Programme Juin 2008


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AVANT-PREMIERES CANNES 2008


au Renoir à partir du 2 juillet

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Programme & Horaires
du 04 juin au 01 juillet

(cliquez sur le document)


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UN CONTE DE NOEL d'Arnaud Desplechin



Dès son premier moyen métrage La vie des morts (1991), Arnaud Desplechin est récompensé par le prix Jean Vigo et remarqué par l’ensemble de la profession. Déjà, les thèmes principaux du réalisateur sont présents : distance problématique entre sensualité et intellect, relations hommes-femmes, difficulté de l’aboutissement d’une œuvre. On y voit également nombre d’acteurs avec lesquels il retravaillera ensuite. Il y a là Emmanuel Salinger, acteur qu’il fera jouer dans La Sentinelle, premier long métrage réalisé en 1992. Egalement co-scénariste du film, Salinger recevra pour ce film le César du Meilleur jeune espoir. Très vite, Desplechin est propulsé chef de file d’une nouvelle génération baptisée « Nouveau Cinéma Français » par Les Cahiers du Cinéma. Si Salinger est aussi de l’aventure Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle), long réalisé en 1996, c’est Mathieu Amalric qui en tient cette fois le premier rôle, ce qui lui vaudra également un César du Meilleur jeune espoir. Le succès public de ce film place le réalisateur au rang d’intello tendance existentialiste mondain. Trois ans plus tard, le metteur en scène signe Esther Kahn, film anglophone avec Summer Phoenix sur les turpitudes d’une jeune actrice. Puis vient un essai cinématographique autour d’une tentative d’adaptation de Dans la compagnie des hommes, pièce du dramaturge britannique Edward Bond. En décembre 2004, Despleschin sortait son 4e long-métrage, Rois et reine. Actrice principale du film, Emmanuelle Devos, qu’on voit apparaître dans tous les films du réalisateur, prend là toute son ampleur. C’est pourtant Mathieu Amalric, par ailleurs époustouflant, qui recevra cette année là un César du meilleur acteur.




Roi et reine (extrait)

Que se passera-t-il à Noël ? Rien, sans doute», entend-t-on de la bouche de Mathieu Amalric au hasard du premier film français de la compétition. Que s’est-il passé vendredi soir ? Rien, sans doute. Un petit rien de rien du tout, 2 h 23 du nouveau film d’Arnaud Desplechin, en majesté. Le festival de Cannes vient de commencer.


Mythologie. Quelques secondes avant de faire semblant de minimiser le programme des festivités de Noël, Henri (Mathieu Amalric), malsain à souhait, une ordure, la pire de toutes, de celles qui ne prennent même pas la peine de vouloir séduire, dévisageait ses compatriotes : sa sœur Elizabeth (Anne Consigny), qui lui a barré l’entrée de la famille, son petit frère Ivan (Melvil Poupaud, à son meilleur) autrefois fêlé et désormais sauvé, ravi. Il pose les yeux sur son père (Jean-Paul Roussillon), replié sur son territoire, la musique, comme dans une bulle - il en est ainsi depuis la mort d’un plus petit frère -, et sa mère, «la femme de [son] père» (Catherine Deneuve, plus classe que jamais), sa mère, qui peut le dévisager tout en fumant une cigarette et, avec un calme presque réconfortant, lui balancer qu’elle ne l’a «jamais aimé». Contemplant cette crèche vivante, cette famille réunie pour l’occasion (entre la gravité du deuil et l’ivresse hystérique de la résurrection), il savoure : «On est ici en plein mythe et je ne sais pas de quel mythe il s’agit.» Comme effectivement ici maman s’appelle Junon, la mère de tous les dieux dans la mythologie romaine, et le père Abel, ce prénom à la fois hébraïque, biblique et coranique, on peut comprendre la perplexité hilare d’Henri et commencer à esquisser nous aussi un sourire : la puissance absolue de la mythologie Desplechin est de se présenter comme une pure construction. Elle opère là où elle veut, par greffe.




Force. Junon est malade. Pour la sauver, son corps demande la greffe d’une moelle compatible. Au cœur du cercle familial, seules deux le sont. Celle de Paul, ado perturbé, fils d’Elisabeth, et celle d’Henri, le mauvais fils, celui que l’on a chassé. Henri est le fils de Junon : il est sorti d’elle et sa moelle va refaire son entrée en elle. Cette opération, si elle ne marche pas, verra Junon se consumer, brûler de l’intérieur. Comme chez Desplechin, ce qui se passe à l’intérieur se voit à l’extérieur, le risque médical devient tragédie familiale. Etrangement, lui qui n’a jamais filmé que ça, la famille, le clan, en tire un calme à la limite du réconcilié.



On est toujours surpris de lire que le cinéma de Desplechin a la famille en horreur - c’est une drôle de chose que de haïr son seul sujet. Mais cela l’aura rendu plus résistant. La force de taureau d’Un conte de Noël, c’est celle de quelqu’un qui choisit la famille malgré tout et bien qu’elle soit moins un foyer qu’une scène de théâtre, un tribunal.



La vigueur actuelle d’Arnaud Desplechin, sa densité, est rare dans le cinéma français. Depuis Roi et Reines, il commence à aller contre ses propres effets d’écriture, ses trop grandes facilités (il en reste, le travail n’est pas achevé). Il leur oppose une violence plastique, des scènes bousculées, balancées sur l’écran comme on jette des boules d’argile. Pour la première fois surtout, il ferait presque penser à un sportif dans un moment de réussite : il ne filme plus, il défie.

