22 octobre au 04 novembre

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GRILLE HORAIRES










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De la Guerre
Bertrand Bonello


C’est peut-être l’œuvre au noir de Bonello. Le moment le plus délicat dans une filmographie, l’opération alchimique où il faut tout dissoudre pour atteindre l’or pur, se remettre en question pour libérer l’esprit de ses préjugés. On pouvait regretter (mais c’était consubstantiel à leurs sujets) quele Pornographe laissât à désirer ou que Tiresia ne tînt pas vraiment ensemble. De la guerre, en revanche, s’enfonce bravement dans la forêt, fascine de bout en bout, fait jouir au sens où le tragique, loin d’être malheureux, est un éclat de joie.

Cercueils. C’est Nietzsche qui le dit, mais on va quand même vous passer une couche de Clément Rosset par-dessus, car la lecture de la Philosophie tragique accompagne parfaitement De la guerre, beaucoup mieux que le livre dont il porte pourtant le nom et la marque, le De la guerre de Clausewitz. Rosset : «Voici la finalité prioritaire que l’on découvre dans nos fêtes, et voilà pourquoi on y est si heureux, si attentif : un beau duel et un bel ennemi, dont la puissance infinie nous révèle notre puissance infinie, puisque nous y résistons, puisque nous ne sommes pas encore morts ! Car nous devrions être morts, écrasés, depuis longtemps : notre constatation de non-décès, qui est au cœur de notre fête, nous ouvre des horizons infinis sur notre propre valeur : voilà qui est enivrant, voilà pourquoi on est graves à nos fêtes, même au sein du rire.» Cela résume parfaitement l’économie du film : que la légèreté et le plaisir ne viennent que de l’expérience de la mort, qu’ils ne se gagnent que par la guerre.


Aussi De la guerre est-il parcouru de cercueils et de tombes, et s’articule autour de la perte d’un enfant. Il y a Amalric, qui s’appelle Bertrand et qui est réalisateur. On le voit à un moment assis sur la tombe de son père, sur laquelle, en plissant bien les yeux, on lit le nom de Bonello. Malgré cet aspect autofictif, c’est aussi Amalric tout court, trimballant avec lui toute l’incertitude, la brisure sardonique qui caractérise la plupart de ses rôles. Dans la première séquence, Bertrand remplit une feuille de sécu dans une laverie, tout en téléphonant : «Chaque jour, raconte-t-il à son interlocuteur, il est certain d’une chose différente, donc il ne fait rien. Il est au milieu de tout. Il est nulle part, il n’est rien.» Puis il s’en va essayer un cercueil dans un magasin de pompes funèbres. Il s’y trouve bien, y expérimente le «sublime». Il rencontre Guillaume Depardieu, qui lui propose de le suivre dans une espèce de château où officie Asia Argento en prêtresse de la jouissance. On y vit en collectivité, on fait des exercices militaires, on prend la nature à bras-le-corps en mimant le cadavre en terre. Le mot d’ordre est : «Quand on ne jouit pas, on se repose.»



Du coup, De la guerre est un film à rebours de la production nationale actuelle, de ses histoires de familles encaustiquées, de transmission de valeurs et de fondamentaux (la religion, les enfants). C’est une œuvre qui cherche avec toute l’énergie d’un sain désespoir à «être là» plutôt qu’ailleurs, qui frémit de danger. Vivre plutôt que survivre : Bonello s’amuse à montrer un Paris devenu en quelques années lieu de saturation, assourdi de flics à chaque coin de rue et de sirènes continuelles. Revenu chez lui, Amalric dessine un lapin et ne lui fait pas de pattes. «Non, il n’a pas de pattes. Aujourd’hui, j’ai accepté qu’il ne se passe rien de spécial et ce fut donc une belle journée» : éloge de l’inutile, de l’inconséquent et de l’irresponsable. De la vie libre et non-manufacturée. De la guerre finit un peu comme Petit à petit, de Jean Rouch, dont les héros quittent la société pour faire une «confrérie de vieux cons», SDF volontaires exilés du pragmatisme et du trop-plein.

