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Programme
du 26 Novembre au 30 Décembre 2008
du 26 Novembre au 30 Décembre 2008
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Les Rendez-Vous du Mois
Vendredi 5 Décembre 20h30
COMME UN ETOILE DANS LA NUIT de René FERET
en présence de Nicolas Giraud
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Carte Blanche à Thierry Niang
En Présence de Marie Desplechin,
Patrice Chereau, et Mathias Youchenko.
en partenariat avec le Théâtre des Salins, scène nationale de Martigues
Projection de 2 films :
Seuls de Olivier Smolders et Thierry Knauff
(cliquez sur la photo)
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Two Lovers
de James Gray
Le James Gray que l’on rencontre dans le salon d’un grand hôtel parisien ne ressemble plus en rien au garçon débordant de flamme qui, il y a un an, nous accueillait pour We Own the Night (la Nuit nous appartient). Il savourait alors chaque interview comme une victoire, content d’avoir vaincu la «fatwa» qu’avait lancée à son encontre Harvey Weinstein, après que Gray se fut opposé en 2000 au vieux mogul de Miramax sur le final cut de son deuxième film, The Yards. Durant un long temps mort de sept ans, l’ex-jeune prodige (premier film à 25 ans) regarda depuis sa chambre les autres cinéastes de sa génération (Paul Thomas Anderson, Wes Anderson…) grandir, affermir leur style, sans savoir si lui pourrait jamais retourner un jour. Le Gray 2007 était un homme de 38 ans, tout juste gracié, qui revenait aux affaires plus impétueux que jamais, parlant à 200 à l’heure. Le Gray 2008, lui, est crevé. Affalé dans le fond d’un large fauteuil, les jambes étalées, il regarde dans le vague, hésite longuement au moment de se lancer dans des analyses passionnantes qu’il interrompt pourtant vite d’un interrogateur : «Est-ce que ce que je dis à du sens ?»
En cette après-midi pas comme les autres (nous sommes le 4 novembre et toute l’Amérique s’habille pour aller voter), il semble loin de tout, loin de la France, de la promotion du film, du monde («Je préfère ne pas parler de l’élection : si Obama perd, je leur laisse la suite du scénario»). Fatigué sûrement d’avoir essayé de convaincre son acteur fétiche, ami, alter ego, producteur et allié Joaquin Phoenix, de revenir sur sa décision d’abandonner sa carrière d’acteur. «C’est fini. Il ne reviendra pas dessus. Il est star depuis qu’il est enfant. Il craque. Il cherche quelque chose de plus humain que le cinéma. Je lui souhaite d’être heureux dans la musique. Voilà pour le communiqué officiel.» Il y a de la lassitude dans la voix, nettement moins d’enthousiasme. Physiquement, c’est net : il se met par endroit à ressembler à un prof de littérature de Princeton. Un mot revient dans sa bouche, qu’il mâche et remâche tout au long de la conversation : «maturité». Maturité et émotion.
On sait maintenant ce qui occupe l’esprit d’un homme qui vient de traverser une année hallucinante. Il y a d’abord eu le succès de We Own the Night, qui vit Gray redevenir aux yeux du monde le plus grand espoir du cinéma américain. Entre l’automne et le printemps, le film a cartonné partout où il est sorti. On l’a vu ici s’installer dans la durée, à l’affiche des multiplex durant neuf semaines. Un exploit. Le souffle de la promo mondiale à peine retombée, le festival de Cannes créait la surprise en annonçant la présence en compétition d’un nouveau film, Two Lovers, tourné en moins de quarante jours et monté dans la foulée. Soit un plan de travail plus serré encore que ceux que subissent les jeunes cinéastes français les plus farouchement indépendants (et fauchés). Explication : «Les acteurs étaient libres, on a tourné.»