Philippe Azouri


Entretiens (Cliquez sur les vignettes)





Un conte de Nöel :











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YOUNG YAKUZA de Jean-Pierre Limosin






Pour la première fois, un film ouvre donc les portes de ce qu'on croyait à jamais réservé à la fiction, un film documentaire - c'est en tout cas tel qu'il se présente - mais peut-être pas comme son réalisateur, Jean-Pierre Limosin, l'a entièrement conçu. Car Young Yakuza va bien montrer ce qu'on croyait caché, il va certes nous promener à travers un monde méconnu, mais la forme qu'il va prendre est inattendue. Au départ, on pourrait dire qu'il s'agit d'une commande. Alors que Limosin rentre du Japon, une amie lui présente un homme, de passage à Paris, qu'il comprend être un yakuza, et qui ne s'en cachera pas. Celui-ci lui propose alors de venir filmer de l'intérieur son univers. Limosin hésite, puis accepte, le tournage s'étalera sur un an et demi. D'emblée un pacte est établi, le cinéaste ne filmera pas les activités illégales du clan. Comment alors s'investir, sur quelle(s) piste(s) partir, et comment se situer ? C'est là que l'auteur se décide à montrer l'entrée d'une jeune recrue, Naoki, vingt ans, un peu paumé, dont la mère accepte de confier son fils à la pègre, car il faut bien faire quelque chose. Le film se divisera donc en deux, une partie sur lui, sa formation, l'autre sur le boss, qui prend le film comme carte de visite, jusqu'à une bifurcation à mi parcours.

Bande annonce:





Entretien avec Jean Pierre LIMOSIN : (Cliquez sur les vignettes)








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ROME PLUTÔT QUE VOUS de Tariq Teguia




Pas si courant les premiers longs-métrages qui donnent le sentiment d'une plénitude formelle (plus que d'une maîtrise). Rome plutôt que vous est de ceux-là, qui suit le parcours de quelques personnages en quête d'ailleurs dans une Alger désolée. Désolée, évidée, fantôme, une ville qui s'inscrit dans la droite ligne de celles que le cinéma moderne a mis en scène, particulièrement chez Antonioni, figure tutélaire qui plane au dessus du film sans jamais être écrasante. Le cinéma moderne et ses continuateurs (Jia Zhang Ke, par exemple), n'en finit pas d'extirper des non-lieux et des zones incertaines des abords des villes matière à une sorte de poétique désaffectée, à instiller un parfum de déshérence qui, chez Tariq Teguia, prend aussi une forte coloration politique.

Son Alger, ces rues dans lesquelles on marche sans trop savoir vers quoi on se dirige, cet hallucinant quartier de « La Madrague », avec ses villas à moitié construites, aux façades impénétrables et aux volets clos, derrière quoi suinte un délétère sentiment de complot, tout renvoie à l'impossibilité de construire quoi que ce soit. Entre la fuite vers l'esclavage dans les pays occidentaux et l'enlisement quotidien du local (dont la séquence en voiture dans La Madrague est l'exemple le plus cinégénique), les personnages sont pris dans une gangue mortelle de laquelle ne peuvent s'échapper que quelques éclats poétique de liberté (le foot sur le plage, les plans « vides » libérés de la pesanteur des choses) amenés irrémédiablement à retomber dans l'horreur de la guerre lente (le plan séquence avec les flics dans le café).

La beauté de Rome plutôt que vous vient de là, d'une façon de faire le récit de l'Algérie contemporaine par des lieux, qui ne peuvent jamais prétendre à se constituer en lieux de mémoire, tant le symbolique, la référence à l'Histoire semblent avoir désertées le cadre. Des lieux sans objet, sans origine ni destination qui ne signifient plus rien.

Jean-Sébastien Chauvin








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EN AVANT JEUNESSE de Pedro Costa










Entretien avec Pedro Costa (Cliquez sur les documents)







Pedro Costa continue de graver une mémoire sombre et dure de l’extrême périphérie. Immobile et magnifique dans ses cadres, une vision de cinéma explorant les recoins, les trous de cette frange pauvre, noire et camée que nos sociétés engendrent dans l’ombre. Une part à moitié morte, rarement sinon jamais filmée de manière aussi noble et digne, quand bien même implacable dans sa lenteur.


Si l’on suit au début, qu’on s’échine à comprendre, il faut vite renoncer à plaquer nos grilles de fiction tant les corps, les voix, les visages se confondent tous à l’ombre. Une ombre épaisse dévorant presque le cadre entier, à l’image du cinéma de Costa, étrange objet d’épouvante dans le jeu courant de représentation du social.

Hors du réel, hors de fiction. L’œuvre au noir.

Impossible de parler de réalisme social, tant c’est d’abord l’image, le cadre qui compte ici. A voir cet homme noir au milieu des toiles de béton tendues derrière lui, on retrouve d’emblée l’art de Costa cinéaste. L’extrême composition des cadres, les jeux d’ombres, l’ascétisme visuel que certains, parce qu’ils en refusent l’affrontement du contenu, qualifient de maniériste. Costa tient son film au rebus, à fond d’impasse, sur le fil d’une lame noire et blanche.

