmes et le libertinage n’est déjà plus qu’un simulacre de jouissance sans entrave. La condamnation bourgeoise de l’amour vénal se superpose à un désir insatiable de possession. Le film s’ouvre sur un geste atroce de défiguration (le visage de Madeleine, interprétée par la révélation Alice Barnole) qui crée un choc si violent que tout ce qui suit se déploie dans l’engourdissement du traumatisme. Un climat de décadence emporte la dernière partie, avec ses filles écroulées à même le sol, fumant l’opium, lisant les pages humiliantes d’un traité scientifique qui les traite de sous-humaines à l’idiotie congénitale, ou encore avec la victime de la syphilis, dont le corps se couvre de chancres avant de crever loin des hommes, horrifiés par la perspective d’être contaminés.
Découvert en 1997 avec Quelque chose d’organique, suivi par le Pornographe, Tiresia, De la guerre, Bertrand Bonello, né en 1968, a longtemps fait figure d’outsider élégant. L’Apollonide est un accomplissement. L’esthète, l’érotomane, le moderniste ont fini par trouver dans la maison de tolérance le laboratoire idéal pour parachever la synthèse bouleversante de leurs obsessions respectives. Il s’agit aussi de son film le plus asiatique, entre le rituel japonais du Mizoguchi de la Rue de la honte et l’entropie chinoise des querelles de courtisane du Hou Hsiao-hsien de Fleurs de Shanghai.
Le cinéaste n’a jamais été aussi libre, aussi concentré, sa virtuosité discrète explose. Il n’est plus possible de faire la part entre ce qui relève de l’accident dont la caméra baladeuse se saisit et ce qui participe de l’extrême sophistication d’une mise en scène qui ne laisse rien au hasard. Bonello ose tout : la peau des filles, une panthère sur canapé, le tintement du cristal, une baignoire de champagne, une bouche barbouillée de sang et des larmes de sperme, Michaux et les Moody Blues, le split-screen, une langue léchant le sol, l’ensemble parfondu, malaxé comme une pâte d’opium qu’on roule dans la bouche jusqu’à l’orgasme lent de la mémoire désintégrée. Chef-d’œuvre! Didier Peron
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Roméo et Juliette s’aimèrent et eurent un enfant, Adam, qui tomba malade. D’une caméra frôlante et pudique, Valérie Donzelli livre un conte sur la douleur des parents sous forme d’art poétique cinématographique et de déclaration de guerre au désespoir mou, et d’amour à la création. Espérons qu’après avoir fait les belles heures de la Semaine de la Critique et du festival Paris Cinéma, La guerre est déclarée obtienne le succès en salle qu’il mérite amplement.
On a assez reproché au cinéma français de se regarder le nombril avec trop d’insistance pour apprécier le véritable dynamitage que constitue La guerre est déclarée. L’autobiographie comporte en elle-même le germe de la digression, et constitue peut-être le genre le plus adapté à l’explosion d’un intimisme parfois trop fade, et à l’enchaînement des tentatives à l’écran. La première humilité, peut-être, le premier talent, sans doute, de Valérie Donzelli est celui de raconter un épisode douloureux de son existence sans considérer que ce dernier soit en lui-même un objet cinématographique. L’autobiographie n’a pas de valeur parce qu’elle dévoile l’intimité, mais parce qu’elle transcende cette intimité en regard, et, par là-même, au cinéma, peut se métamorphoser en une forme d’art poétique, une sorte de manifeste personnel, sans nombrilisme aucun.
On retrouve dans le deuxième film de la réalisatrice de La Reine des pommes les mêmes aspects de prime abord : un couple (Valérie Donzelli elle-même et Jérémie Elkaïm), et un côté bricolé dont la sympathie se transforme ici en mystère parfois fort déroutant que son premier film contenait déjà, n’en déplaise aux ayatollahs de la critique prompts à s’emparer des maladresses d’un premier film. Force est de constater cependant que l’aspect ludique cinématographique est bien davantage pensé et développé dans La guerre est déclarée : la photographie est bien davantage soignée, et l’on retrouve toujours l’association des références, notamment celles, évidentes, à Truffaut (les iris, la voix off, l’utilisation à contre-temps de Vivaldi) et à Demy (le jeu sur la frontière entre le parlé et le chanté). Mais elles deviennent plus légères, paraissent parfois presque inconscientes, ou mieux appréhendées.
C’est surtout dans la construction et la capacité à ébaucher des enchevêtrements de tons, de rythmes et de genres sans que ces variations ne paraissent forcées ou surplombantes que Valérie Donzelli surprend. Le premier principe qui préside au développement de la narration est la rupture : les plans ne sont jamais là où on les attend, l’humour non plus. L’essence et la réussite d’une tragi-comédie résident probablement dans sa précision : La guerre est déclarée offre tout autant de moments de pointillisme comique au travers d’un titre de journal, d’une chanson de Jacqueline Taïeb ou d’une expression maladroite, que d’envolées pures et simples. Car la légèreté n’est ni un faux semblant qui renierait l’importance d’un récit ou sa profondeur, ni une pose, mais justement un regard.
De détournements en détournements, d’asymétries en asymétries, Valérie Donzelli réussit à créer une dramaturgie naturelle qu’est celle du kaléidoscope logique sans systématisme : ne reculant devant aucune scène pouvant prêter aux explosions d’émotion factice surlignée — comme celle, surprenante, de la révélation de la maladie d’Adam, Valérie Donzelli passe son film à tenter, à oser les coupures, les ruptures, les moments de saturation visuelle et sonore, les passages volontairement écrits, les scènes courtes qui font mouche et celles où elle s’attarde un peu plus, laissant coexister une liberté certaine qui n’affiche pas d’obsession de la maîtrise, et un sens évident d’architecte et de conteuse. Si l’on peut considérer que La Reine des pommes était, peut-être faute de moyens, un premier essai parfois bancal, La guerre est déclarée en est clairement la transformation.
Ariane Beauvillard
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Le canevas est le suivant : que se passerait-il si le conclave choisissait pour pape un cardinal qui, au dernier moment, préférerait les joies simples de la vie à l’exercice terrorisant du pouvoir ? Ce serait la panique au Vatican. Ça le sera en effet, puisque le cardinal français nommé Melville (!), joué par Michel Piccoli (vous connaissez l’expression «monstre sacré» ? Elle se joue là, devant vous), une fois sa nomination annoncée, se tétanise devant la tâche, perd pied, perd mots, et s’évade comme un incapable, refuse d’assumer ses mauvaises notes et fugue un beau matin.
Habemus Papam commence comme un documentaire, avec des images prises, par d’autres, à Rome durant la longue période de funérailles de Jean Paul II. Mais à la façon dont la mise en scène embraye fissa en fiction, et à voir comment le réalisateur en profite pour égratigner la télé italienne, sbires des spectacles berlusconiens, imbéciles à micros incapables de distinguer la couleur d’une fumée et meublant leur ignorance en tout par un babil vidé de toute substance, on comprend que Habemus Papam renoue avec le Moretti de Palombella Rossa. Celui, fumasse, qui prenait le prétexte d’un match de water-polo pour dire la liquidation du communisme, et insultait déjà au passage une journaliste à coups de «Mais comment tu parles ?»
On a beaucoup vu, à Cannes, les images où des cardinaux jouent au volley-ball en soutane, des cartes postales felliniennes qui ne sont drôles qu’à l’intérieur du régime général du film, où il s’agit - comme dans Pater de Cavalier - de replacer l’homme de pouvoir là où est sa vérité : toujours un pied dehors de ses marques.
Le pape selon Moretti est un acteur, un névrosé, un sportif amateur, un imbécile au sens tragique du terme : un homme. Qui les vaut tous et que tous valent… Le schéma d’un dialogue d’attention mutuelle entre un Moretti psychanalyste et son sujet de pape Piccoli - récitant de tête la Mouette de Tchekhov mais incapable d’endosser la robe, donc le costume et le rôle qui lui est alloué - ne laisse entrevoir qu’une partie seulement du pouvoir de fascination que déploie le film : sa causticité passe-muraille.
La mise en scène, organisée comme celle d’un ballet, imprime quelque chose d’aérien, aussi bien dans les scènes tournées en studio (où furent reconstituées à l’identique certaines pièces du Vatican) que dans les plans magnifiques de Piccoli, visage collé à la vitre d’un bus roulant dans Rome la nuit et disant avec des yeux de gosse combien le monde extérieur est suffisamment beau, opaque, pour être joué en anonyme parmi les anonymes.
PHILIPPE AZOURY
Jean-François Rauger
Elle porte jogging rose et cheveux roux, et apparaît un soir pluvieux, sans sac, dans un petit hôtel du Havre ; déboussolée, ou plutôt animée par un champ magnétique propre, avec un air d’ailleurs. «Je m’appelle Fiona, je suis une fée.» Les présentations à Dom, veilleur de nuit, pour être incongrues, n’en sont pas moins rapides et efficaces ; la démonstration n’attend pas : Fiona accorde trois vœux à Dom. Lequel tombe éperdument amoureux.
Bouchon. Les précédents longs métrages de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy, l’Iceberg et Rumba, contaient les aventures de Dom et Fiona, alter ego fictifs de leurs concepteurs. Ici, cette rencontre aux allures de coup de foudre est le point de départ du scénario. Mais la Fée, présentée à la Quinzaine des réalisateurs, ne cède rien à la mièvrerie. Fiona et Dom sont deux êtres borderline, touchants par leur fragilité et leur détermination à être heureux, malgré les obstacles qui se dressent sur leur route. Leur maladresse, à laquelle fait écho celle de leur entourage, confine à l’absurde ; son ressort comique écarte tout accent pathétique.