Sur le papier, on voyait mal comment un type qui porte sur lui une réputation de perfectionniste dérangé allait pouvoir livrer en un temps si bref quelque chose de conséquent. Le résultat était d’autant plus surprenant : Two Lovers est peut-être le plus beau de ses quatre films. Sa puissance est désarmante. Les flingues ont été rangés, le scénario ne se cache plus derrière des histoires de flics mouillés et de mafieux repentis, il se jette dans une arène réaliste teintée de romance, dépourvue de mythologie des clans : «Pour être honnête, j’ai tenté avec ce film d’interrompre quelque chose dans ma filmographie, que je trouvais trop uniforme : le ton était un peu trop le même…» Pour en changer, il s’est inventé un autre objectif dangereux, désormais piqué par cette folie qui a pu, par le passé, bouffer la vie d’autres cinéastes : être en mesure de capturer l’émotion là où elle naît, donner à voir l’instant et le lieu de son surgissement, puis regarder comment le choc en vient à tout transformer - les rues, le ciel, les gens… Enregistrer l’amour fou, le retour à la vie et l’immersion totale dans la violence des sensations.
Sous ses allures classiques (grande mise en scène, photographie distillant une palette de bruns viscontiens), voilà sans doute le film le plus risqué qui nous ait été donné à voir en 2008 : tout ici est pris à contre-pied. Les acteurs sont des bombes sexuelles que Gray regarde comme si de rien n’était, tels des individus lambda, rongés par le doute, se noyant constamment dans la haine d’eux-mêmes, tombant dans des trous noirs que l’on croyait réservés à nous autres, les spectateurs, pauvres humains. Et le pire, c’est qu’on y croit. Sinon, on rirait devant Joaquin Phoenix qui a déjà tendance à faire plus vieux que ses 35 ans et qui pourtant joue un pauvre mec, Leonard Kraditor, qui vit à l’étroit chez ses parents (si vous reconnaissez Isabella Rossellini déguisée en mère juive, bravo à vous). Lesquels tiennent une blanchisserie sans envergure.
Cet empoté, qui ne sait trop quoi faire de son corps, trop grand pour continuer à vivre dans sa chambre d’ado et perdu dès qu’il en sort, beau gosse, mais à qui le manque d’assurance a bousillé toute allure, va quand même, au lendemain d’une tentative de suicide minable, tomber simultanément amoureux d’une brune fausse sage, aussi resplendissante que rassurante (et toute à lui : Vinessa Shaw, trop rare depuis son rôle de prostituée dans Eyes Wide Shut), et d’une voisine blonde (impressionnante Gwyneth Platrow), vénéneuse, dangereuse, anxieuse, fragile et violente, donc irrésistiblement magnétique. Qui à son tour en aime un autre, qui pour l’instant lui échappe…
Ce qui s’en suit, en termes de tourment existentiel, maux d’estomacs, élans de lyrisme dégradant, battements de cœur roman photos et autres déchirements du corps comme de l’âme, tient en une ligne de dialogue : «Je ne voudrais pas me tromper.» Leonard dit ça au moment d’acheter une bague, tordu de doutes. Il ne voudrait pas se tromper de bague, d’alliance, de forme d’amour (passion contre raison, on ramasse les copies dans une heure), mais devant cette perplexité, qui est si grande, son pas hésite. Son corps tombe. Il est foutu d’amour. «Quand je travaillais sur ce script, durant ma période d’inactivité contrainte, j’étais à quelques mois de me marier, dit Gray. Toutes ses questions me hantaient, comme toute personne qui s’apprête à s’engager. Pourquoi cette personne et pas une autre ? Il est de toute façon impossible de vraiment connaître une personne. Chaque fois que l’on croit savoir, on est justement dans l’erreur. La complexité humaine est infinie. Je ne dis pas que le grand amour n’existe pas. Mais je sais qu’on ne sait rien de l’autre, sinon les projections que l’on en fait. On se berce d’illusions, mais cette projection vaut pour réalité. Elle est ma réalité en face de cette personne. La cristallisation finit par exister pour elle-même. Si on pouvait sortir de soi et se regarder agir, on verrait toute l’absurdité de nos désirs.»
Mais on ne sort pas de soi, et le film non plus qui, vertige de l’amour, colle à la ronde des personnages, se métamorphose à leur contact, suivant leurs unions, se change au gré de leurs humeurs, comme se changeait la robe couleur de temps de Peau d’âne.
Two Lovers est non seulement versatile, mais sa mise en scène est écartelée. Et c’est un film qu’il faut voir deux fois, la première pour s’en étonner, réaliser les yeux grands ouverts qu’il y a là toute une force de jeu propre au cinéma américain, où des acteurs se réinventent devant nous, croisant l’envie d’en finir en même temps que la danse jusqu’au petit matin, les états à vif et le délire burlesque («Vous me citez Cary Grant dans Monkey Business, que j’adore, mais on a spécifiquement travaillé, avec Joaquin, sur Chaplin et Giulieta Masina : deux acteurs comiques qui manient la plus essentielle détresse»). On découvre le film et on découvre en même temps sa vitesse. Elle éblouit, stupéfait, jusqu’à laisser un goût de comédie paradoxale.