Humour de plans sans séquence.

L’homme passe en zombie dans ces pièces blanches, calmes et vides, trop petites puis trop grandes. Il y a toujours un problème d’extrêmes chez Costa, même si l’humour tente ici une entrée inédite. L’insolite de deux hommes, allumettes noires sur un décor de théâtre inversé aux murs couverts de blanc. Déséquilibre cocasse, où l’on ne sait trop quand rire, ni même si c’est permis. L’effet comique du Eat de Warhol. D’interminables plan-séquences, où le spectateur rejoint presque Ventura, moitié-vivant, moitié-mort, ne sachant plus choisir entre beauté formelle et fatigue des grandes eaux.

Dans ce cadre tout au noir subsiste un fin trait de lumière. A peine assez pour éclairer un coin de table, un bout de visage, l’éclat des yeux, le détail d’un tableau. Au milieu des ombres, un canapé, un fauteuil percent au rouge. Costa filme la pauvreté par ses pores, entre générations. Ventura représente les premiers immigrés capverdiens venus au Portugal avec un rêve debout qui finira par terre et mal payé.

Le respect par l’effroi.

Ventura, par son opacité, est un vrai personnage. Sans événement, sans aventure. Un être qui clignote dans l’ombre, témoin muet du monde qui l’entoure. Pas de spectacle, ici. Rien à ne se mettre sous la dent qu’un réel aux ongles dures. Une nudité un peu effrayante que la mise en scène, par ses fulgurances, ses perles fugaces, habille avec extrême rigueur. Pedro Costa refuse le montage comme on forge une éthique. Il s’interdit par là de faire spectacle avec la souffrance, la pauvreté, pour mettre le cinéma plus haut. Ce qu’il montre de ces vies, c’est le temps de l’après.

Une aristocratie de la lenteur.

Bien sûr les plans sont démesurément longs. Une lenteur en écran qui rebute et fait fuir. Le regard de Costa pose d’ailleurs la question. Pourquoi ne sommes nous plus capables d’accepter cette lenteur ? En quoi ce retour en boomerang d’une image immobile est-il si perturbant pour le spectateur, sinon parce qu’il nous impose un devoir, celui de choisir son camp, de se positionner. Celui de voir en face quelque chose qui meurtrit.

Ce monde de l’après enregistre la fin des mythes.
Ventura, visiteur d’infortune, continue de chercher rencontre, quand les autres se terrent, s’enferment, se regardent tomber. Lui seul porte au regard, dans son allure, sa pose presque, la noblesse, l’aristocratie propre à la mise en scène de Costa.

Noblesse et pauvreté sans fiction-cadeau.

Une table, un chandelier, un globe : le marquis arrive. Filmer la misère revient donc pour le cinéaste portugais à créer une autre échelle de regard. Le motif du retournement est à l’œuvre partout. Dans la lumière et la couleur d’abord, du noir le plus sombre au blanc le plus vif. Dans l’échelle sociale ensuite, retournant le plus bas d’un crochet vers le haut. Quand bien même brisé, pauvre à coucher par terre, Ventura s’engage à payer pour Vanda et sa fille leur voyage à Fatima. Un cinéma pour l’humain, d’un homme à terre devenu prince au détour d’un plan-fixe.

Aristocrate presque mort à l’image de Paulo, Ventura n’est rien de moins qu’un fantôme. Un homme en visitant d’autres à la recherche de ce qui ne reviendra plus - la vie d’avant. Un personnage croisant à mesure dans l’ombre des musées, des taudis, des logements sociaux, ce que personne ne veut voir en l’état, sans fiction-cadeau. La ruine, la misère, le vide d’une certaine déchéance.

Pleine lumière naturelle, jusqu’au noir le plus sombre, Costa n’instrumentalise pas. Plutôt que d’utiliser ces quatre morts de la pauvreté, il les révèle par sa mise en scène, tout en leur conférant une noblesse, une dignité rare. Cinéma minoritaire ? Dont acte. Chacun prendra ses coupes, mais l’expérience est grande, quand bien même quelques cendres coincées au fond de l’œil.

Stéphane Mas (extrait d'article)