Car si la Fée est un conte, c’est aussi une comédie. Le ton est burlesque, gaguesque parfois. Dom s’étouffe avec un bouchon qui s’est glissé dans son sandwich, le patron du bar l’Amour flou a deux culs de bouteille devant les yeux, et un pensionnaire de l’hôtel, célibataire anglais cleptomane, se lance à la recherche de son chien perdu. Les réalisateurs créent un univers décalé, intemporel, où l’importance accordée aux choses s’inverse parfois. «Qu’est-ce qu’un comportement normal ? Qu’est-ce que la légalité, la propriété ?» questionne Dominique Abel. Quelques éléments du conte sont bien là (prince, princesse pieds nus et scooter bleu à défaut de destrier blanc), mais nos antihéros sont loin des stéréotypes idéaux. Fiona, patiente d’un hôpital psychiatrique, s’arrange sans vergogne avec la légalité. Version féminine et illuminée d’un Robin des Bois moderne, elle pique de l’essence et troque ses médocs.
Laboratoire. Une fée ? Pourquoi pas, mais si imparfaite et aux pouvoirs si limités qu’elle se rapproche du clown. Quant à Dom, insomniaque de métier, esseulé, il souffre d’une personnalité introvertie qui le rend quasi inapte à la communication. Sans moralisme, la Fée explose le curseur de la normalité, et, tel un laboratoire d’observation de notre société, ridiculise certains de nos symboles de l’autorité, à force de caricature ou de répétition.
L’interprétation des comédiens, convaincante, flirte avec l’art du mime : leurs corps, dénudés ou déformés, offrent un infini de possibilités drôlatiques. Mais la tendresse et l’empathie avec laquelle les réalisateurs filment leurs personnages écarte la tentation parodique. La fantaisie et la charge poétique forte, nourrie par de longs plans fixes, évoquent plutôt l’univers de Jacques Tati ou Pierre Etaix. La Fée est un filtre anticynisme, un conte parfois cruel, toujours sensible, dont on aurait tort de se passer. CHRISTELLE GRANJA
Certaines séquences d'Et maintenant on va où ? ont été tournées sous les yeux amusés et effarés de miliciens proche du Hezbollah, dans la Bekaa, qui s'étend entre Beyrouth et Damas. D'autres ont été réalisées dans la montagne chrétienne, au nord de la capitale du Liban. Tourné à l'automne 2010, Et maintenant on va où ?, présenté au Festival de Cannes, dans la section Un certain regard, est apparu comme une hirondelle cinématographique annonçant le printemps arabe.
Le second long métrage de Nadine Labaki (après Caramel, présenté en 2007 à la Quinzaine des réalisateurs) ne parle pas de multipartisme ou de liberté d'expression. A cette aune-là, le Liban n'est pas le plus mal loti des pays arabes. Et maintenant on va où ? commence par une séquence saisissante qui montre des femmes vêtues de noir, dans la poussière d'une plaine presque désertique. Elles cheminent en dansant jusqu'au cimetière. Là, le groupe homogène, la masse noire des veuves et des orphelines, se divise : les unes vont vers les croix, les autres vers les croissants.
C'est à ça, rien que ça, que Nadine Labaki a voulu se mesurer : la foi et la mort. Dans cette région du monde, on meurt encore (volontairement ou non) pour le nom du dieu qu'on invoque. De loin, dans notre Europe dont le désir de religion s'épuise comme à la fin d'un mariage interminable, on se dit que là-bas c'est ainsi, parfois avec un peu de nostalgie pour l'énergie que l'on mettait à étriper le catholique ou le protestant. La jeune réalisatrice libanaise ne veut pas tenir pour acquis ce danger permanent qui plane sur les communautés et remet en cause le fondement de la société dans laquelle elle vit. Elle a inventé un village isolé après la fin de la guerre (ni le pays ni le conflit ne sont nommés). Pour se ravitailler, il faut passer des champs de mines ; chrétiens et musulmans partagent la même pénurie, fréquentent les mêmes échoppes, le même café, la même douleur héritée de la guerre.
A ceci près que les séquelles ne sont pas les mêmes pour les hommes et pour les femmes. Les premiers sont toujours prêts à rouvrir les vieilles blessures, pendant que les mères et épouses n'ont qu'un souci : arrêter de souffrir. Si bien que lorsqu'une série d'incidents plus ou moins fortuits menacent de raviver le conflit, les femmes du village enchaînent les stratagèmes pour empêcher leurs hommes de déterrer les armes cachées après la fin du dernier épisode de guerre civile. Face à cette menace permanente, Nadine Labaki ne s'interdit aucun des moyens cinématographiques répertoriés dans l'arsenal : la comédie musicale, avec quelques numéros chantés, le drame et la comédie pure. Actrice elle-même (elle s'est attribué le rôle de la tenancière du café), elle a passé des mois à trouver des non-professionnelles pour incarner ces pacifistes pragmatiques. De vrais notables de village, des enseignantes, des commerçantes se joignent à elles pour mettre en scène les tours que jouent les femmes aux hommes afin de les empêcher de reprendre le sentier de la guerre.
Ces moyens mobilisent aussi bien la Vierge (dans sa représentation la plus sulpicienne) que l'un des produits agricoles les plus renommés du Liban, sans même parler de la troupe de danseuses post-soviétiques qui vont s'arrêter quelques jours dans le village.
Le trait est parfois un peu appuyé, le passage d'un registre à l'autre ne se fait pas toujours sans à-coups. La lourdeur et l'emphase sont en général tenues à l'écart grâce à l'élégance de l'image du chef opérateur Christophe Offenstein, à la musique de Khaled Mouzannar. Parce que les deux hommes du film, prêtre maronite et imam, sont deux figures comiques et sympathiques, on pense parfois au cinéma italien des années 1950. Mais celui-ci avait laissé la tragédie derrière lui et pouvait aller jusqu'au bout de la comédie. Au Liban, le pire reste possible et la comédie oscille perpétuellement au bord du drame le plus noir.
On ne peut en aucun cas dévoiler la fin du film, ni son mécanisme ni sa nature, sanglante ou burlesque. Il suffit de dire que la montée finale vers cette conclusion renversante finit de donner à Et maintenant on va où ? une vigueur que l'on souhaite à tous les films qui naîtront dans la région après le printemps.
Thomas Sotinel
Avant d’être dévoilé, le dernier Philippe Garrel a fait l’objet au Lido d’un buzz inédit s’agissant du cinéaste : on allait y voir, paraît-il, Monica Bellucci nue. En Italie, une telle rumeur prend vite des proportions absurdes, dues à la valeur de l’icône, sans conteste la star du pays. La Bellucci, dans une Italie nostalgique de son grand cinéma perdu, c’est un peu la réincarnation de Sophia Loren et Ornella Muti. «C’est mon père, Maurice, qui m’avait dit que je devrais travailler avec elle, nous confiait Garrel à la sortie de sa projection de gala. Je lui ai obéi, et il avait bien raison. Dès les essais dans le rôle d’Angèle, ça a été OK. C’est une femme humble, mais je tenais à ce que son statut de star agisse comme un précipité chimique sur les autres acteurs.»
La nudité tant attendue décevra sans doute. Elle surgit dès le deuxième plan, mais sous forme d’une chaste odalisque, allongée, face caméra, muette. «J’ai suivi les conseils de Léonard de Vinci, qui recommande de se placer à une distance équivalant à deux fois la hauteur du modèle.»
Dans son motif comme sa forme, Un été brûlant fait songer au Mépris de Godard. Parce que Bellucci peut évoquer une sorte de Bardot brune contemporaine. Puis parce que le film s’attache à observer comment une relation amoureuse peut se briser sur un mot de trop, une mauvaise pensée. La toile de fond de cette déréliction est un tournage de cinéma. Enfin, une partie d’Un été brûlant se passe dans la même Rome éternelle. «Bien sûr, le Mépris est l’atome de base du film, un motif. Comme les peintres, encore une fois, on peut retravailler, chacun son tour, un sujet, par exemple l’Annonciation», dit Philippe Garrel. Dans le film, le peintre, c’est Frédéric, qu’incarne Louis Garrel, lequel n’a encore jamais été mieux filmé que par son père.
Son amour pour Angèle en danger, il préférera mourir que s’en séparer. Après avoir jeté sa voiture contre un arbre, il agonise. Au cours de l’une des scènes le plus bouleversantes du film, on voit Maurice Garrel tenter de réconforter son petit-fils, qui persiste : «Il faut que je m’en aille.» Parce que le spectateur sait que celui qui est finalement parti, c’est feu Maurice Garrel, père du cinéaste, qu’on voit ici pour la dernière fois, on a le sentiment d’assister à un miracle du cinéma, un transfert de vitalité de l’aïeul au jeune homme, par la médiation du chaînon qui les unit dans la vie comme dans le film. «Mon père était un de mes meilleurs amis.»