Le revoir, ce même film, c’est s’exposer à recevoir toute sa mélancolie, sa profondeur blessée, son amertume devant la vie. «Je voulais casser mon cinéma : Il ne s’agissait surtout pas de faire semblant, de masquer cette humeur sombre qui domine dans mon travail, mais de trouver un espace pour la faire ressortir autrement. Et je reste persuadé que la noirceur ressort encore plus fortement quand elle côtoie une certaine dose d’humour.»
Comme il y a deux amours, il y a deux films, deux mises en scène. Un film Gwyneth et un film Vinessa. Avec Phoenix au centre, composant en fonction de l’une et l’autre. Au tournage, Gray a essayé de tourner dans l’ordre des séquences, pour ne pas laisser une teinte dominer d’emblée et écraser l’autre, mais il a plié sa mise en scène au fonctionnement de chaque paire : «Joaquin aime improviser au fur et à mesure des prises. C’est ainsi qu’il construit son personnage. On flippait car on nous avait prévenus que Gwyneth respectait scrupuleusement le texte et n’appréciait pas d’avoir à refaire les prises. Mais elle s’est révélée ouverte à l’improvisation et c’est Joaquin qui, contre toute attente, a commencé à se discipliner. Les scènes entre Joaquin et Gwyneth tirent spontanément vers le plan séquence [trois scènes sont des séquences de près de cinq minutes, sur le toit, dans la chambre], filmées avec une certaine distance, comme si j’avais envie de les observer se déchirer. Entre Joaquin et Vinessa, le rapport est moins animal, moins désespéré, plus dans la compréhension, l’intimité, l’échange, alors j’ai beaucoup découpé, avec des plans plus rapprochés.» Ajoutons à cela que le duel pourrait s’écouter les yeux fermés tant l’affrontement entre ces deux horizons amoureux se joue encore sur la bande-son, thèmes glamours, urbains, pour la blonde, airs traditionnels juifs pour la brune, fille de la communauté.
Two Lovers est un film qui, littéralement, habite Brighton Beach. Gray a grandi là, dans ce quartier juif russe, sur Coney Island. Aussi les rares excursions en dehors du quartier, pour aller dans la boîte ou au restaurant, sont parmi les grands moments de Two Lovers, avec un Leonard soudainement propulsé hors de sa tranchée, lâché là comme en danger de mort géographique. Le reste du film est ancré dans la culture propre à Brighton Beach, respirant parmi les ruelles en brique, les boutiques, les couloirs du métro, le pont : «J’aime l’idée de partir à chaque film de ce point qui m’est si personnel. Et puis c’est dans ma cosmologie, un pont entre l’endroit d’où vient ma famille, les Russes de Kiev, et le rêve américain. A Brighton Beach, tout le monde parle russe, l’histoire y résonne comme nulle part ailleurs à New York.» Une petite Odessa hantée, l’endroit parfait pour lancer un film amarré au corps de personnages à la dérive.
Ce qui est resté de la trilogie policière des précédents films de Gray est là : dans ce rapport organique aux personnages et cette façon d’inscrire à la fois le film dans un projet global, très écrit, où rien n’est laissé au hasard, sans pour rien sacrifier de la force physique. On prend un Gray en plein visage, car voici l’homme dans ses états mythologiques : «Une fois, Coppola m’a refilé ce conseil : n’écouter personne et faire le film le plus personnel qui soit. Qu’on me taxe d’intellectuel new-yorkais, je m’en fous. Qu’on ouvre un peu les yeux : mon cinéma ne pratique aucune ironie postmoderne. Je ne supporte pas de filmer par-dessus mes personnages. Ils ont toute l’émotion du monde sur les épaules. C’est une conception ancienne qui vient de l’opéra. A chaque film, j’essaye de m’approcher de la plus grande authenticité émotionnelle. J’essaye d’y plonger, d’en toucher le danger. Récemment, j’ai montré Ran, de Kurosawa, à ma femme. Je n’avais pas revu Ran depuis vingt ans. J’étais étonné par sa simplicité. Il est totalement en phase avec le désir assumé de distraire, mais il ne lâche pas sur ce qui lui est cher. Quand on atteint cet équilibre, quand on a cessé de vouloir plaire pour travailler à soi, à explorer son art, sans se couper de la volonté de raconter une histoire et de la raconter au plus près de l’émotion, on accède à la maturité.»