La France a découvert Pedro Costa dans le désordre. Présenté dans de nombreux festivals, son premier long métrage (Le Sang, 1989) a attendu dix ans une distribution commerciale. Et le second (Casa de lava, 1995) est passé relativement inaperçu. Il a donc fallu attendre la sortie d'Ossos (1997) pour que soit vraiment reconnu un des cinéastes les plus singuliers de sa génération, irréductible à son appartenance au "cinéma portugais", ultime avant-garde européenne et industrie introuvable, cinématographie uniquement composée d'artistes, guère assemblables sous une étiquette commune. Depuis Ossos, Costa a réalisé deux nouveaux films, deux documentaires. La Chambre de Vanda (2000), retour dans le quartier cap-verdien de Fontainhas, à Lisbonne, où il avait déjà tourné le film précédent, et un portrait de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub pour la série télévisée de Janine Bazin et André S. Labarthe, Cinéma, de notre temps. Alors que La Chambre de Vanda attend toujours une sortie en salles, après avoir été l'événement du dernier Festival de Locarno, l'hommage de La Rochelle est l'occasion de mesurer le chemin accompli par le cinéaste, dont l'oeuvre en devenir exige plus qu'une autre une vision ordonnée, chronologique, du Sang à La Chambre de Vanda, afin de s'apercevoir comment Costa chemine vers l'essentiel, de quelle manière il se défait de ses peaux mortes, tel un serpent, pour aboutir à une forme radicalement nouvelle, une proposition de cinéma d'une puissance inouïe.
A la fois pur objet de fascination, oeuvre d'art dotée d'un fort pouvoir hypnotique, et odyssée matérialiste où on ne cesse de se cogner à un monde d'une dureté de fer, Ossos appelait son pendant documentaire, son reflet objectivé. Ce sera La Chambre de Vanda, avec Vanda Duarte et sa soeur Zita, déjà présentes dans Ossos, ici assiégées dans leur quartier menacé de destruction, répétant pendant deux heures quarante de projection les gestes et les mots de leur survie de toxicomanes. Il est indispensable de voir ces deux films pour saisir la geste artistique de Costa, sa dialectique de cinéaste déchiré entre son tempérament de peintre et son beau souci de concrétion. C'est à force de se vouloir objectif et impersonnel que le film devient onirique, et la parfaite composition plastique de chaque plan est mise en tension avec l'aspect brut de décoffrage de la prise documentaire. Le dispositif et la matière du film s'opposent et se répondent pour faire de La Chambre de Vanda l'aboutissement provisoire de la démarche cinématographique de Pedro Costa, artiste dont la maîtrise rentre par la fenêtre quand il tend à la faire sortir par la porte, et dont le minimalisme apparent recèle des trésors de vitalité. En plus d'être un film immense, La Chambre de Vanda est la démonstration que le surgissement de l'accidentel ne peut se produire que dans un cadre rigoureusement concerté, leçon straubienne s'il en est.

Frédéric Bonnaud

Dans la chambre de Wanda










Pour aller plus loin

Pedro Costa filme Jean-Marie Straub et Danièlle Huillet sur le montage de leur film SICILIA












PLOY de Pen-Ek Ratanaruang






Pierre Alferi stigmatisait naguère certains clichés du cinéma asiatique, dont «l’inusable "malaise existentiel" qui se ramène, avec sa copine "l’incommunicabilité".» C’est un peu la trouille qu’on a au début de ce sixième long-métrage de l’auteur de Vagues invisibles, venu de la pub et du graphisme. Ascenseurs pneumatiques, hôtel labyrinthique, corps étendus sous la moiteur, son de train en parasite du silence permanent. Très vite, cependant, on s’aperçoit que Ploy est l’original brillant qui manquait à ce film dénervé et intrinsèquement plagiaire qu’est Lost in Translation. Sauf que pour la première fois de l’histoire du cinéma, le modèle est tourné après son remake.




Dang et Wit sont venus assister aux funérailles d’un proche à Bangkok et ils demeurent dans un hôtel de luxe. Lors d’une insomnie, Wit, le mari, rencontre nuitamment une Lolita du nom de Ploy au bar de l’hôtel. Comme elle attend sa mère et n’a pas de chambre, il lui propose de l’héberger. Daeng supporte mal cette présence qu’elle juge incongrue et qui se révèle bientôt inquiétante. Pendant ce temps, sans rapport apparent avec Daeng et Wit, une femme de chambre et un barman vivent une passion charnelle dans une chambre vide du complexe.



Durant leurs ébats, l’homme revêt de façon fétichiste un costard que sa maîtresse a volé à la buanderie, sans autre forme d’explication. Enfin, une troisième voie s’ouvre lorsque Daeng quitte la chambre et qu’on apprend qu’elle a été star de ciné sous le nom de Thiranan. Ce retour à une vie précédente l’entraîne logiquement chez un antiquaire.



Comme il l’avait fait dans "Last Life in the Universe", Ratanaruang s’amuse à confondre rêve, imaginaire des personnages et objectivité. Si Ploy fait des loopings narratifs et empile les récits qui bifurquent sur la tête de ses héros, ce n’est pas pour faire le malin, mais parce que cette diffraction représente adéquatement la mobilité du désir et des identités contemporaines. Ploy n’est ici qu’un catalyseur qui permet de radiographier la crise que traversent Daeng et Wit, couple arrivé dans le creux de sa sexualité, où la jalousie et la pulsion de mort ont remplacé le goût de la vie. Peut-être Ploy est-elle une créature de rêve ou, plus sûrement, une rêveuse, qui secrète et unifie tous les autres personnages. Les moins endormis noteront en particulier que le mystérieux cocard qu’elle porte au début de l’intrigue se déplace à la fin sur le visage de Daeng (pour disparaître au plan suivant).

N’entrerait-on pas dans toutes ces arguties sur les couloirs de la personnalité qu’on pourrait cependant se régaler de Ploy comme d’un thriller et d’un soft porn à la fois : il a d’ailleurs été censuré en Thaïlande à cause des scènes de sexe, dont un cunnilingus un peu plus que caliente.

Le corps maigre de la toute jeune Ploy répand lui-même dans le huis clos de cette chambre d’hôtel un malaise érotique qui finit par devenir toute la substance du récit.



Comme à son habitude, Ratanaruang se révèle maître en voiles et reflets, s’amuse avec les multiples (une seule sonnerie perdue au milieu de cinq téléphones, les jambes de Daeng dans celles de mannequins raides). Parfois aussi, il compose des images fantômes, presque subliminales, comme lorsque Daeng laisse Wit après une dispute. Derrière elle, sur le mur de l’ascenseur par lequel elle s’enfuit, perce une imperceptible tache de gras, écho furtif de la larme qui coule sur sa joue.