Dissonance. S’il est tragique, le film est, on l’a dit, par conséquent joyeux. Amalric en porte tout l’humour et malmène son Bonello comme un diable. Asia Argento le prévient : «Tu seras un peu angoissé.» Aussitôt, un plan gore de Tiresia lui apparaît en rêve. Il parle de faire un beau couple à sa femme et il ajoute «comme Jean-Jacques Schuhl et Ingrid Caven». On sourit. Et s’il est tragique, c’est donc qu’il danse. Après le musical My New Picture, De la guerre est un film opératique, à la façon du Nouvelle Vague de Godard. Bande son impeccable, dissonance indispensable. On pense à Wozzeck, de Berg ,et au chant final de l’enfant qui a perdu son père. Car comme le dit Hélène Cixous, «lorsque je perds mon père, je perds son enfant. L’enfant que j’étais pour lui, l’enfant que je suis pour moi». C’est tout le sens de la seconde partie du film.
ERIC LORET (Libération)

Entretien avec Mathieu Amalric
Cannes 2008












Dossier de Presse


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Serpico
Sidney Lumet


Dans une voiture de police sirène hurlante, une figure ensanglantée. Dans un commissariat, un homme raccroche le téléphone. “Devine qui s’est fait descendre ? (...) Serpico À ton avis, c’est un flic qui l’a buté ? J’en connais six qui ont dit qu’ils le feraient volontiers.” Ainsi débute un des meilleurs films de Sidney Lumet, auteur longtemps dénigré par la critique - notamment française - parce qu’inégal dans son œuvre (il alterne des projets ambitieux et des films de commande comme Le crime de l’Orient-Express). Néanmoins, il a produit beaucoup plus que des demi-réussites et reste un réalisateur passionnant par les sujets qu’il traite. Amoureux de New York, Lumet a constitué une sorte de tétralogie policière sur la ville avec Le gang Anderson avant Serpico puis Un après-midi de chien et Le prince de New York. Adapté d’un roman de Peter Maas, Serpico relate l’histoire vraie d’un flic intègre confronté à la corruption du système dans lequel il travaille. Al Pacino, qui reçu le Golden Globe et fut nominé aux Oscars pour ce rôle de composition, incarne, dans le New York fin années 60 début 70, un policier idéaliste, atypique et novateur (il se déguise fréquemment afin d’approcher de plus près ceux qu’il doit appréhender).



Véritable réflexion sur la difficulté de rester honnête au sein de la police d’une grande métropole, le film nous montre que l’intégrité n’est pas une qualité inébranlable. Elle est faillible et son défenseur doit lutter quotidiennement pour la préserver. Mal payés, les flics se laissent soudoyer pour fermer les yeux sur des trafics en tout genre.
Entré dans la police par vocation, Franck Serpico, découvrant petit à petit le système gangrené dans lequel il évolue, refuse de se soumettre à cette loi parallèle, cautionnée même par les plus hautes autorités. “S’ils concentraient toute cette énergie et qu’ils la mettaient à faire leur métier de flics, il ne faudrait pas huit jours pour nettoyer New York et en finir avec la pègre.” À noter que son surnom est Paco, pas Sarko... Cette détermination le mènera vers une descente aux enfers où le danger qu’il affronte alors n’est plus seulement incarné par les malfrats qu’il pourchasse mais aussi par ses propres collègues. “J’ai l’impression d’être un criminel parce que je ne prends pas d’argent.” Poussé par quelques policiers intègres à témoigner devant le grand jury, il devra jouer au chat et à la souris au sein de sa division afin d’obtenir des renseignements sur les rouages de ce système corrompu. Succès mondial, le film a fait l’objet d’une série TV, crée par Peter Maas et produite par Emmet G. Lavery J.-R., diffusée en France en 1978. Au cours des 15 épisodes de 60 minutes, David Birney était Serpico.

Dossier Cinémathèque Française :





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L'Homme de Londres
Bela Tar
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INTERVIEW BELA TARR


Du Nid Familial à L'homme de Londres, qu'est-ce qui, selon vous, a réellement changé dans votre cinéma ?
J'ai de moins en moins besoin des mots pour traduire des émotions ou des situations. Les mots sont de plus en plus atrophiés, de plus en plus vains. Plus j'avance dans le temps et donc dans mon travail, plus je me rends compte qu'un plan-séquence ou un regard renseignent plus sur un personnage que n'importe quel dialogue. Dans L'homme de Londres, ça se traduit lorsque la caméra fixe le visage d'une veuve qui écoute ce qu'un vieux commissaire lui raconte. J'utilise également la musique pour renseigner sur l'humeur d'un personnage et, à ce niveau, je travaille toujours avec mon acolyte, Mihály Vig.



Est-ce qu'il ne s'agit pas, au fond, une manière d'interpeller le spectateur de manière purement émotionnelle et moins démonstrative ?
Oui. Ce qui m'a donné envie de faire du cinéma, c'est donner la possibilité au spectateur de voir ce qu'il y a autour de nous et de lui communiquer ma façon de voir le monde sans apposer de jugement sur qui que ce soit. Mon cinéma appelle des sensations, exprime des émotions et ne demande aucune réflexion. Je réfute toute théorisation dans mon cinéma. La lenteur de mes films est justifiée par ma détermination à capter le réel, à coller à l'horloge de chaque personnage sans exception. Pour L'homme de Londres, je n'ai gardé que l'essence noire du roman de Simenon et l'univers des petites gens ; je n'ai jamais cherché à le transposer de manière littérale en suivant fidèlement toutes les étapes dramaturgiques.