PHILIPPE AZOURY
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Quatre Nuits avec Anna
Jerzy Skolimowski
Retour de Jerzy Skolimowski après une longue absence (dix-sept ans !). Dans les années 60, c'était le cinéaste de la jeunesse en quête d'absolu et déjà défaite (Le Départ, Deep End). Puis, dans les années 70-80, de la mauvaise conscience (le superbe Travail au noir). Il revient avec cet exercice de style sombre - dans tous les sens du terme -, à la cons truction étrangement (inutilement ?) sophistiquée.
Témoin d'un viol qu'il n'a pas su, pu ou voulu empêcher (les adultes de Skolimowski frôlent toujours la lâcheté, que ce soit dans Travail au noir ou Le Bateau-phare), Léon, quadragénaire simplet, s'est pris de passion pour la victime, Anna. L'épier ne lui suffit plus. Il s'arrange pour la droguer afin, nuit après nuit, de s'introduire chez elle...
Hitchcock faisait du voyeurisme un spectacle (Fenêtre sur cour) ; Kieslowski, une réflexion morale (Brève Histoire d'amour). Skolimowski, lui, en ferait plutôt une philosophie existentielle : le reflet absurde et inévitable de toute relation humaine. En gros, elle, ailleurs (dans un sommeil artificiel), lui, à côté (de ses pompes et de sa vie).
Du peu qui se passe entre l'endormie et celui qui devient son domestique (il lui recoud son bouton, nettoie son intérieur et, comble de l'audace érotique, lui peint les ongles !) naît un suspense trouble et diffus que Skolimowski filme avec habileté - et Dieu sait qu'il en a. Et aussi, de façon plus discutable, en moraliste, dont chacun jugera, en fait, s'il est hautain ou simplement désespéré.
Pierre Murat
Pourquoi avez-vous, il y a longtemps, abandonné le cinéma et pourquoi ce retour ?
Jerzy Skolimowski. Mon dernier film, il y a dix-sept ans, Ferdydurke, était plutôt médiocre. Je n’aurais pas dû tenter de porter à l’écran le roman de Gombrowicz, qui est inadaptable, et en plus je l’ai fait en anglais. Cela m’a conduit à la décision de faire une pause, sans prévoir qu’elle allait durer dix-sept ans. Je me suis réfugié dans la peinture. J’ai peint tout au long de ma vie, mais avant je n’avais pas le temps. Là, je me suis mis à peindre vraiment, avec un certain succès. J’ai eu plusieurs expositions, aux États-Unis et en Europe. J’ai vendu mes toiles, y compris à Jack Nicholson et à Dennis Hopper. Il faut dire aussi que je vis à Malibu, que le temps y va à un autre rythme qu’en Europe, et que cela a été des vacances prolongées. Un jour, je me suis mis en quête d’un projet de film. J’ai obtenu les droits sur In America, de Susan Sontag. C’était une production française où Isabelle Huppert devait tenir le rôle principal, et un film très cher. Le producteur n’est pas parvenu à réunir les deux millions d’euros nécessaires. D’où l’idée de faire un petit film entre-temps, pour montrer que j’étais toujours dans la course.
D’où ce retour à la Pologne ?
Jerzy Skolimowski. La Pologne, c’est dû à Susan Sontag. Son histoire, qui se situe à la fin du XIXe siècle, raconte l’histoire vraie d’une actrice, Maryna Zalezowska, qui décide d’aller aux États-Unis pour y devenir fermière. L’exploitation de la ferme débouchant sur une banqueroute, elle doit retourner sur scène où elle connaît la célébrité. On l’a comparée à Sarah Bernhardt. Elle était la seule alors à avoir son train privé. Or l’histoire commence en Pologne. Je m’y suis donc rendu pour chercher des décors et j’ai trouvé l’idée du petit film en Pologne.
D’où vient l’idée du film ?