Un été brûlant coule au rythme d’un fleuve lourd au soleil. Les plans s’y étendent dans une volupté ambiguë, contemplative et menaçante. Plus l’été passe, plus la vie brûle. Une longue séquence de fête nocturne, filmée dans la durée d’un morceau de musique, met la puce à l’oreille : «Oui, ça m’intéresse de donner au spectateur le temps de voyager dans un même plan et d’imaginer quelle sera la trajectoire de son œil. Du centre vers le bas, puis le haut, puis de nouveau le centre…» Dans les quelques scènes de tournage dont Angèle est la star, Garrel met le cinéma en abyme. C’est un film de guerre, mais d’une guerre comme onirique. «Les rêves ont une part importante dans mon inspiration. J’ai l’habitude de les noter. Je les inclus dans mes scripts, sans les signaler comme rêves. Certains de mes films sont presque entièrement construits comme ça : Liberté la nuit par exemple.»
Délicatesse. Malgré la longue expérience et la maturité objective de Philippe Garrel, Un été brûlant vibre encore de cette sensibilité à fleur de peau qui irradiait ses premiers films, tournés adolescent. Mais là encore, on a le sentiment que cette sensibilité est redirigée vers les autres plutôt qu’absorbée par lui-même. La délicatesse avec laquelle s’expriment les visages et les corps ouvre la piste d’un nouvel âge, peut-être, pour le cinéaste. «Je travaille beaucoup l’écriture, le casting et la direction d’acteurs. Mais surtout, ce qui compte pour moi, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’accident sur le tournage, parce que c’est à mes yeux une responsabilité directe de la mise en scène, peut-être la plus importante.»
OLIVIER SÉGURET
Terrifiant film social brossant le portrait d’un honnête banquier brisé par un système oppresseur, De Bon Matin évite toute lourdeur pamphlétaire grâce à son parti pris en faveur de l’humain. Une réussite due également à l’intelligence de la mise en scène et à l’interprétation toute en retenue de Jean-Pierre Darroussin.
Une matinée banale. Paul Vertret enfile son costume, noue ses lacets, boucle sa serviette de cuir, rajuste sa cravate, embrasse sa femme endormie. Il sort par la porte du garage, et se rend à pied à la banque d’affaires qui l’emploie. Très calme, il déballe alors un revolver, ouvre la porte du bureau du directeur et lui tire deux balles en pleine tête. Affolé par le bruit, le jeune directeur adjoint aux dents longues surgit. Deux balles dans le dos lui rétorquent que c’était une mauvaise idée. Mais sans se départir de son calme, Paul Vertret traverse la foule des employés paniqués pour aller s’asseoir dans son bureau, penser aux circonstances qui l’ont mené à ce geste fatal.
Inspiré par un fait divers survenu en 2004, Jean-Marc Moutout réalise avec De Bon Matin un film glaçant jusqu’à l’os, extrêmement habile dans sa façon de ménager une critique acerbe, toute en pudeur et en subtilité. Car décrivant un système social destructeur, il choisit pour ce faire l’angle de l’humain ; représente, selon les termes-mêmes de Jean-Marc Moutout, la « fragmentation » d’un homme peu à peu brisé par ce qui n’était au départ qu’un simple conflit de travail. Il ne cherche pas à couvrir sa déchéance de mots inutiles : Vertret n’est pas un homme bavard et se refuse toujours à nommer les causes, rechigne à se confier à ceux qui pourraient le comprendre ou lui venir en aide. Les insultes ne sont pas patentes.
Le scénario, avec une grande intelligence, laisse s’installer dans les non-dits l’angoisse, les tensions, le mépris, les rivalités. Il décrit avec une froideur presque clinique le climat de harcèlement moral qui règne dans cette banque à laquelle Paul Vertret a consacrée sa vie et son talent. L’oppression est donc vécue dans toute sa douleur, renforcée par le contexte mis en place, effroyablement ordinaire.
De Bon Matin ne serait cependant sans doute pas aussi impressionnant si Paul Vertret n’était pas incarné avec une telle justesse par un Jean-Pierre Darroussin remarquable. Capable d’habiter l’image de sa présence, il laisse avec une parfaite maîtrise affleurer les failles qui gangrènent cet homme pourtant si solide. Bon père de famille, mari aimant, banquier doué, apprécié et respecté de sa clientèle, il se dresse face à sa hiérarchie par morale et souci d’équité. Mais derrière les éclats de voix, aucune communication ; face au psy, même quand il confie ressentir presque perpétuellement le besoin de pleurer, Vertret se tait. Droit comme un i, Darroussin ne laisse que son regard trahir le trouble inexprimable de son personnage. Toutes ses tentatives pour protester sont de toute façon avortées. Ainsi, lorsqu’il propose à une collègue licenciée abusivement de l’aider à se battre pour regagner son poste, celle-ci lui hurle de la laisser tranquille.
Poussé à bout, Vertret ne parvient plus à envisager d’autre solution que la mort de ceux qui incarnent le joug. L’image froide, les couleurs sombres, les sourires factices, la quasi-totale absence de musique en disent long sur le sentiment de déshumanisation qui écrase peu à peu un personnage dont le cadre de vie paisible ne semble même pas vraiment menacé ; en dépit de ses possibilités de rebond professionnel, Vertret est déjà socialement brisé.
Malgré tout, Jean-Marc Moutout se défend d’avoir voulu véhiculer un message de désespoir : si le système social est oppresseur, l’espérance se cache tout-de-même dans la croyance en l’humain. Il en ressort un film-choc, à méditer en ces temps de crise où l’individu semble perdre de sa valeur. Raphaëlle Chargois
C'est l'histoire d'une superbe jeune femme au visage triste qui ôte méthodiquement son vernis dans le métro de Téhéran pour se rendre présentable aux yeux des autorités. Et de sa quête obstinée d'un visa pour partir, parce que "mieux vaut se sentir étranger dehors que dans son propre pays".
Le film "Au revoir", du cinéaste iranien Mohamed Rasoulof condamné à six ans de prison pour propagande hostile à l'égard du régime, sort le 7 septembre sur les écrans français. Il a été tourné dans des conditions acrobatiques, en semi-clandestinité.
Présenté en mai au festival de Cannes en l'absence du réalisateur assigné à résidence, il a reçu le prix de la mise en scène de la sélection parallèle, Un Certain Regard. L'épouse du cinéaste, âgé de 37 ans, était venue chercher le prix en son nom.
"Au Revoir" retrace dans un dégradé de gris et de bleu glacial, rythmé régulièrement par le bruit d'avions au décollage, les démarches d'une jeune avocate pour décrocher un visa de sortie. L'occasion de raconter la société urbaine contemporaine, le quotidien des femmes aussi, le sentiment d'oppression et d'enfermement.
Le film, tourné l'hiver dernier, a pu sortir d'Iran grâce à un réseau de complicités. Et son actrice principale, Leyla Zareh, avait pu gagner la Croisette pour le représenter.
"Ce n'est pas moi qui ai écrit le scénario, mais j'étais ravie de jouer ce rôle, de transmettre ce message", avait-elle expliqué à l'AFP, la tête à peine voilée de vert pâle.
De ce tournage pas comme les autres, elle dit garder surtout en mémoire cette "inquiétude à chaque instant qu'il (Rasoulov) soit de nouveau convoqué, ou arrêté".
Pour protéger le réalisateur, ajoutait-elle, "on a compris qu'il fallait qu'on participe tous, nous les acteurs et actrices d'Iran : certains, parmi les plus connus, sont venus même pour un tout petit rôle, juste pour le soutenir". Le tournage n'a pas été interdit, puisqu'une bonne partie des scènes se passent en extérieur dans la capitale, mais les dialogues tournés en intérieur ne correspondaient pas exactement au projet déposé initialement, indique également le distributeur du film James Velaise (Pretty Pictures), qui en a acquis les droits internationaux au printemps.
Une copie DVD avait été montrée à Thierry Frémaux, le directeur délégué du festival de Cannes, qui avait choisi de le retenir en sélection officielle et ne l'avait annoncé qu'à l'avant-veille du Festival. "Le film est arrivé d'Iran à Bruxelles dans les bagages d'une personne qui a eu la chance de ne pas être fouillée. On a eu très peu de temps pour effectuer le sous-titrage", a raconté James Velaise, qui correspondait alors avec Rasoulov par l'intérmédiaire d'une comédienne iranienne amie. Mohamed Rasoulov a été condamné à six ans de prison en décembre 2010, accusé de propagande hostile au régime pour un film dont la seule perspective a hérissé les autorités, en même temps que son compatriote et aîné, le cinéaste Jafar Panahi (50 ans). Tous deux ont fait appel et ont été assignés à résidence à Téhéran.
Dans un après-midi caniculaire du sud de la France, quatre parcours se croisent : ceux de Stéphane et Luigi, deux cousins à peine sortis de l'adolescence, de Georges, ancien ouvrier à la retraite, d'Amélie, la petite amie de Luigi, et d'Anne, la mère d'Amélie. Quatre vies quotidiennes semées de blessures, d'humiliations, de peurs et de fatigue, qui convergent vers une tragédie.
Premier film de Jean-Jacques Jauffret, autrefois assistant de Cyril Collard sur Les Nuits fauves, Après le sud traite d'un sujet qu'on a vu fleurir ici ou là dans le cinéma français ces derniers temps: l'humiliation. Ce n'est pas le fait divers, vague point de départ du film, qui intéresse Jauffret; Après le sud n'a pas un discours social pour moteur, sa tragédie s'écrit de façon plus universelle.
La première qualité du long métrage est sa main légère: le film évite toute complaisance, porte sur ses personnages un regard honnête, aimant, et on sait les risques que présentait cette structure de destins croisés, terrain de jeu privilégié de la démonstration aussi subtile qu'un coup de massue dans un panier rempli de chatons.