Avez-vous été obligé au cours de votre carrière de faire des compromis ?
Je vais être très franc avec vous: jamais. Jamais de la vie. Je sais ce que je veux dire, je sais ce que je veux faire et je n'ai jamais baissé les bras. Sur aucun de mes films. Et si un jour, on m'avait empêché de faire ce que je voulais, alors j'aurais arrêté le film et donc le cinéma. Je n'adhère pas à cette idée qu'il faut faire un film à tout prix parce qu'il est nécessaire de faire un film et de fait de se vendre à un système. Si je ne suis pas en mesure de raconter clairement ce que je veux, alors je ne le fais pas, sinon je ne serai pas sincère. Et pour L'homme de Londres, j'ai fait le film que je voulais malgré les difficultés du tournage, malgré la mort d'Humbert, un producteur formidable qui m'a toujours protégé dans toutes les circonstances.

Dans L'Homme de Londres, vous mettez en avant un thème qui vous est cher et que vous ressassez comme une obsession depuis vos débuts : le matérialisme corrompt la société, les idéaux, et mène fatalement l'être humain à sa perte.
Je l'ai toujours pensé et je le pense toujours. Le film qui a été le plus explicite sur ce sujet reste Almanach d'automne. Mais les liens entre mes films sont normaux étant donné que je considère toute ma filmographie comme un seul, long et grand film fragmenté de manière épisodique. D'ailleurs, je pense que mon prochain long-métrage sera le dernier et l'aboutissement de toute ma carrière.

Pourquoi le dernier ?
Parce que je suis catastrophé par le cinéma d'aujourd'hui. Je pense que les spectateurs veulent de moins en moins d'un cinéma exigeant. Je considère souvent qu'il y a deux genres de films. Le premier, c'est celui qui traite les spectateurs comme des enfants et les distraie avec des contes de fées alors qu'en réalité, tout ce qui intéresse les producteurs, ce sont le résultat au box-office et l'argent que ça va leur rapporter. Et puis, il y a le second que l'on n'estime pas et qui traite pourtant les spectateurs comme des adultes en misant sur leur sensibilité et leur intelligence. La question est de savoir qui entre les deux a la démarche la plus démocratique et humaniste. Pendant toute ma carrière, j'ai toujours veillé à ne jamais sous-estimer les capacités du public et j'ai fait des films pour ceux qui aiment ça parce que je pense qu'ils y ont droit et que ça doit exister.

Ce renoncement doit être perçu comme une forme de désespoir ?
Peut-être, oui, mais il y a aussi que mon cinéma réclame trop de moyens et que j'ai toujours eu pour habitude de faire en sorte qu'à chaque nouveau film, je bouleverse des codes, j'invente des idées de mise en scène tout en travaillant un style qui m'est propre. Si je vous montre par exemple l'extrait d'un film de Fellini, vous serez capable de me dire qu'il s'agit d'un film de Fellini, même en ayant vu qu'une seule minute! J'aime cette idée d'un cinéma qui appartient totalement à son auteur, qui possède sa marque. Dans L'homme de Londres, je souhaite que le spectateur reconnaisse une identité pour qu'il puisse se dire que, derrière la caméra, quelqu'un a une vision. Avec L'homme de Londres, je me suis rendu compte que j'étais peut-être arrivé à la limite de ma capacité à me renouveler et à créer de nouvelles formes.

Avec le recul, est-ce que la présentation de L'homme de Londres ne vous a pas épuisé ?
Non. Rien ne me tue. Je remarque juste - et je ne parle pas du festival de Cannes là - que le public en général est de moins en moins enclin à «vivre un film». De manière franche et totale. Mais je reste heureux de voir que des jeunes cinéphiles connaissent mon cinéma et même les premiers films réalisés à une époque où ils n'étaient pas nés. Au festival de Cannes, il y a eu une projection de L'homme de Londres pour la presse et, il faut l'admettre, les journalistes regardent plusieurs films par jour et n'ont pas le temps d'apprécier pleinement un film. Selon moi, le simple fait que certains regardent le film jusqu'au bout, dans son intégralité, a presque relevé du miracle. Lors de la projection publique du film, ce fut la standing ovation. J'étais très heureux car c'était la première fois que l'on montrait le film terminé. Donc au contraire je conserve de Cannes un excellent souvenir.