Eric Loret (Liberation 16/04/2008)



Bande annonce :
Plus d'infos sur ce film



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TOUS LES AUTRES S'APPELLENT ALI de Rainer W. Fassbinder


Dans un café fréquenté par des travailleurs immigrés, Emmi, veuve d’une soixantaine d’années, fait la connaissance d’Ali, un Marocain plus jeune qu’elle. Ali s’installe chez elle dès le lendemain, puis ils se marient.
Les enfants d’Emmi, ses voisins, ses collègues, tous sont scandalisés par cette union. Le couple est mis à l’écart, mais va vite se révéler indispensable à la communauté…


« Fassbinder décide d’offrir les rôles principaux d’un mélodrame classique,
remake avoué de Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk,
à deux personnages qui sont généralement, au mieux, repoussés dans les marges,
au pire, carrément exclus du cinéma.
Lui les intègre à une fiction qui, terrible préjugé, ne semblait a priori pas pour eux.
(…) Et, au bout du compte, Fassbinder réussit l’essentiel :
rendre l’invraisemblable évident. »

ERWAN HIGUINEN, Libération, 11 avril 1997



« J’ai déjà raconté cette histoire dans le film Le Soldat Américain. C’est la rencontre d’une femme vieillissante et d’un émigré turc.
Ils se marient et la femme, un jour, est retrouvée morte.
Mais je ne voulais pas qu’elle meure, aussi j’ai modifié l’histoire.
Je voulais donner la possibilité au couple de vivre ensemble.
Ce qui m’importait, c’était de montrer comment on pouvait se défendre et
arriver à s’en sortir malgré l’hostilité des autres, combattre les
préjugés profondément enracinés… »

R.W. FASSBINDER (1973)



(Cliquez sur l'image pour accéder au dossier du Centre Pompidou)


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YUMURTA de Semih Kaplanoglu




Entretien avec Semih Kaplanoglu
Cliquez sur les vignettes









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TROP JEUNES POUR MOURIR
de Park Jin-pyo





Park Jin-pyo est né à Séoul en 1966.
Diplômé en cinéma de l'Université de
Chungang en 1989, où il réalise deux
films en 16mm Escape from Seoul (1987) et
Learning the World (1988), il intègre en 1991 la
chaîne de télévision SBS comme producteur-
réalisateur de documentaires. Puis, en 1997, il
est engagé par la chaine I-TV où il devient
quelques années plus tard directeur de l'unité
documentaire. C’est en réalisant en 2001 son
documentaire en trois volets Love, qu’il
rencontre Park Chi-gyu et Lee Sun-ye, les
héros du film.
Trop jeunes pour mourir est son premier long
métrage de fiction.

LES ACTEURS :



Park Chi-gyu est né à Mooan, province de
Jeollanam, en 1930. Invalide de guerre (il a
combattu dans l'infanterie lors de la guerre de
Corée et a été blessé à la cuisse en 1950), il
travaille comme fermier jusqu’en 1989. Il
déménage ensuite à Séoul, où il tient une
échoppe de vente de cigarettes jusqu'à la mort
de sa femme en 1999. En février 2001, il
rencontre Lee Sun-ye dans un centre pour
personnes âgées et a le coup de foudre pour
elle. Ses quatre enfants sont mariés.

Lee Sun-ye est née à Ichoen, province de
Gyonggi-do, en 1931. Mariée à 18 ans, elle a
perdu son mari, lui aussi invalide de guerre,
en 1996. Elle commence à étudier en 1977 les
percussions et les chants traditionnels de
Gyonggi avec les maîtres Lee Dong-an et Che
Chang-nam. Depuis 1990, elle enseigne cette
forme de chant traditionnel dans différentes
institutions privées. En février 2001, elle
tombe amoureuse de Park Chi-gyu dans un
centre pour personnes âgées. Ses trois fils sont
mariés et sa fille est célibataire.


Vous avez travaillé avec Park Chi-gyu et Lee
Sun-ye pour la première en 2001 lorsqu'ils ont
participé à Love, un documentaire en trois
parties que vous avez réalisé pour I-TV.
Qu’est-ce qui vous a poussé à faire de leur
histoire un film ?

Comme tout réalisateur qui se respecte, je
dois, avant de faire un film, me demander
pourquoi et comment je veux le faire. Et ma
motivation est toujours l’exploration du
champ amoureux. C'est ce qui m'a poussé à
faire Love où je m'intéresserais à la solitude de
sept personnes âgées et à leur position
marginale dans la société. Je ne sais pas si c'est
la même chose dans d’autres pays mais, en
Corée du Sud, discuter des besoins, y compris
sexuels, des personnes âgées est un sujet
quasiment tabou. Comme la télévision impose
certaines contraintes et que je souhaitais aller
plus loin, j’ai décidé d’en faire un film. Voilà
comment le projet est né.

Vous vous êtes, avant tout, attaché à
dépeindre les émotions de Park Chi-gyu et Lee
Sun-ye laissant de côté leurs histoires
personnelles, leurs origines, leurs milieux…
Pourquoi un tel choix ?