L'autre qualité du premier long de Jauffret réside dans son traitement visuel, belle HD à lumière blanche qui brûle l'image, cadres amples qui donnent de l'espace aux personnages, une mère qui part se faire poser un anneau gastrique, un ado pasolinien en conflit avec son père, sa copine (Adèle Haenel, repérée dans Naissance des pieuvres) à la caisse d'un supermarché pour l'été, et un vieil homme esseulé.
Lorsqu'il prend son envol quasi religieux, Après le sud confirme sa rupture avec la chronique réaliste déjà vue pour des hauteurs autrement plus stimulantes.
Nicolas Bardot
Après la Conquête (palme du pschitt) et Pater, voici l’Exercice de l’Etat, l’autre film sur le monde politique français, coproduit par Denis Freyd et les Dardenne. Le récit se focalise sur une courte période de la vie d’un ministre des Transports, Bertrand Saint-Jean (Olivier Gourmet), centriste dans un gouvernement qu’on devine de droite libérale. Bercy lui lance dans les pattes un projet de privatisation des gares, auquel il se dit fermement opposé. Puis, de luttes intestines entre ministères et ambitieux de tous poils, Saint-Jean doit retourner sa veste et porter cette «politique de modernisation» censée endiguer une part des dépenses publiques somptuaires d’un pays soi-disant usé jusqu’à la corde.
«Le cœur du film, c’est le costume, la charge ministérielle vécue au plus près de la chair : la libido, la tension, l’insomnie, l’ivresse, les rituels et les passions que se vouent les grands serviteurs de l’Etat.»
Le film dépeint un univers de gens qui semblent ne plus savoir ce qu’ils font dès lors que l’emprise sur la réalité du pays passe par l’organisation byzantine de relais et courts-circuits successifs : études commandées pour gagner du temps, communiqués balancés pour griller le voisin, prendre l’opinion de vitesse… «Cinquante personnes sur une tête d’épingle», dit Woessner (Didier Bezace) pour décrire cet Etat dont le pouvoir n’a eu de cesse de se rétracter sur une scène toujours plus étriquée. Le tempo des coups de théâtre ministériels bat la chamade, tout advient sous la forme du fracas, de l’accident, du coup de gueule, et la méthode est toujours celle du savonnage de planche et de la promotion piégée.
A un moment donné, le ministre, qui ne quitte jamais l’appendice de son smartphone, fait défiler son annuaire : «4 000 contacts et aucun ami à qui parler.» L’ami justement, le seul, est en fait un allié, Gilles (Michel Blanc, parfait en homme de l’ombre), et sa constance maniaque dans l’art de piloter les réformes fout les jetons. Pierre Schoeller a écrit et réalisé cet Exercice de l’Etat qu’il a voulu très romanesque et, en même temps, ancré dans une expérience précise de l’action gouvernementale.
Le film a quelque chose d’impérieux et de survolté (inhabituel dans le cinéma français), opérant une synthèse rare entre excitation narrative pure et regard critique sans pitié. Il nous met en contact avec un désir de puissance, qui est aussi un trip de junkie, une recherche passionnée de la poussée d’adrénaline qui ne connaît plus de limite dès lors que la drogue est engendrée par le système lui-même. L’actualité nous le prouve tous les jours.
DIDIER PÉRON
Habemus Papam commence comme un documentaire, avec des images prises, par d’autres, à Rome durant la longue période de funérailles de Jean Paul II. Mais à la façon dont la mise en scène embraye fissa en fiction, et à voir comment le réalisateur en profite pour égratigner la télé italienne, sbires des spectacles berlusconiens, imbéciles à micros incapables de distinguer la couleur d’une fumée et meublant leur ignorance en tout par un babil vidé de toute substance, on comprend que Habemus Papam renoue avec le Moretti de Palombella Rossa. Celui, fumasse, qui prenait le prétexte d’un match de water-polo pour dire la liquidation du communisme, et insultait déjà au passage une journaliste à coups de «Mais comment tu parles ?»
On a beaucoup vu, à Cannes, les images où des cardinaux jouent au volley-ball en soutane, des cartes postales felliniennes qui ne sont drôles qu’à l’intérieur du régime général du film, où il s’agit - comme dans Pater de Cavalier - de replacer l’homme de pouvoir là où est sa vérité : toujours un pied dehors de ses marques.
Le pape selon Moretti est un acteur, un névrosé, un sportif amateur, un imbécile au sens tragique du terme : un homme. Qui les vaut tous et que tous valent… Le schéma d’un dialogue d’attention mutuelle entre un Moretti psychanalyste et son sujet de pape Piccoli - récitant de tête la Mouette de Tchekhov mais incapable d’endosser la robe, donc le costume et le rôle qui lui est alloué - ne laisse entrevoir qu’une partie seulement du pouvoir de fascination que déploie le film : sa causticité passe-muraille.
La mise en scène, organisée comme celle d’un ballet, imprime quelque chose d’aérien, aussi bien dans les scènes tournées en studio (où furent reconstituées à l’identique certaines pièces du Vatican) que dans les plans magnifiques de Piccoli, visage collé à la vitre d’un bus roulant dans Rome la nuit et disant avec des yeux de gosse combien le monde extérieur est suffisamment beau, opaque, pour être joué en anonyme parmi les anonymes.
PHILIPPE AZOURY
Gus Van Sant a souvent abordé l'idée de la mort : la mort comme événement contingent (être ou ne pas être sur le chemin d'un tueur fou) dans Elephant, l'accident absurde dans Paranoid Park, le suicide dans Last Days, l'imminence de la disparition, de l'évaporation, à la fin de Gerry. Restless semble vouloir continuer cette prospection en la décalant quelque peu, en proposant une vision située entre une forme de romantisme poétique et une conscience vive de ce qui oppose et rapproche cinéma et trépas.
Succinctement résumé, Restless ressemblerait à un mélodrame banal, une love story des temps actuels, l'histoire d'amour d'un couple dont l'un des éléments est menacé d'une disparition imminente. Enoch est un adolescent qui s'invite régulièrement aux cérémonies d'enterrement, satisfaisant visiblement un goût morbide pour les rituels funéraires.
On apprendra que le jeune homme tente de retrouver ce qui lui a été refusé il y a plusieurs années : assister aux obsèques de ses parents, tués dans un accident, lui-même étant alors plongé dans le coma. Mais ce garçon qui a peut-être le sentiment d'être revenu, après des semaines d'inconscience, du pays des morts, rencontre une jeune fille durant un de ces enterrements dans lesquels il s'est incrusté. Celle-ci, Annabelle, est atteinte d'un cancer, dont elle apprend vite qu'il est incurable. Tout est alors en place pour que se déroule une histoire d'amour dont le terme est forcément programmé par l'imminence du trépas.
Les jeunes gens de Restless doivent gagner du temps, plonger dans l'oubli d'une absence de futur possible, vivre dans un immédiat présent. Pourtant, l'idée de la nécessité d'une urgence frénétique est ici perpétuellement contrariée par la douceur d'un film qui semble à la fois recourir à la rhétorique invisible d'un produit de studio hollywoodien et, en même temps, éviter toute convention sentimentale, naturaliste et psychologique, être en deçà de l'hystérie qu'un tel sujet imposerait.
La question de la représentation de la mort est, par ailleurs, elle-même malicieusement posée par le film lorsque les deux protagonistes interprètent, par jeu, une scène d'agonie trop cinématographique pour être honnête mais à laquelle il est possible pour le spectateur de se laisser prendre quelques secondes.
La quête d'un divertissement permanent mais aussi l'apprivoisement de l'imaginaire pur (Enoch parle avec le fantôme d'un jeune pilote japonais kamikaze mort pendant la guerre du Pacifique, ce qui introduit subtilement l'Histoire et ses tragédies dans un récit qui ne semblait pas en faire grand cas) sont ici les marques d'un stoïcisme juvénile émouvant. Mais ce qui fait aussi le prix de Restless, qui en fera sans doute un des plus beaux films de son auteur, c'est la manière dont il dépasse le système un peu figé avec lequel Gus Van Sant inventait des silhouettes humaines.
Le jeune homme semble faire partie de ces éphèbes au dandysme buté, et peut-être inconscient, ces adolescents mâles que le cinéaste aime dépeindre. Mais, ici, le plus beau personnage est encore celui de la jeune fille, dont la vitalité constitue l'énergie profonde de ce voyage vers la fin. Et à cela, à cette peinture d'une si belle figure féminine, Gus Van Sant n'avait plus guère habitué le spectateur depuis un moment.
Succinctement résumé, Restless ressemblerait à un mélodrame banal, une love story des temps actuels, l'histoire d'amour d'un couple dont l'un des éléments est menacé d'une disparition imminente. Enoch est un adolescent qui s'invite régulièrement aux cérémonies d'enterrement, satisfaisant visiblement un goût morbide pour les rituels funéraires.
On apprendra que le jeune homme tente de retrouver ce qui lui a été refusé il y a plusieurs années : assister aux obsèques de ses parents, tués dans un accident, lui-même étant alors plongé dans le coma. Mais ce garçon qui a peut-être le sentiment d'être revenu, après des semaines d'inconscience, du pays des morts, rencontre une jeune fille durant un de ces enterrements dans lesquels il s'est incrusté. Celle-ci, Annabelle, est atteinte d'un cancer, dont elle apprend vite qu'il est incurable. Tout est alors en place pour que se déroule une histoire d'amour dont le terme est forcément programmé par l'imminence du trépas.