L'Homme de Londres de Georges Simenon

Dossier :




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Appallossa
Ed Harris




C'est un western, situé en 1882, dans une ville fictive du Nouveau-Mexique, Appaloosa. La région est terrorisée par le chef d'une bande de brutes patibulaires, assassins et violeurs. Randall Bragg, ce cynique (Jeremy Irons), vient d'éliminer le shérif local venu chez lui faire justice, sans le moindre état d'âme. Une fine gâchette, vêtue de noir, "machine à imposer la légalité", comme on le disait de Pat Garrett, est appelée pour la sécurité des citadins.



L'homme (Ed Harris) débarque avec son fidèle adjoint (Viggo Mortensen), exige les pleins pouvoirs, défie l'invincible qui faisait régner la terreur, parvient sans coup férir à l'enfermer dans une cellule, le faire juger et condamner à mort. Le gang du bandit va tenter de délivrer son chef avant l'exécution de la sentence. Rien de très nouveau là-dedans, on a déjà vu cela cent fois. Qu'est-ce qui fait qu'on y prend plaisir, en dépit de tous ces rites rabâchés : l'arrivée à cheval du mercenaire impénétrable, son art à ramener l'ordre dans le saloon de l'hôtel, le maniement du colt 45 et du fusil calibre 8, l'attaque des Indiens, le duel final, le départ vers l'horizon de l'éternel célibataire ? Précisément : la déclinaison de ces codes, le jeu qu'ils représentent, la tradition du genre. Le western est un art ludique. Ed Harris le sait bien, qui montre un lion regardant passer le train dans la vallée, vignette enfantine... Mais la qualité de l'interprétation, ici irréprochable, comme l'originalité du traitement, y sont pour quelque chose. Appaloosa est un western un peu décalé, parsemé d'humour, explorant un territoire fictif inhabituel. Histoire d'une irréductible amitié d'abord. Deux durs à cuire ayant bourlingué ensemble durant douze ans se font une confiance aveugle (et justifiée). Ils sont déterminés à faire correctement leur métier jusqu'au bout.



UN IDÉALISTE
Le film, proche de ceux d'Howard Hawks, fait diverger les trajectoires du shérif Virgil Cole (Ed Harris) et de son adjoint Everett Hitch (l'épatant Viggo Mortensen). L'un rendra son étoile, l'autre pas. Lequel des deux aura conservé une conscience morale à toutes épreuves ? Affaire d'appréciation peut-être. D'un côté la défaite de la justice, de l'autre celle de la légalité. Auteur du film, Ed Harris, au regard bleu, pose le dilemme. Bloc de sang-froid capable de regarder l'inquiétant hors-la-loi dans les yeux sans ciller, le number one qu'il interprète a un complexe intellectuel. Il cherche ses mots, son sbire lui sert de dictionnaire. Il est troublé par une femme, une veuve, opportuniste et nymphomane. Du point de vue de ce personnage qui, symboliquement, finit handicapé par une balle qui lui a brisé le genou, Appaloosa est l'histoire d'un idéaliste politique et sentimental contraint d'avaler des couleuvres. Le point de vue du compère est celui de Gary Cooper dans ce classique de Fred Zinnemann, Le train sifflera trois fois (1952), film où figure le même profil de femme prompte à se marier, impatiente de voir son futur époux oublier son travail. Film où l'on retrouve le même combat entre un shérif incorruptible, étranger à ce sentiment qu'est la peur, et une malhonnêteté étatique qui, à l'époque, portait le nom de maccarthysme. La même détermination à éliminer le diable, bien que délié de son serment, ayant rendu son enseigne de shérif. Les arrière-pensées d'Ed Harris restent à décrypter.
Jean-Luc Douin