Mme Lee m'a dit un jour que l’amour se
construit, qu’il ne vous tombe pas dessus. Et
sa remarque m’a convaincu que rien ne
différencie son couple des autres couples.
Qu’en fait tous les couples sont confrontés aux
mêmes questions. Si je m'étais également
intéressé à leur passé, mon propos serait
devenu plus sociologique et plus diffus.
Ce qui m'attirait chez eux, et c’est ce que j’ai
tenté de retranscrire, c’était leur indéfectible
volonté de n’être jamais séparé. Comme en
témoigne la scène où M. Park rentre chez lui et
trouve un mot de Mme Lee disant qu'elle
revient. Il est tellement fou d'inquiétude qu’il
la cherche partout, son absence ayant ravivé le
souvenir douloureux de ses années de
veuvage.
Cette scène s’inspire d’ailleurs d’un incident
qui s'est réellement produit trois mois environ
avant le début du tournage. Lors d’un voyage
organisé, Mme Lee était en effet allée voir,
sans le dire à M. Park, ses voisins de palier
pour discuter avec eux.

Comment les avez-vous convaincus de faire
l’amour devant la caméra ? Et pourquoi
l’avez-vous tourné en plan séquence ?

Pour eux, le sexe est à la fois une source de
joie et une manifestation de leur santé et de
leur vigueur. C'est ce qui les conduit à vivre
comme ils le font. Je savais donc que je devais
les montrer en train de faire l’amour.
Maintenant que le film existe, je ne pense pas
qu'il soit important de savoir comment je les ai
convaincus. La seule chose que vous devez
savoir est que je ne les y ai pas obligés. La
manière dont ils font l’amour est d’autant plus
belle qu’ils ont de la considération l’un pour
l’autre et qu’ils sont à l’écoute du désir de
l’autre. Et si j’ai filmé cette scène ainsi, c’est
qu’en tant que réalisateur, je ne voulais rien
faire qui puisse interférer.

Comment M. Park et Mme Lee ont-ils reçu le
film ?

Ils sont tous les deux très contents et très fiers
du film. Ils pensent qu’il est fidèle à leur
expérience et à leurs émotions. Trop jeunes
pour mourir leur doit beaucoup.

Interview réalisée par Tony Rains à Séoul


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L'UN CONTRE L'AUTRE de Jan Bonny










Premier film courageux du jeune réalisateur allemand Jan Bonny, «l’Un contre l’autre» visite la planète interdite des hommes battus. Une claque.

Lors de leurs crises conjugales, Anne et Georg ont pris l’habitude de se battre. L’homme est massif, la femme frêle, mais c’est pourtant la femme qui bat l’homme, le roue de coups avec tout ce qui, dans leur appartement, lui tombe sous la main et le finit à coups de pieds dans les flancs. Un homme battu. Ce n’est pas du tout ce à quoi on s’attendait, puisque le cliché social, hélas statistiquement validé, nous a habitués au contraire. Mais la qualitéprimordiale de ce premier film du jeune (29 ans) Jan Bonny consiste justement à déjouer pas à pas tout ce qu’on pouvait en attendre.

S’ouvrant sur une ronde de nuit dans les faubourgs d’une ville allemande non identifiée, le ton semble être celui d’une chronique policière. Georg Hoffmann est officier de police, plutôt courageux puisqu’on le découvre en train de circonvenir un forcené qui a pris en otage et mis en joue un de ses collègues. Derrick, le retour ? Georg en a le gabarit. Sauf que le collègue, une fois l’agité maîtrisé, est obligé d’admettre aux yeux de tous, qu’il a pissé dans son froc. Une vanne fuse : «Monsieur Pipi.» Premier pas de côté. Suivi d’un autre quand le super-flic rentre à la maison, un bouquet de fleurs à la main pour sa chère et tendre. C’est un couple de quadragénaires, petits bourgeois dans un appartement au diapason. Ils s’embrassent à se retrouver le soir, les baisers ne sont pas ceux d’un vieux couple, le bouquet est bien accueilli.

Mortifications. Et pourtant, un tas de petites choses ne vont pas. Un certain embarras, pas mal de contraintes dans les gestes, fussent-ils d’affection. Comme si l’image emportait avec elle le remord de son apparente limpidité. Ce qui n’empêche pas de nous engouffrer sur la piste du film social, puisque le récit multiplie les scènes propres à ce genre. Tableaux de la petite bourgeoisie allemande dans une ville moyenne, extraits de la vie de bureau, au poste de police ou à l’école maternelle où Anne est institutrice, mise en situation des enfants du couple, une fille et un garçon, étudiants gentiment rebelles (le garçon veut arrêter son droit pour apprendre la cuisine, tu parles d’un drame !), scène obligée du repas de famille où suintent, mais pas trop, les habituelles mortifications tenant ici au fait que les parents d’Anne aident financièrement son couple. On s’ennuie un peu, le film aussi puisque c’est un de ses sujets : la torpeur des habitudes, les ankyloses de l’ordinaire.

Mais toujours le malaise rôde, comme un invité surprise qui finit par mettre le pied dans la porte la première fois qu’Anne, excédée par une broutille, se déchaîne sur son mari. C’est une claque, qu’on n’a pas vue venir tant elle est habilement mise en scène comme un avatar de la banalité, une manière extravagante mais pas si extraordinaire de faire le ménage, de donner un coup de torchon. Pour qualifier ce type de comportement, on parle bien de violence domestique.