Les jeunes gens de Restless doivent gagner du temps, plonger dans l'oubli d'une absence de futur possible, vivre dans un immédiat présent. Pourtant, l'idée de la nécessité d'une urgence frénétique est ici perpétuellement contrariée par la douceur d'un film qui semble à la fois recourir à la rhétorique invisible d'un produit de studio hollywoodien et, en même temps, éviter toute convention sentimentale, naturaliste et psychologique, être en deçà de l'hystérie qu'un tel sujet imposerait.
La question de la représentation de la mort est, par ailleurs, elle-même malicieusement posée par le film lorsque les deux protagonistes interprètent, par jeu, une scène d'agonie trop cinématographique pour être honnête mais à laquelle il est possible pour le spectateur de se laisser prendre quelques secondes.
La quête d'un divertissement permanent mais aussi l'apprivoisement de l'imaginaire pur (Enoch parle avec le fantôme d'un jeune pilote japonais kamikaze mort pendant la guerre du Pacifique, ce qui introduit subtilement l'Histoire et ses tragédies dans un récit qui ne semblait pas en faire grand cas) sont ici les marques d'un stoïcisme juvénile émouvant. Mais ce qui fait aussi le prix de Restless, qui en fera sans doute un des plus beaux films de son auteur, c'est la manière dont il dépasse le système un peu figé avec lequel Gus Van Sant inventait des silhouettes humaines.
Le jeune homme semble faire partie de ces éphèbes au dandysme buté, et peut-être inconscient, ces adolescents mâles que le cinéaste aime dépeindre. Mais, ici, le plus beau personnage est encore celui de la jeune fille, dont la vitalité constitue l'énergie profonde de ce voyage vers la fin. Et à cela, à cette peinture d'une si belle figure féminine, Gus Van Sant n'avait plus guère habitué le spectateur depuis un moment.
Jean-François Rauger
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Elle porte jogging rose et cheveux roux, et apparaît un soir pluvieux, sans sac, dans un petit hôtel du Havre ; déboussolée, ou plutôt animée par un champ magnétique propre, avec un air d’ailleurs. «Je m’appelle Fiona, je suis une fée.» Les présentations à Dom, veilleur de nuit, pour être incongrues, n’en sont pas moins rapides et efficaces ; la démonstration n’attend pas : Fiona accorde trois vœux à Dom. Lequel tombe éperdument amoureux.
Bouchon. Les précédents longs métrages de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy, l’Iceberg et Rumba, contaient les aventures de Dom et Fiona, alter ego fictifs de leurs concepteurs. Ici, cette rencontre aux allures de coup de foudre est le point de départ du scénario. Mais la Fée, présentée à la Quinzaine des réalisateurs, ne cède rien à la mièvrerie. Fiona et Dom sont deux êtres borderline, touchants par leur fragilité et leur détermination à être heureux, malgré les obstacles qui se dressent sur leur route. Leur maladresse, à laquelle fait écho celle de leur entourage, confine à l’absurde ; son ressort comique écarte tout accent pathétique.
Car si la Fée est un conte, c’est aussi une comédie. Le ton est burlesque, gaguesque parfois. Dom s’étouffe avec un bouchon qui s’est glissé dans son sandwich, le patron du bar l’Amour flou a deux culs de bouteille devant les yeux, et un pensionnaire de l’hôtel, célibataire anglais cleptomane, se lance à la recherche de son chien perdu. Les réalisateurs créent un univers décalé, intemporel, où l’importance accordée aux choses s’inverse parfois. «Qu’est-ce qu’un comportement normal ? Qu’est-ce que la légalité, la propriété ?» questionne Dominique Abel. Quelques éléments du conte sont bien là (prince, princesse pieds nus et scooter bleu à défaut de destrier blanc), mais nos antihéros sont loin des stéréotypes idéaux. Fiona, patiente d’un hôpital psychiatrique, s’arrange sans vergogne avec la légalité. Version féminine et illuminée d’un Robin des Bois moderne, elle pique de l’essence et troque ses médocs.
Laboratoire. Une fée ? Pourquoi pas, mais si imparfaite et aux pouvoirs si limités qu’elle se rapproche du clown. Quant à Dom, insomniaque de métier, esseulé, il souffre d’une personnalité introvertie qui le rend quasi inapte à la communication. Sans moralisme, la Fée explose le curseur de la normalité, et, tel un laboratoire d’observation de notre société, ridiculise certains de nos symboles de l’autorité, à force de caricature ou de répétition.
L’interprétation des comédiens, convaincante, flirte avec l’art du mime : leurs corps, dénudés ou déformés, offrent un infini de possibilités drôlatiques. Mais la tendresse et l’empathie avec laquelle les réalisateurs filment leurs personnages écarte la tentation parodique. La fantaisie et la charge poétique forte, nourrie par de longs plans fixes, évoquent plutôt l’univers de Jacques Tati ou Pierre Etaix. La Fée est un filtre anticynisme, un conte parfois cruel, toujours sensible, dont on aurait tort de se passer. CHRISTELLE GRANJA
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Certaines séquences d'Et maintenant on va où ? ont été tournées sous les yeux amusés et effarés de miliciens proche du Hezbollah, dans la Bekaa, qui s'étend entre Beyrouth et Damas. D'autres ont été réalisées dans la montagne chrétienne, au nord de la capitale du Liban. Tourné à l'automne 2010, Et maintenant on va où ?, présenté au Festival de Cannes, dans la section Un certain regard, est apparu comme une hirondelle cinématographique annonçant le printemps arabe.
Le second long métrage de Nadine Labaki (après Caramel, présenté en 2007 à la Quinzaine des réalisateurs) ne parle pas de multipartisme ou de liberté d'expression. A cette aune-là, le Liban n'est pas le plus mal loti des pays arabes. Et maintenant on va où ? commence par une séquence saisissante qui montre des femmes vêtues de noir, dans la poussière d'une plaine presque désertique. Elles cheminent en dansant jusqu'au cimetière. Là, le groupe homogène, la masse noire des veuves et des orphelines, se divise : les unes vont vers les croix, les autres vers les croissants.
C'est à ça, rien que ça, que Nadine Labaki a voulu se mesurer : la foi et la mort. Dans cette région du monde, on meurt encore (volontairement ou non) pour le nom du dieu qu'on invoque. De loin, dans notre Europe dont le désir de religion s'épuise comme à la fin d'un mariage interminable, on se dit que là-bas c'est ainsi, parfois avec un peu de nostalgie pour l'énergie que l'on mettait à étriper le catholique ou le protestant. La jeune réalisatrice libanaise ne veut pas tenir pour acquis ce danger permanent qui plane sur les communautés et remet en cause le fondement de la société dans laquelle elle vit. Elle a inventé un village isolé après la fin de la guerre (ni le pays ni le conflit ne sont nommés). Pour se ravitailler, il faut passer des champs de mines ; chrétiens et musulmans partagent la même pénurie, fréquentent les mêmes échoppes, le même café, la même douleur héritée de la guerre.
A ceci près que les séquelles ne sont pas les mêmes pour les hommes et pour les femmes. Les premiers sont toujours prêts à rouvrir les vieilles blessures, pendant que les mères et épouses n'ont qu'un souci : arrêter de souffrir. Si bien que lorsqu'une série d'incidents plus ou moins fortuits menacent de raviver le conflit, les femmes du village enchaînent les stratagèmes pour empêcher leurs hommes de déterrer les armes cachées après la fin du dernier épisode de guerre civile. Face à cette menace permanente, Nadine Labaki ne s'interdit aucun des moyens cinématographiques répertoriés dans l'arsenal : la comédie musicale, avec quelques numéros chantés, le drame et la comédie pure. Actrice elle-même (elle s'est attribué le rôle de la tenancière du café), elle a passé des mois à trouver des non-professionnelles pour incarner ces pacifistes pragmatiques. De vrais notables de village, des enseignantes, des commerçantes se joignent à elles pour mettre en scène les tours que jouent les femmes aux hommes afin de les empêcher de reprendre le sentier de la guerre.
Ces moyens mobilisent aussi bien la Vierge (dans sa représentation la plus sulpicienne) que l'un des produits agricoles les plus renommés du Liban, sans même parler de la troupe de danseuses post-soviétiques qui vont s'arrêter quelques jours dans le village.
Le trait est parfois un peu appuyé, le passage d'un registre à l'autre ne se fait pas toujours sans à-coups. La lourdeur et l'emphase sont en général tenues à l'écart grâce à l'élégance de l'image du chef opérateur Christophe Offenstein, à la musique de Khaled Mouzannar. Parce que les deux hommes du film, prêtre maronite et imam, sont deux figures comiques et sympathiques, on pense parfois au cinéma italien des années 1950. Mais celui-ci avait laissé la tragédie derrière lui et pouvait aller jusqu'au bout de la comédie. Au Liban, le pire reste possible et la comédie oscille perpétuellement au bord du drame le plus noir.
On ne peut en aucun cas dévoiler la fin du film, ni son mécanisme ni sa nature, sanglante ou burlesque. Il suffit de dire que la montée finale vers cette conclusion renversante finit de donner à Et maintenant on va où ? une vigueur que l'on souhaite à tous les films qui naîtront dans la région après le printemps.