Rencontrer un acteur, c'est s'exposer à des surprises, à des déceptions. L'interlocuteur exerce un métier fondé sur le faux semblant. A moins que l'on ne rencontre Ed Harris juste après avoir vu Appaloosa, le western que l'acteur a réalisé. Il y joue aussi le rôle de Virgil Cole, un shérif itinérant appelé à la rescousse par les braves gens d'une ville terrorisée par un féroce propriétaire terrien. Un homme au regard bleu qui ne cille jamais, qui parle doucement parce qu'il sait qu'on l'écoute. Comme Ed Harris. Appaloosa est tiré d'un roman de Robert B. Parker, par ailleurs auteur de polars. L'écrivain jure que la première fois qu'il a rencontré l'acteur, il s'est "surpris à traiter Harris comme s'il était Virgil Cole, avec précaution". Quand on lui cite cette phrase, prise dans un texte publié par le New York Times, Ed Harris se met à rire : "Je crois que ce qui a impressionné Parker c'est que j'ai vraiment fait un film de son livre. C'est vrai, je tiens ma parole et une fois que je suis décidé, je vais jusqu'au bout." Il n'a fallu que deux ans de la vie d'Ed Harris pour qu'Appaloosa voie le jour, entre le moment où il a lu le livre en vacances et la sortie du film. Le temps qu'il fallait pour trouver l'argent, écrire le scénario avec un vieil ami qui n'a jamais réussi jusqu'ici à vendre un seul script, convaincre son collègue Viggo Mortensen (ils avaient joué ensemble dans History of Violence) d'incarner Hitch, l'alter ego de Virgil Cole, tourner quarante-quatre jours en Arizona et au Nouveau-Mexique et monter le film. Un moment dont il parle comme aucun autre réalisateur ne parlerait de son film : "La prochaine fois, je ne me donnerai pas un rôle aussi important. On rate trop de choses au moment de la prise de vues. Je suis content du montage final, mais j'ai tourné trop de matériaux inutilisables, j'ai laissé faire des choses qui ne marchaient pas du tout." C'est la deuxième fois qu'Ed Harris passe derrière la caméra. La fois d'avant, il lui avait fallu dix ans pour arriver à ses fins. Pollock est sorti en 2000. A la fin des années 1980, le père de l'acteur lui avait offert une biographie du peintre. Un rôle en or, mais un film impossible à monter, jusqu'au moment, un an avant le tournage, où Ed Harris s'est dit qu'il serait Jackson Pollock devant la caméra et qu'il coproduirait et réaliserait lui-même cette biographie. La ressemblance entre Harris et Pollock est frappante. Restait à faire croire que l'acteur était physiquement capable de recouvrir des toiles à la manière du peintre. Tout en cherchant à réunir le budget du film, Harris s'est mis à projeter de la peinture sur des toiles. Jusqu'à contrôler ces éclaboussures. Plus récemment, lorsque la réalisatrice Agnieszka Holland lui a proposé de jouer Beethoven au soir de sa vie, l'acteur a pris des leçons de piano pendant un an, a découvert le violon et la direction d'orchestre. "Le film L'Elève de Beethoven est resté une semaine sur 30 écrans en Amérique avant de disparaître, mais ça m'est égal, il me reste l'expérience", dit l'homme-orchestre. L'expérience Pollock a laissé plus de traces : "J'y ai mis beaucoup de mon argent, explique Ed Harris. Je ne suis pas riche, et j'ai investi plus que ce je possédais." Ensuite, parce que le rôle était exigeant, le portrait d'un homme de génie, miné par l'alcoolisme, dépendant de son épouse, Lee Krasner (interprétée par Marcia Gay Harden). Présenté au Festival de Venise en 2000, Pollock a valu à l'acteur une nomination à l'Oscar, mais le réalisateur s'est mis en sommeil : "D'abord à cause de ma fille, explique-t-il. Elle a aujourd'hui 15 ans, elle en avait 7 ou 8 quand j'ai fini Pollock. Pendant dix ans, je m'étais mis des oeillères, j'étais obsédé." Dans l'intervalle, Ed Harris est redevenu ce qu'il était depuis son apparition remarquée dans L'Etoffe des héros en 1983, l'un des seconds rôles les plus recherchés d'Hollywood. "Je ne suis pas un acteur sur le nom duquel on peut bâtir un film, mais quand un réalisateur m'appelle, il sait que le travail sera fait, que je donne un certain cachet." Ancien joueur universitaire de football américain, il est devenu acteur d'abord pour retrouver l'attention dont il jouissait sur les stades. Mais il est trop doué pour se contenter d'une motivation aussi primaire. Il a 32 ans au moment de L'Etoffe des héros, dans la foulée, il crée Fool for Love, de Sam Shepard, sur scène, à San Francisco et à New York. Alors que la pièce est un immense succès, il l'abandonne pour aller tourner un petit film en Floride. C'est un inconnu nommé Bruce Willis qui reprendra le rôle. Aujourd'hui, l'agent d'Ed Harris doit répondre aussi bien aux réalisateurs de films à gros budgets qu'aux jeunes cinéastes indépendants. "Quand on me propose de jouer dans Benjamin Gates et le livre des Secrets, je sais que je toucherai un gros salaire et que je pourrai faire des films pour lesquels on n'est pas payé", explique-t-il. Il défend rationnellement, sans passion mais pas sans conviction, ce Benjamin Gates, succédané d'Indiana Jones produit par la maison Disney, faisant valoir que l'interprète du rôle principal, Nicolas Cage, est un bon acteur, et que le film n'est pas méchant. Ed Harris, en revanche, l'est tout à fait, incarnant un riche sudiste qui veut perpétuer l'héritage esclavagiste. Le comédien aime tellement travailler ses rôles qu'il a lu des ouvrages sur la guerre de Sécession et s'est documenté sur John Wilkes Booth, l'assassin de Lincoln, dont le scénario avait fait son ancêtre. Le vrai travail est ailleurs, dans l'infinie diversité des rôles qu'on lui a proposés, de Beethoven au tueur psychotique d'History of Violence, du producteur machiavélique du Truman Show au poète mourant de The Hours. La calvitie d'Ed Harris, qui serait un handicap chez n'importe quel autre acteur, est pour lui un atout, elle signale son autorité pour devenir, un film plus tard, le signe de sa fragilité. "J'adore me demander si j'arriverai à jouer quelque chose. Quand Agnieszka Holland m'a proposé Beethoven, je l'ai rappelée après avoir lu le script en lui disant d'accord, mais je ne sais pas si je suis foutu de le faire." Une curiosité qui ne le transforme pas forcément en omnivore. Quand Oliver Stone lui a proposé d'être le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld dans W., le film que le réalisateur de Platoon a consacré au président sortant, Ed Harris a décliné poliment la proposition. "Le rôle n'était pas si intéressant que ça" - pas le genre d'expérience qui lui permet de continuer à apprendre, la seule chose qui le passionne vraiment. Comme il est désormais devenu un acteur confirmé, il promet qu'il ne laissera pas à nouveau passer huit ans avant de poursuivre son apprentissage de réalisateur. Thomas Sotinel