Reste que le choc visuel tient à l’inversion des rôles : la femme cogne et l’homme encaisse. C’est presque comique. Ne serait-ce que parce qu’il y a toute une iconographie populaire qui, sur un mode drolatique, met en scène le rouleau à pâtisserie de la mégère et le mari qui file doux.

Mentalement surgissent cependant des questions plus graves sur les motifs de cette femme et les raisons de cet homme. La dialectique du bourreau et de l’esclave n’est heureusement pas au programme. L’hypothèse d’un contrat SM rôde puisqu’après leurs séances particulières, la femme, après coups, guigne des cajoleries.

Tourments. Mais quel que soit l’apaisement de ces explications, elles ne sont jamais suffisantes, d’autant que le film instille d’autres tourments nettement plus énigmatiques, éventuellement familiers et surtout irrésolus. Comme le suggère le titre original (Gegenüber, «Vis-à-vis»), le personnage principal, c’est le couple, «entité à redondances vides» comme l’écrivit le spécialiste August Strindberg. De fait, les espérances de retrouvailles se perdent bien vite dans les rouages des figures imposées (belle scène de fiesta à la maison, où les copains de Georg exagèrent Anne dans le rôle de la parfaite maîtresse de maison). Et que dire du classique «Ciel, mon mari !», décoiffé par l’attitude du mari qui assiste au coït de son épouse avec un collègue, bien assis dans un fauteuil du salon, comme au cinéma ma foi ?

Le plan est très graphique où l’on observe Anne et Georg lovés «l’un contre l’autre» : en position gémellaire, endormis, apaisés peut-être ? Donnant en tout cas corps à la récurrente et apparemment contradictoire revendication des personnages : à la fois disparaître et attirer l’attention.

GÉRARD LEFORT


Plus d'infos sur ce film




ENTRETIEN avec Jan Bonny


Jan Bonny est né en avril 1979 à Dusseldorf. Il a vécu et travaillé
jusqu’ici aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et en Allemagne. Diplômé de
la Haute école d’arts et médias de Cologne, il a réalisé un court-métrage
2ND AND A produit par Heimatfilm et de nombreux spots publicitaires.
«L’UN CONTRE L’AUTRE» (GEGENÜBER) est son premier long-métrage.

❍ Pourquoi avoir choisi le titre GEGENÜBER («vis-à-vis» en français au sens littéral) pour ce
film?
Il y est question d’un couple, de Georg et d’Anne. Qui se font face dans leur relation, dans une
confrontation directe.
Ils sont en fait tout simplement en quête d’un vis-à-vis. Leur couple s’est tellement isolé dans sa
relation que chacun n’a plus que son partenaire comme écran de projection. Ce cumul d’attentes
et de frustrations constitue un potentiel de conflits considérable. D’autre part, le titre fait allusion
au fait que cette histoire pourrait se dérouler n’importe où ; probablement en face de chez vous.

❍ Au centre du film, il y a un couple lié par un conflit qui dure depuis des années et qui se

manifeste parfois avec une dureté exceptionnelle.
L’histoire décrit l’aggravation extrême d’un conflit de couple fondamentalement ordinaire. L’origine
de ce genre de conflit, nous le connaissons tous. Cela commence avec les petites négligences
quotidiennes. Dans une relation, on s’habitue à tout et cela représente d’abord une force incroyable.
Sans elle, ce serait tout simplement intenable. Mais le caractère inévitable de cette évolution présente
évidemment aussi le risque de l’excès d’habitude, qui peut à son tour entraîner un excès de sensibilité
à certains stimuli, bons et mauvais.
À un moment donné, l’un des deux commence à faire monter la mise, juste pour ressentir à nouveau
quelque chose. D’où le risque accru de se retrouver pris dans un cercle vicieux, car une fois ce point
atteint, on n’a plus le choix : il faut s’habituer toujours davantage et en même temps hurler encore
plus fort pour se faire entendre, pour rompre avec les habitudes.

❍ Vous évoquez ici l’un des éléments centraux de cette histoire : la violence physique.

Dans L’UN CONTRE L’AUTRE (GEGENÜBER), il est avant tout question de dépendance, d’amour,
d’angoisse... La violence ne représente dans cette histoire qu’un élément parmi d’autres. Le premier
propos du film, ce n’est pas l’agression physique. Mais c’est en se frottant à elle que s’enflamment
sans cesse la dimension dramatique de l’histoire, la honte des protagonistes, la façon dont ils
vivent leurs propres incapacités. Alors qu’ils dissimulent tout, face à l’extérieur, Anne et Georg
sont tous les deux soumis dans leur relation à une très forte pression. Leur situation est quasiment
sans issue.

❍ Pourquoi avez-vous eu envie d’aborder ce sujet?

Au départ, il y a un communiqué sur lequel je suis tombé dans un journal qui évoquait une étude
danoise sur la violence domestique. Cette étude montrait que la violence domestique exercée par
les femmes au sein du couple est bien plus répandue qu’on l’imagine.
Plus encore que la dimension sensationnelle de cette nouvelle, ce qui m’a le plus intéressé à ce
moment-là, c’était l’étrange disproportion entre l’importance de cette information et la taille du
communiqué qui lui était consacré. On l’avait tout simplement dissimulée. Et cela montre bien que
dans notre société, cette forme de violence n’est pas thématisée, qu’on ne tolère pas qu’elle le soit.
J’ai eu envie de raconter ce rapport conflictuel, parce qu’il représente à mes yeux l’évolution que
peut connaître une relation tout à fait normale lorsque les choses se mettent à mal tourner. On ne
peut pas réduire ce film au seul sujet de la violence. Le regard que jette le film n’est pas celui
d’une critique sociale du phénomène. C’est l’histoire de deux personnes, qui oscillent entre deux
désirs : disparaître et susciter l’attention.