Thomas Sotinel
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Avant d’être dévoilé, le dernier Philippe Garrel a fait l’objet au Lido d’un buzz inédit s’agissant du cinéaste : on allait y voir, paraît-il, Monica Bellucci nue. En Italie, une telle rumeur prend vite des proportions absurdes, dues à la valeur de l’icône, sans conteste la star du pays. La Bellucci, dans une Italie nostalgique de son grand cinéma perdu, c’est un peu la réincarnation de Sophia Loren et Ornella Muti. «C’est mon père, Maurice, qui m’avait dit que je devrais travailler avec elle, nous confiait Garrel à la sortie de sa projection de gala. Je lui ai obéi, et il avait bien raison. Dès les essais dans le rôle d’Angèle, ça a été OK. C’est une femme humble, mais je tenais à ce que son statut de star agisse comme un précipité chimique sur les autres acteurs.»
La nudité tant attendue décevra sans doute. Elle surgit dès le deuxième plan, mais sous forme d’une chaste odalisque, allongée, face caméra, muette. «J’ai suivi les conseils de Léonard de Vinci, qui recommande de se placer à une distance équivalant à deux fois la hauteur du modèle.»
Dans son motif comme sa forme, Un été brûlant fait songer au Mépris de Godard. Parce que Bellucci peut évoquer une sorte de Bardot brune contemporaine. Puis parce que le film s’attache à observer comment une relation amoureuse peut se briser sur un mot de trop, une mauvaise pensée. La toile de fond de cette déréliction est un tournage de cinéma. Enfin, une partie d’Un été brûlant se passe dans la même Rome éternelle. «Bien sûr, le Mépris est l’atome de base du film, un motif. Comme les peintres, encore une fois, on peut retravailler, chacun son tour, un sujet, par exemple l’Annonciation», dit Philippe Garrel. Dans le film, le peintre, c’est Frédéric, qu’incarne Louis Garrel, lequel n’a encore jamais été mieux filmé que par son père.
Son amour pour Angèle en danger, il préférera mourir que s’en séparer. Après avoir jeté sa voiture contre un arbre, il agonise. Au cours de l’une des scènes le plus bouleversantes du film, on voit Maurice Garrel tenter de réconforter son petit-fils, qui persiste : «Il faut que je m’en aille.» Parce que le spectateur sait que celui qui est finalement parti, c’est feu Maurice Garrel, père du cinéaste, qu’on voit ici pour la dernière fois, on a le sentiment d’assister à un miracle du cinéma, un transfert de vitalité de l’aïeul au jeune homme, par la médiation du chaînon qui les unit dans la vie comme dans le film. «Mon père était un de mes meilleurs amis.»
Un été brûlant coule au rythme d’un fleuve lourd au soleil. Les plans s’y étendent dans une volupté ambiguë, contemplative et menaçante. Plus l’été passe, plus la vie brûle. Une longue séquence de fête nocturne, filmée dans la durée d’un morceau de musique, met la puce à l’oreille : «Oui, ça m’intéresse de donner au spectateur le temps de voyager dans un même plan et d’imaginer quelle sera la trajectoire de son œil. Du centre vers le bas, puis le haut, puis de nouveau le centre…» Dans les quelques scènes de tournage dont Angèle est la star, Garrel met le cinéma en abyme. C’est un film de guerre, mais d’une guerre comme onirique. «Les rêves ont une part importante dans mon inspiration. J’ai l’habitude de les noter. Je les inclus dans mes scripts, sans les signaler comme rêves. Certains de mes films sont presque entièrement construits comme ça : Liberté la nuit par exemple.»
Délicatesse. Malgré la longue expérience et la maturité objective de Philippe Garrel, Un été brûlant vibre encore de cette sensibilité à fleur de peau qui irradiait ses premiers films, tournés adolescent. Mais là encore, on a le sentiment que cette sensibilité est redirigée vers les autres plutôt qu’absorbée par lui-même. La délicatesse avec laquelle s’expriment les visages et les corps ouvre la piste d’un nouvel âge, peut-être, pour le cinéaste. «Je travaille beaucoup l’écriture, le casting et la direction d’acteurs. Mais surtout, ce qui compte pour moi, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’accident sur le tournage, parce que c’est à mes yeux une responsabilité directe de la mise en scène, peut-être la plus importante.»
OLIVIER SÉGURET
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Terrifiant film social brossant le portrait d’un honnête banquier brisé par un système oppresseur, De Bon Matin évite toute lourdeur pamphlétaire grâce à son parti pris en faveur de l’humain. Une réussite due également à l’intelligence de la mise en scène et à l’interprétation toute en retenue de Jean-Pierre Darroussin.
Une matinée banale. Paul Vertret enfile son costume, noue ses lacets, boucle sa serviette de cuir, rajuste sa cravate, embrasse sa femme endormie. Il sort par la porte du garage, et se rend à pied à la banque d’affaires qui l’emploie. Très calme, il déballe alors un revolver, ouvre la porte du bureau du directeur et lui tire deux balles en pleine tête. Affolé par le bruit, le jeune directeur adjoint aux dents longues surgit. Deux balles dans le dos lui rétorquent que c’était une mauvaise idée. Mais sans se départir de son calme, Paul Vertret traverse la foule des employés paniqués pour aller s’asseoir dans son bureau, penser aux circonstances qui l’ont mené à ce geste fatal.
Inspiré par un fait divers survenu en 2004, Jean-Marc Moutout réalise avec De Bon Matin un film glaçant jusqu’à l’os, extrêmement habile dans sa façon de ménager une critique acerbe, toute en pudeur et en subtilité. Car décrivant un système social destructeur, il choisit pour ce faire l’angle de l’humain ; représente, selon les termes-mêmes de Jean-Marc Moutout, la « fragmentation » d’un homme peu à peu brisé par ce qui n’était au départ qu’un simple conflit de travail. Il ne cherche pas à couvrir sa déchéance de mots inutiles : Vertret n’est pas un homme bavard et se refuse toujours à nommer les causes, rechigne à se confier à ceux qui pourraient le comprendre ou lui venir en aide. Les insultes ne sont pas patentes.
Le scénario, avec une grande intelligence, laisse s’installer dans les non-dits l’angoisse, les tensions, le mépris, les rivalités. Il décrit avec une froideur presque clinique le climat de harcèlement moral qui règne dans cette banque à laquelle Paul Vertret a consacrée sa vie et son talent. L’oppression est donc vécue dans toute sa douleur, renforcée par le contexte mis en place, effroyablement ordinaire.
De Bon Matin ne serait cependant sans doute pas aussi impressionnant si Paul Vertret n’était pas incarné avec une telle justesse par un Jean-Pierre Darroussin remarquable. Capable d’habiter l’image de sa présence, il laisse avec une parfaite maîtrise affleurer les failles qui gangrènent cet homme pourtant si solide. Bon père de famille, mari aimant, banquier doué, apprécié et respecté de sa clientèle, il se dresse face à sa hiérarchie par morale et souci d’équité. Mais derrière les éclats de voix, aucune communication ; face au psy, même quand il confie ressentir presque perpétuellement le besoin de pleurer, Vertret se tait. Droit comme un i, Darroussin ne laisse que son regard trahir le trouble inexprimable de son personnage. Toutes ses tentatives pour protester sont de toute façon avortées. Ainsi, lorsqu’il propose à une collègue licenciée abusivement de l’aider à se battre pour regagner son poste, celle-ci lui hurle de la laisser tranquille.
Poussé à bout, Vertret ne parvient plus à envisager d’autre solution que la mort de ceux qui incarnent le joug. L’image froide, les couleurs sombres, les sourires factices, la quasi-totale absence de musique en disent long sur le sentiment de déshumanisation qui écrase peu à peu un personnage dont le cadre de vie paisible ne semble même pas vraiment menacé ; en dépit de ses possibilités de rebond professionnel, Vertret est déjà socialement brisé.
Malgré tout, Jean-Marc Moutout se défend d’avoir voulu véhiculer un message de désespoir : si le système social est oppresseur, l’espérance se cache tout-de-même dans la croyance en l’humain. Il en ressort un film-choc, à méditer en ces temps de crise où l’individu semble perdre de sa valeur. Raphaëlle Chargois
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C'est l'histoire d'une superbe jeune femme au visage triste qui ôte méthodiquement son vernis dans le métro de Téhéran pour se rendre présentable aux yeux des autorités. Et de sa quête obstinée d'un visa pour partir, parce que "mieux vaut se sentir étranger dehors que dans son propre pays".
Le film "Au revoir", du cinéaste iranien Mohamed Rasoulof condamné à six ans de prison pour propagande hostile à l'égard du régime, sort le 7 septembre sur les écrans français. Il a été tourné dans des conditions acrobatiques, en semi-clandestinité.
Présenté en mai au festival de Cannes en l'absence du réalisateur assigné à résidence, il a reçu le prix de la mise en scène de la sélection parallèle, Un Certain Regard. L'épouse du cinéaste, âgé de 37 ans, était venue chercher le prix en son nom.
"Au Revoir" retrace dans un dégradé de gris et de bleu glacial, rythmé régulièrement par le bruit d'avions au décollage, les démarches d'une jeune avocate pour décrocher un visa de sortie. L'occasion de raconter la société urbaine contemporaine, le quotidien des femmes aussi, le sentiment d'oppression et d'enfermement.
Le film, tourné l'hiver dernier, a pu sortir d'Iran grâce à un réseau de complicités. Et son actrice principale, Leyla Zareh, avait pu gagner la Croisette pour le représenter.
"Ce n'est pas moi qui ai écrit le scénario, mais j'étais ravie de jouer ce rôle, de transmettre ce message", avait-elle expliqué à l'AFP, la tête à peine voilée de vert pâle.