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Les Aventures du Prince Ahmed
Lotte Reiniger et Carl Koch




En 1926, onze ans avant que Walt Disney n'impose l'idée qu'il avait réalisé, avec Blanche Neige, le premier long métrage d'animation, Lotte Reiniger terminait en Allemagne un film d'une heure et sept minutes réalisé en papier découpé. Inspiré des contes des Mille et Une Nuits, Les Aventures du prince Ahmed, qui ressort cette semaine sur les écrans dans une version magnifiquement restaurée, est le premier long métrage d'animation européen, et le deuxième de toute l'histoire du cinéma - le premier étant un film argentin, aujourd'hui perdu, El Apostol, de Quirino Cristiani.



La technique était relativement simple, et guère différente, seulement un peu plus artisanale, de celle qui préside aujourd'hui à l'animation traditionnelle en deux dimensions. Mais, pour obtenir le résultat envoûtant auquel est parvenue Lotte Reiniger, elle exigeait un travail de précision inouï.

Le film est conçu à partir de silhouettes découpées, articulées aux épaules, aux coudes et aux hanches et animées à l'aide d'un bâton. Elles sont posées à plat sur une feuille de papier transparent qui repose elle-même sur une table trouée en son milieu, et recouverte d'une vitre. Ainsi disposées, les poupées sont filmées dans différentes positions, image par image, sur des fonds de couleur. Il aura fallu pas moins de trois ans à Lotte Reiniger et à son équipe pour fabriquer les trois cent mille images nécessaires pour son film.



Injustement effacé de la mémoire du cinéma, Les Aventures du prince Ahmed est pourtant un joyau du genre, qui triompha auprès du public lors de sa sortie, et suscita l'admiration de nombreux artistes de l'époque, parmi lesquels René Clair, Jean Renoir ou encore Louis Jouvet. La version restaurée est mise en musique avec la partition originellement commandée par la réalisatrice à Wolfgang Zeller, et intègre, pour lire les intertitres en français, la voix de l'actrice allemande Hanna Schygulla.



Le film se déploie comme un théâtre d'ombres chinoises raffinées foisonnant de détails, de robes en dentelle, de moucharabiehs, de dragons qui propulsent le spectateur dans un ailleurs merveilleux où les climats visuels varient de l'abstraction géométrique à l'expressionnisme.

Construite en cinq actes, naviguant entre la ville du calife, l'île merveilleuse de Wak-Wak et l'empire de Chine, l'histoire est à dormir debout, et c'est tant mieux. Car la splendeur visuelle et la poésie qui s'en dégagent se nourrissent au lait de cette folie narrative.
Isabelle Regnier



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CHISTOPHE COLOMB
L'énigme
de Manoel de Oliveira




Le nouveau film de Manoel de Oliveira - il aura 100 ans le 12 décembre - tourne autour d'une idée simple, à la fois sérieuse et ironique, une hypothèse historique, un pari, un postulat romanesque : Christophe Colomb n'était pas génois, mais portugais. Et le cinéaste centenaire de livrer un petit bijou qui, avec une simplicité d'énonciation désarmante et une suprême élégance, effleure l'air de rien, toutes sortes de questions primordiales : l'Histoire, la mémoire, la fidélité et la passion, et ce que le cinéma peut confronter à la représentation de ces catégories. Christophe Colomb, l'énigme s'attache à un personnage auquel il invente un parcours biographique particulier. Manuel Luciano (incarné par le propre petit-fils de De Oliveira, Ricardo Trepa) émigre en 1946 aux Etats-Unis. Devenu médecin, il consacre son temps libre à vouloir démontrer l'origine portugaise de Christophe Colomb et emmène sa femme, en 1960, dans la présumée ville natale du navigateur, Cuba, qui aurait servi à nommer la plus grande île des Caraïbes.