❍ Dans le conflit entre Anne et Georg, il y a une victime et un bourreau?

Non, pas sous cette forme. Pour moi, le personnage principal, c’est le couple lui-même et donc la
constellation entre les deux protagonistes. Chacun tourne seul autour de soi et de l’autre, entre l’horreur
et ses aspirations. Les actes et les réactions se provoquent toujours, l’un l’autre. Chercher à faire une
distinction entre victime et bourreau n’est pas le bon moyen pour appréhender ce qui se passe.

❍ Pourtant, le film pose ces deux personnages intégrés dans la colonne vertébrale de notre

société : ils travaillent tous les deux pour l’Etat, ils ont élevé leurs enfants...
Je trouvais important de situer ces personnages dans l’épine dorsale de notre société : Georg est
commissaire de police, Anne institutrice. Quoique, en y regardant de plus près, on se rend compte
qu’aujourd’hui, les enseignants et les policiers ne constituent plus cette fameuse colonne vertébrale.
Ces deux personnages s’inscrivent dans une société qui fonctionne d’après certaines règles et
certaines représentations de la morale, du travail et du sacrifice. En fait, ils stigmatisent ce qui
faisait le coeur de l’ancienne RFA. Or cette dernière n’existe plus, on la regarde aujourd’hui comme
les vestiges d’une culture disparue.
Les personnages, d’Anne et de Georg, sont tout à fait capables, de par leur métier, de gérer les
conflits et les problèmes de manière professionnelle. Ce qui ne veut pas forcément dire qu’ils y
parviennent dans le privé.

❍ Votre rencontre avec les acteurs?

Victoria Trauttmansdorff (Anne) et Matthias Brandt (Georg) sont de remarquables comédiens. Ce
que j’apprécie, chez eux, c’est qu’ils sont très investis dans leur vie privée, ce sont des citoyens
engagés. Et pour ce film c’était important. Tous deux se sont appropriés les personnages très
simplement, sans avoir recours à aucun artifice.

❍ Comment avez-vous articulé l’image et le récit?

Avec Bernhard Keller, le chef opérateur, nous avons travaillé, intentionnellement, une lumière
chaude. Le rouge, le jaune sont les couleurs que nous avons privilégiées, comme sur les vieilles
photos de Noël prises sans flash. Il me semblait important de conférer au film un caractère privé,
tout en évitant une forme proche de la chronique ou du documentaire. Il fallait donc, d’une part,
nous éloigner d’images apparemment objectives, où le spectateur se sentirait exclu et d’autre part
nous ne devions pas perdre toute distance, sous peine de rendre les personnages ridicules.
En partant de cette position, nous avons décidé de ne jamais placer la caméra avant les personnages,
du moins chaque fois que c’était possible, mais d’évoluer avec les personnages afin de vivre avec
eux leur isolement et le caractère inéluctable des événements qu’ils traversent. Nous restons dans
la réalité d’Anne et de Georg, tous les deux ne sont plus capables de prendre de la distance par
rapport à eux-mêmes, ni de réfléchir à leur rôle dans cette relation.




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FRANCAISE de Souad El-Bouhati





La banlieue d’une petite ville française. Heureuse, Sofia grandit dans l’insouciance de ses 10 ans. Une nuit, son père décide soudainement d’emmener toute sa famille vivre au Maroc, de retourner vers ses racines. Perdue dans ce pays qui n’est pas le sien, Sofia n’aura de cesse de renouer le lien avec cette France qui l’a vue naître…





Née en 1962, Souad El Bouhati est éducatrice sociale dans des centres d'hébergement pour personnes en difficulté à Toulouse pendant une dizaine d'années puis décide de changer de voie : " Je ne pouvais plus être confrontée directement à la misère. J'avais vu ce que c'était, je me sentais impuissante car nous étions payés pour maintenir cette population en veilleuse. " Elle rencontre alors Dominique Andreani de Movimento Productions sur le tournage de Bonjour je vais à Toulouse, un court métrage de Jacques Mitsch sur lequel elle est assistante scripte. Elle part à Paris suivre des études de cinéma à l'université de Paris VIII. Elle y fréquente notamment un atelier de scénario dirigé par le regretté Philippe Arnaud où lui vient le goût de l'écriture. Puis elle travaille pour Movimento sur de nombreux tournages dont ceux de Laurent Achard. Secrétaire de production sur son long métrage, Plus qu'hier, moins que demain, elle passe trois semaines sur le plateau, expérience qui lui donne définitivement l'envie de sauter le pas de la mise en scène. Encouragée par son entourage, elle écrit Salam. L'écriture a été pour elle une période très positive et sereine, sans enjeu, puisqu'elle n'était pas réalisatrice. Elle obtient une subvention du FAS, l'aide au court métrage du CNC, de l'APCVL et une bourse de la fondation Beaumarchais, enfin une récompense lors du festival du court métrage de Clermont-Ferrand 2000.





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