De ce tournage pas comme les autres, elle dit garder surtout en mémoire cette "inquiétude à chaque instant qu'il (Rasoulov) soit de nouveau convoqué, ou arrêté".
Pour protéger le réalisateur, ajoutait-elle, "on a compris qu'il fallait qu'on participe tous, nous les acteurs et actrices d'Iran : certains, parmi les plus connus, sont venus même pour un tout petit rôle, juste pour le soutenir". Le tournage n'a pas été interdit, puisqu'une bonne partie des scènes se passent en extérieur dans la capitale, mais les dialogues tournés en intérieur ne correspondaient pas exactement au projet déposé initialement, indique également le distributeur du film James Velaise (Pretty Pictures), qui en a acquis les droits internationaux au printemps.
Une copie DVD avait été montrée à Thierry Frémaux, le directeur délégué du festival de Cannes, qui avait choisi de le retenir en sélection officielle et ne l'avait annoncé qu'à l'avant-veille du Festival. "Le film est arrivé d'Iran à Bruxelles dans les bagages d'une personne qui a eu la chance de ne pas être fouillée. On a eu très peu de temps pour effectuer le sous-titrage", a raconté James Velaise, qui correspondait alors avec Rasoulov par l'intérmédiaire d'une comédienne iranienne amie. Mohamed Rasoulov a été condamné à six ans de prison en décembre 2010, accusé de propagande hostile au régime pour un film dont la seule perspective a hérissé les autorités, en même temps que son compatriote et aîné, le cinéaste Jafar Panahi (50 ans). Tous deux ont fait appel et ont été assignés à résidence à Téhéran.
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En juillet 1979, la petite Albertine (Lou Alvarez, craquante de naturel) prend le train pour Saint-Malo avec ses parents, des artistes de rue un peu anar et relax, qui lui parlent déjà comme à une adulte (Eric Elmosnino et Julie Delpy). Chez la grand-mère (Bernadette Lafont, toujours épatante), la famille se retrouve au grand complet : entre les oncles ex-para aux opinions plus que douteuses (Jean-Louis Coulloc’h qu’on avait tant aimé dans L’Amant de Lady Chatterley et Denis Ménochet) et leurs femmes brimées (Valérie Bonneton et Aure Atika, parfaites dans des rôles difficiles), le jeune et fringant oncle Christian et sa femme constamment enceinte (Marc Ruchmann et la charmante Sophie Quinton de Qui a tué Bambi), les cousins un peu coincés, la tante Monique toujours de bonne humeur et son mari espagnol (Noémie Lvovsky et Candide Sanchez, top !), le grand-oncle Hubert dans la Lune (Albert Delpy, extra), Albertine retrouve vite ses marques.
Seulement, cette année, une ombre plane : le satellite américain Skylab pourrait bien heurter la Terre (Julie Delpy et Lars von Trier semblent avoir eu la même idée en même temps ! Traitée sur un ton différent, bien sûr !) Troublée par ce « grand événement » et par sa puberté naissante, la petite Albertine observe les remous qui agitent sa famille peu ordinaire.
Discours politiques violents qui virent au dialogue de sourds, jeux d’enfants, premiers émois, diverses péripéties jalonnent ces vacances bretonnes. Moins original que les deux Before sunset / Before sunrise, ou que le formidable Two days in Paris (que complètera bientôt le Two days in New York, actuellement en montage), Le Skylab dégage un charme fou, qui séduira sans problème les spectateurs.
Le casting est l’arme de choc, bien sûr. Mais l’écriture, d’une belle liberté de ton, fait du Skylab bien plus qu’un énième film choral. Cocktail explosif, le film rappelle par instants les films les plus réussis de Pascal Thomas (Pleure pas la bouche pleine ou Les maris, les femmes, les amants), avec un soupçon de Festen, un zeste de Bronzés… On rit, on sourit, devant cette madeleine de Proust qui se révèle tout sauf fade.
Si le film est aussi réussi, cela tient à la finesse d’écriture et à l’énergie des acteurs : en premier lieu, Eric Elmosnino, prodigieux de décontraction et d’un charme tout personnel !
Seulement, cette année, une ombre plane : le satellite américain Skylab pourrait bien heurter la Terre (Julie Delpy et Lars von Trier semblent avoir eu la même idée en même temps ! Traitée sur un ton différent, bien sûr !) Troublée par ce « grand événement » et par sa puberté naissante, la petite Albertine observe les remous qui agitent sa famille peu ordinaire.
Discours politiques violents qui virent au dialogue de sourds, jeux d’enfants, premiers émois, diverses péripéties jalonnent ces vacances bretonnes. Moins original que les deux Before sunset / Before sunrise, ou que le formidable Two days in Paris (que complètera bientôt le Two days in New York, actuellement en montage), Le Skylab dégage un charme fou, qui séduira sans problème les spectateurs.
Le casting est l’arme de choc, bien sûr. Mais l’écriture, d’une belle liberté de ton, fait du Skylab bien plus qu’un énième film choral. Cocktail explosif, le film rappelle par instants les films les plus réussis de Pascal Thomas (Pleure pas la bouche pleine ou Les maris, les femmes, les amants), avec un soupçon de Festen, un zeste de Bronzés… On rit, on sourit, devant cette madeleine de Proust qui se révèle tout sauf fade.
Si le film est aussi réussi, cela tient à la finesse d’écriture et à l’énergie des acteurs : en premier lieu, Eric Elmosnino, prodigieux de décontraction et d’un charme tout personnel !
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Dans un après-midi caniculaire du sud de la France, quatre parcours se croisent : ceux de Stéphane et Luigi, deux cousins à peine sortis de l'adolescence, de Georges, ancien ouvrier à la retraite, d'Amélie, la petite amie de Luigi, et d'Anne, la mère d'Amélie. Quatre vies quotidiennes semées de blessures, d'humiliations, de peurs et de fatigue, qui convergent vers une tragédie.
Premier film de Jean-Jacques Jauffret, autrefois assistant de Cyril Collard sur Les Nuits fauves, Après le sud traite d'un sujet qu'on a vu fleurir ici ou là dans le cinéma français ces derniers temps: l'humiliation. Ce n'est pas le fait divers, vague point de départ du film, qui intéresse Jauffret; Après le sud n'a pas un discours social pour moteur, sa tragédie s'écrit de façon plus universelle.
La première qualité du long métrage est sa main légère: le film évite toute complaisance, porte sur ses personnages un regard honnête, aimant, et on sait les risques que présentait cette structure de destins croisés, terrain de jeu privilégié de la démonstration aussi subtile qu'un coup de massue dans un panier rempli de chatons.
L'autre qualité du premier long de Jauffret réside dans son traitement visuel, belle HD à lumière blanche qui brûle l'image, cadres amples qui donnent de l'espace aux personnages, une mère qui part se faire poser un anneau gastrique, un ado pasolinien en conflit avec son père, sa copine (Adèle Haenel, repérée dans Naissance des pieuvres) à la caisse d'un supermarché pour l'été, et un vieil homme esseulé.
Lorsqu'il prend son envol quasi religieux, Après le sud confirme sa rupture avec la chronique réaliste déjà vue pour des hauteurs autrement plus stimulantes.
Nicolas Bardot
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Après la Conquête (palme du pschitt) et Pater, voici l’Exercice de l’Etat, l’autre film sur le monde politique français, coproduit par Denis Freyd et les Dardenne. Le récit se focalise sur une courte période de la vie d’un ministre des Transports, Bertrand Saint-Jean (Olivier Gourmet), centriste dans un gouvernement qu’on devine de droite libérale. Bercy lui lance dans les pattes un projet de privatisation des gares, auquel il se dit fermement opposé. Puis, de luttes intestines entre ministères et ambitieux de tous poils, Saint-Jean doit retourner sa veste et porter cette «politique de modernisation» censée endiguer une part des dépenses publiques somptuaires d’un pays soi-disant usé jusqu’à la corde.
«Le cœur du film, c’est le costume, la charge ministérielle vécue au plus près de la chair : la libido, la tension, l’insomnie, l’ivresse, les rituels et les passions que se vouent les grands serviteurs de l’Etat.»
Le film dépeint un univers de gens qui semblent ne plus savoir ce qu’ils font dès lors que l’emprise sur la réalité du pays passe par l’organisation byzantine de relais et courts-circuits successifs : études commandées pour gagner du temps, communiqués balancés pour griller le voisin, prendre l’opinion de vitesse… «Cinquante personnes sur une tête d’épingle», dit Woessner (Didier Bezace) pour décrire cet Etat dont le pouvoir n’a eu de cesse de se rétracter sur une scène toujours plus étriquée. Le tempo des coups de théâtre ministériels bat la chamade, tout advient sous la forme du fracas, de l’accident, du coup de gueule, et la méthode est toujours celle du savonnage de planche et de la promotion piégée.
A un moment donné, le ministre, qui ne quitte jamais l’appendice de son smartphone, fait défiler son annuaire : «4 000 contacts et aucun ami à qui parler.» L’ami justement, le seul, est en fait un allié, Gilles (Michel Blanc, parfait en homme de l’ombre), et sa constance maniaque dans l’art de piloter les réformes fout les jetons. Pierre Schoeller a écrit et réalisé cet Exercice de l’Etat qu’il a voulu très romanesque et, en même temps, ancré dans une expérience précise de l’action gouvernementale.