Beaucoup plus tard, c'est à Porto Santo, île qui aurait été découverte par Colomb, que Luciano, désormais âgé (le rôle est tenu par Oliveira lui-même), emmène son épouse qui n'a cessé d'être à ses côtés durant ce que l'on devine avoir été de longues années d'investigation historique. Trois moments particuliers donc composent le film, l'émigration du jeune Luciano et son installation en Amérique, le voyage effectué immédiatement après ses noces, puis un demi-siècle plus tard, son arrivée à Porto Santo. A chaque périple, le dialogue est l'occasion d'un rappel d'événements divers survenus au fil des siècles.



VOYAGE CHARNEL

Christophe Colomb, l'énigme est une sorte de récit policier et poétique à la fois, qui s'étendrait le temps d'une vie, un récit attaché à la reconstitution érudite de faits peut-être imaginaires. Cette quête semble étaler un certain nombre d'éléments de ce qui pourrait constituer une identité nationale portugaise construite non seulement par l'Histoire, mais aussi par la conception que l'on se ferait de celle-ci, une conception où la science et la mythologie s'emmêleraient de façon inextricable.

Dans ses dernières minutes, ce voyage intellectuel et charnel à la fois se déploie en beauté sur la citation d'un poème de Pessoa et quelques mots d'une chanson évoquant la saudade, terme désignant cette mélancolie si particulière attachée au Portugal.

La mémoire est au centre du projet du film et la façon dont les humains entretiennent (ou pas) celle-ci. C'est ainsi qu'au temps qui passe inexorablement est opposé l'amour inextinguible (celui du docteur et de son épouse) et la quête de la trace patrimoniale, réelle ou imaginaire, inscrite dans le présent.

Mais celle-ci vaudrait moins comme preuve que comme pure expression poétique dans un réel climatique, naturel, obtus, discrètement pictural (cieux bleus du Portugal ou gris plombés de la Côte est des Etats-Unis) illustré par des images inspirées. Il est doux de penser que le passé qui semble hanter le présent si sensuel du nouveau film de Manoel de Oliveira n'est peut-être jamais advenu.
Jean-François Rauger










Lettre ouverte écrite à l’occasion de la remise de la palme d’or exceptionnelle décernée à Manoel de Oliverira

Cher Manoel De Oliveira,

Ce qu’il y a de bien avec vous, c’est que la formule d’usage qu’on emploie face aux seniors fringants ne passe pas. Dire : j’aimerais être comme vous au même âge est impossible vu qu’on est à peu près certain de ne pas l’atteindre, ce 100 ème anniversaire. Oui, Manoel, vous défiez l’entendement. Vous venez de réaliser un joli film tout simple, Christophe Colomb, L'énigme (sortie début septembre) sur la découverte de l’Amérique à la toute fin du XV ème siècle mais aussi au cours du XX ème, à travers les vagues d’émigration portugaise vers cette terre promise. Vous y apparaissez un moment en compagnie de votre femme et votre histoire intime rejoint la grande Histoire. Vous êtes un phénomène, Manoel. A la rentrée prochaine, vous allez débuter le tournage d’un nouveau film et vous avez un autre projet en cours. Vous n’arrêtez pas. Vous savez que le travail maintient en vie. Vous avez toujours en tête, vous nous l’aviez confié il y a quelques années à Porto, que votre père est mort juste après avoir pris sa retraite.



Hier, dans le Grand Théâtre Lumière où le festival de Cannes vous a rendu hommage, vous étiez comme à votre habitude facétieux. Il y avait du beau linge dans la salle - le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et la ministre française de la Culture et de la Communication, Christine Albanel. Il y avait aussi Clint Eastwood qui tenait à être là. Ce lien qui peut rapprocher l’auteur d’Unforgiven de vous, voilà bien qui démontre à quel point le cinéma réserve une infinité de passerelles. Et lorsque vous êtes monté sur scène pour recevoir votre Palme d’Or des mains de votre vieil ami, Michel Piccoli, la longue standing ovation allait de soi. L’émotion était palpable et je puis vous dire que j’ai vu des gens retenir leurs larmes. Vous avez cité Fellini qui disait à son scénariste Tonino Guerra, au sujet des problèmes de distribution : « Nous construisons des avions mais nous n’avons pas d’aéroports ». Et vous d'en conclure finement : « Les festivals sont des aéroports. Et le Festival de Cannes est le plus beau ». Permettez-moi d'ajouter que vos avions volent très haut dans le ciel. Mais je sais que vous n’aimez guère les hommages compassés. Alors je m’arrête en vous souhaitant la même chose que Gilles Jacob : « Portez-vous bien ».
Jacques Morice, TÉLÉRAMA

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KHAMSA
Karim Dridi





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Dossier de Presse :


Le camp décrit dans son film existe bel et bien. D’ailleurs, la plupart des acteurs y jouent leur propre rôle. Karim Dridi (“Bye-bye“, “Pigalle”) revient sur le tournage singulier de “Khamsa”, en salles depuis mercredi, l’histoire d'un petit gitan marseillais de 11 ans livré à lui-même.