Le film a quelque chose d’impérieux et de survolté (inhabituel dans le cinéma français), opérant une synthèse rare entre excitation narrative pure et regard critique sans pitié. Il nous met en contact avec un désir de puissance, qui est aussi un trip de junkie, une recherche passionnée de la poussée d’adrénaline qui ne connaît plus de limite dès lors que la drogue est engendrée par le système lui-même. L’actualité nous le prouve tous les jours.
DIDIER PÉRON
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MELANCHOLIA
Lars von Triers
ÉTOILE DE MAÎTRE
Lars von Triers
ÉTOILE DE MAÎTRE
Etait-il raisonnable d'attendre du nouveau film du Danois Lars von Trier, le prince des ténèbres du cinéma contemporain, qu'il rompe avec l'atmosphère dépressionnaire qui empoisse les écrans depuis l'ouverture du Festival de Cannes ? La réponse est non, bien entendu, et il faut de ce point de vue reconnaître à Melancholia l'honnêteté de l'annoncer dès son titre, avant de se conformer rigoureusement au programme que celui-ci induit. Un petit détour étymologique n'est d'ailleurs pas inutile pour déterminer les enjeux du film.
Dérivé du latin, et plus anciennement du grec, le terme "mélancolie" désignait dans l'Antiquité la "bile noire", dont l'excès causerait, selon la théorie des humeurs d'Hippocrate, un sentiment de profonde tristesse, associé néanmoins à la marque créatrice du génie. Cette croyance est étayée par la cosmologie de l'époque, qui associe l'état mélancolique à Saturne, planète à la fois funeste et convoitée. L'historien de l'art, Jean Clair, dans une mémorable exposition consacrée à la mélancolie en 2005 au Grand Palais, a non seulement montré l'extraordinaire fortune de ce thème dans l'histoire de l'art, mais aussi le lien électif qui existe entre mélancolie et création artistique.
Ce détour, qui risque de sonner pédant, n'est pas indispensable pour apprécier le très beau film de Lars von Trier. Disons simplement qu'il permet de mieux le mettre en perspective, à une époque qui a fini par confiner la mélancolie, sous l'influence de la psychiatrie et du productivisme, dans les champs exclusivement négatifs de la pathologie et de l'inutilité. Cela permet de comprendre, d'abord, que le recours du cinéaste au terme latin traduit un désir de revenir à l'ambiguïté initiale du terme. Cela permet de voir, ensuite, à quel point l'intrigue et l'iconographie du film sont déterminées par les croyances et les œuvres anciennes liées à la mélancolie.
L'action, dialoguée en anglais, n'est pas précisément située. Elle se déroule dans une superbe demeure dont l'immense jardin descend en pente douce vers la mer. La première partie du film porte le nom d'une de ses héroïnes, Justine (Kirsten Dunst), qui y célèbre son mariage. Si elle n'était placée sous le signe de la mélancolie, plutôt que de l'hystérie, cette partie pourrait évoquer le vaste psychodrame familial mis en scène par Thomas Vinterberg dans Festen (1998). Mais tout ici se passe à bas bruit. Les turpitudes ne sont que suggérées (la misanthropie de la mère de Justine, la lâcheté de son père, la vulgarité de son patron), regardées depuis le point aveugle de l'incompréhensible résistance de la jeune fille à la joie et au bonheur que la vie réclame d'elle à cet instant.
Hommage à la vie
Le deuxième chapitre porte le nom de sa sœur, Claire (Charlotte Gainsbourg), qui avait organisé avec son riche mari, John (Kiefer Sutherland), cette somptueuse cérémonie conclue sur la débandade générale, dont celle du jeune marié. En compagnie de Justine, recluse désormais dans une profonde torpeur dépressive, Claire, John et leur fils se préparent à observer un événement cosmique extraordinaire : le frôlement de la Terre par la planète Melancholia, géante bleue qui vient de contourner le Soleil et se rapproche à vive allure. Muni de son télescope et de sa foi dans les calculs rassurants des scientifiques, John attend l'événement avec sérénité. Claire est quant à elle terrorisée, tandis que sa sœur, Justine, appelle la catastrophe de ses vœux. Devant l'inéluctable, c'est pourtant elle qui rendra le plus fervent hommage à la vie, donnant à Lars von Trier l'opportunité d'une fin aussi terrassante dans sa beauté plastique que dans sa portée morale.
Ce film magnifique, de ceux dont la vision restera gravée en nous, témoigne une fois encore de la stupéfiante disposition de Lars von Trier à faire voir son univers à travers une expression plastique constamment inventive, constamment renouvelée. On pourrait ainsi définir son film comme un commentaire cinématographique de la célèbre gravure allégorique d'Albrecht Dürer (Melencolia, 1514) mis en mouvement par la partition en trois actes du Tristan et Isolde (1865), de Richard Wagner, le tout servant de réplique européenne à Avatar (2009), de James Cameron.
Mais Melancholia est autre chose encore, qui le rend particulièrement émouvant : la transfiguration artistique du rapport si particulier au monde de Lars von Trier en un sentiment qui soit enfin perceptible et partageable par le plus grand nombre. La fin du monde semblerait pour ce faire un viatique un peu facile, si les désastres écologiques, l'autodestructivité de l'homme et l'impuissance patente de sa science ne rendaient cette hypothèse de nouveau crédible.
Jacques Mandelbaum
Dérivé du latin, et plus anciennement du grec, le terme "mélancolie" désignait dans l'Antiquité la "bile noire", dont l'excès causerait, selon la théorie des humeurs d'Hippocrate, un sentiment de profonde tristesse, associé néanmoins à la marque créatrice du génie. Cette croyance est étayée par la cosmologie de l'époque, qui associe l'état mélancolique à Saturne, planète à la fois funeste et convoitée. L'historien de l'art, Jean Clair, dans une mémorable exposition consacrée à la mélancolie en 2005 au Grand Palais, a non seulement montré l'extraordinaire fortune de ce thème dans l'histoire de l'art, mais aussi le lien électif qui existe entre mélancolie et création artistique.
Ce détour, qui risque de sonner pédant, n'est pas indispensable pour apprécier le très beau film de Lars von Trier. Disons simplement qu'il permet de mieux le mettre en perspective, à une époque qui a fini par confiner la mélancolie, sous l'influence de la psychiatrie et du productivisme, dans les champs exclusivement négatifs de la pathologie et de l'inutilité. Cela permet de comprendre, d'abord, que le recours du cinéaste au terme latin traduit un désir de revenir à l'ambiguïté initiale du terme. Cela permet de voir, ensuite, à quel point l'intrigue et l'iconographie du film sont déterminées par les croyances et les œuvres anciennes liées à la mélancolie.
L'action, dialoguée en anglais, n'est pas précisément située. Elle se déroule dans une superbe demeure dont l'immense jardin descend en pente douce vers la mer. La première partie du film porte le nom d'une de ses héroïnes, Justine (Kirsten Dunst), qui y célèbre son mariage. Si elle n'était placée sous le signe de la mélancolie, plutôt que de l'hystérie, cette partie pourrait évoquer le vaste psychodrame familial mis en scène par Thomas Vinterberg dans Festen (1998). Mais tout ici se passe à bas bruit. Les turpitudes ne sont que suggérées (la misanthropie de la mère de Justine, la lâcheté de son père, la vulgarité de son patron), regardées depuis le point aveugle de l'incompréhensible résistance de la jeune fille à la joie et au bonheur que la vie réclame d'elle à cet instant.
Hommage à la vie
Le deuxième chapitre porte le nom de sa sœur, Claire (Charlotte Gainsbourg), qui avait organisé avec son riche mari, John (Kiefer Sutherland), cette somptueuse cérémonie conclue sur la débandade générale, dont celle du jeune marié. En compagnie de Justine, recluse désormais dans une profonde torpeur dépressive, Claire, John et leur fils se préparent à observer un événement cosmique extraordinaire : le frôlement de la Terre par la planète Melancholia, géante bleue qui vient de contourner le Soleil et se rapproche à vive allure. Muni de son télescope et de sa foi dans les calculs rassurants des scientifiques, John attend l'événement avec sérénité. Claire est quant à elle terrorisée, tandis que sa sœur, Justine, appelle la catastrophe de ses vœux. Devant l'inéluctable, c'est pourtant elle qui rendra le plus fervent hommage à la vie, donnant à Lars von Trier l'opportunité d'une fin aussi terrassante dans sa beauté plastique que dans sa portée morale.
Ce film magnifique, de ceux dont la vision restera gravée en nous, témoigne une fois encore de la stupéfiante disposition de Lars von Trier à faire voir son univers à travers une expression plastique constamment inventive, constamment renouvelée. On pourrait ainsi définir son film comme un commentaire cinématographique de la célèbre gravure allégorique d'Albrecht Dürer (Melencolia, 1514) mis en mouvement par la partition en trois actes du Tristan et Isolde (1865), de Richard Wagner, le tout servant de réplique européenne à Avatar (2009), de James Cameron.
Mais Melancholia est autre chose encore, qui le rend particulièrement émouvant : la transfiguration artistique du rapport si particulier au monde de Lars von Trier en un sentiment qui soit enfin perceptible et partageable par le plus grand nombre. La fin du monde semblerait pour ce faire un viatique un peu facile, si les désastres écologiques, l'autodestructivité de l'homme et l'impuissance patente de sa science ne rendaient cette hypothèse de nouveau crédible.
Jacques Mandelbaum
Sur la polémique :
lire le dossier de CECILE DESBRUN:
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