Comment avez-vous découvert le camp gitan où se déroule Khamsa ?
Par mon ami Sofiane Mammeri, un des acteurs de Bye-Bye. J'ai halluciné : je me suis cru au Brésil, dans une favela. J'ai décidé d'y faire un film après avoir partagé le quotidien des gitans : dormir dans une caravane, boire des bières, aller à la plage avec les gamins... Pas de tout-à-l'égout, pas d'électricité, des rats gros comme des chats... Trois cents personnes vivent ainsi.

Vous avez tourné avec les jeunes du camp. Quelles ont été vos relations ?
Marco Cortes, l'interprète principal, n'est pas du camp : c'est un petit gitan sédentaire. Il va à l'école, bénéficie d'une structure familiale forte. Les enfants du camp, eux, sont pour la plupart déscolarisés, considérés comme des sauvageons, des récidivistes. Mais ils ont été capables de participer jusqu'au bout à un film, avec la rigueur que cela implique. De plus, ils ont dû accepter le soutien scolaire imposé par la Ddass pendant le tournage. Certains ont à nouveau envie d'étudier. Pour moi, c'est la meilleure des récompenses, mieux qu'une Palme d'or.

Avez-vous le sentiment d'avoir signé un film engagé ?
Je ne dissocie pas la politique du cinéma. Je voudrais que mes concitoyens prennent conscience de la misère de ces gens, des Français comme eux, et depuis des générations. Des enfants subissent cette injustice dès la naissance. Voilà pourquoi mon film a une dimension tragique, mais j'ai pris soin de montrer aussi la part lumineuse des gosses, même quand ils commettent des larcins. Le pouvoir voudrait punir les mineurs aussi sévèrement que les majeurs. C'est abominable. A une époque, j'avais un projet de film sur les établissements pénitentiaires pour mineurs. Eh bien, le camp de Khamsa est une prison à ciel ouvert.
Propos recueillis par Cécile Mury

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SERAPHINE
Martin Provost




“L’œuvre dont nous parlons est unique en son genre et défie toute comparaison. Sa genèse est incontrôlable. Elle échappe aux lois qui, d’ordinaire, régissent la peinture, bien qu’elle en satisfasse les plus extrêmes exigences. Séraphine, avec les éléments les plus modestes, quelques fleurs, des feuilles, des arbres, de l’eau qui court, a créé, par des moyens hardis qui sont sa conquête personnelle, une œuvre grandiose.”
Wilhelm Uhde, 1945.



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Un Eté avec Coo de Keiichi Hara



Après une saison estivale française qui a consisté pour une bonne partie de la population à regarder d’un œil torve le ciel gris (et les averses) par la fenêtre ou l’embrasure de la tente humide, Un été avec Coo (Kappa no coo to natsu-yasumi en VO) peut fonctionner comme ces lampes de luminothérapie qui baignent le dépressif dans un halo bleuté permettant de libérer dans le cerveau la bienfaisante sérotonine.
Ce dessin animé japonais de Keiichi Hara participe de cette veine qui, de Mon voisin Totoro de Miyazaki à la Traversée du temps de Mamoru Hosoda, offre au spectateur la quintessence des beaux jours avec ciel d’azur parfait, végétation splendide, eau limpide des rivières. Outre l’intrigue, on sent bien que tout l’enjeu du film consiste à communiquer par l’artifice du dessin et des couleurs le plaisir idéalisé d’un monde qui n’arrête plus de vibrer, rendant chaque son, chaque détail des aspects les plus familiers de l’environnement, infiniment chérissables.



Inconnu chez nous, Keiichi Hara a déjà une carrière importante dans son pays grâce au personnage de Crayon Shin-shan, genre de Petit Nicolas nippon dont il narre les aventures par un long métrage tous les ans depuis 1993. Coo est une adaptation libre de deux romans pour enfants de Masao Kogure écrits il y a une trentaine d’années, dont les héros sont un gamin, Koichi, et une créature légendaire, le kappa, genre de tortue douée de la parole. La famille de Koichi adopte le kappa, qui finit par devenir un phénomène de foire national.

L’absence de cynisme, de second degré, d’esprit d’allusions, fait aussi toute la beauté de ce genre de films au charme intemporel.

Didier Péron

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