Jerzy Skolimowski. C’est arrivé presque par hasard. J’ai signé le contrat, touché une avance… Après, j’ai oublié, je peignais. Six jours avant la date limite, ma femme Eva (coscénariste du film - NDLR), s’est souvenue d’une petite information du Los Angeles Times traitant d’un Japonais qui, pour se rapprocher de la femme qu’il aimait, n’avait rien trouvé de mieux que de procéder à l’ascension d’un mur pour la contempler en train de dormir. Il n’y avait aucun détail, ni sur son âge, ni sur sa condition sociale. Alors on a écrit sans relâche pendant six jours puis envoyé le sujet au producteur, qui l’a trouvé génial et a dit qu’il fallait le faire.
La distribution ?
Jerzy Skolimowski. Cela a été facile pour le rôle féminin. Kinga Preis est pratiquement la meilleure actrice polonaise. Pour l’homme, cela a été difficile. Je voulais un inconnu. Je n’avais pas d’âge précis : toute personne entre vingt-cinq et cinquante ans pouvait convenir. J’ai rencontré cent cinquante acteurs et en ai trouvé deux parfaits. Il y avait un nouveau venu de vingt-quatre ans et un metteur en scène de théâtre qui jouait à l’occasion et en avait quarante-sept.
Mais quelque chose me poussait vers cette idée de théâtre provincial. C’est ainsi que j’ai trouvé mon acteur, Artur Steranko, dans un coin reculé de la Pologne. Il s’est faufilé par la porte (Skolimowski se lève et mime magnifiquement la scène - NDLR) et j’ai su qu’il était le personnage sans avoir à le faire jouer. Je l’ai dirigé quand même, lui ai demandé de ne pas sourire, d’être Buster Keaton, et il l’a fait. C’est une découverte.
Que pensez-vous de l’état du cinéma actuel ?
Jerzy Skolimowski. Je ne suis pas très touché par ce que je vois, qui souffre de deux maladies : les effets spéciaux, qui ne sont que des jeux sans fin, et le montage haché comme sur MTV. J’ai fait exprès de tourner mon film contre cela, comme si c’était un film des années soixante au moment de la nouvelle vague, et je suis donc surpris que ce petit film d’art sans sexe ni violence soit si bien reçu.
Entretien réalisé par Jean Roy
Jerzy Skolimowski
Retour de Jerzy Skolimowski après une longue absence (dix-sept ans !). Dans les années 60, c'était le cinéaste de la jeunesse en quête d'absolu et déjà défaite (Le Départ, Deep End). Puis, dans les années 70-80, de la mauvaise conscience (le superbe Travail au noir). Il revient avec cet exercice de style sombre - dans tous les sens du terme -, à la cons truction étrangement (inutilement ?) sophistiquée.
Témoin d'un viol qu'il n'a pas su, pu ou voulu empêcher (les adultes de Skolimowski frôlent toujours la lâcheté, que ce soit dans Travail au noir ou Le Bateau-phare), Léon, quadragénaire simplet, s'est pris de passion pour la victime, Anna. L'épier ne lui suffit plus. Il s'arrange pour la droguer afin, nuit après nuit, de s'introduire chez elle...
Hitchcock faisait du voyeurisme un spectacle (Fenêtre sur cour) ; Kieslowski, une réflexion morale (Brève Histoire d'amour). Skolimowski, lui, en ferait plutôt une philosophie existentielle : le reflet absurde et inévitable de toute relation humaine. En gros, elle, ailleurs (dans un sommeil artificiel), lui, à côté (de ses pompes et de sa vie).
Du peu qui se passe entre l'endormie et celui qui devient son domestique (il lui recoud son bouton, nettoie son intérieur et, comble de l'audace érotique, lui peint les ongles !) naît un suspense trouble et diffus que Skolimowski filme avec habileté - et Dieu sait qu'il en a. Et aussi, de façon plus discutable, en moraliste, dont chacun jugera, en fait, s'il est hautain ou simplement désespéré.
Pierre Murat
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Pourquoi avez-vous, il y a longtemps, abandonné le cinéma et pourquoi ce retour ?
Jerzy Skolimowski. Mon dernier film, il y a dix-sept ans, Ferdydurke, était plutôt médiocre. Je n’aurais pas dû tenter de porter à l’écran le roman de Gombrowicz, qui est inadaptable, et en plus je l’ai fait en anglais. Cela m’a conduit à la décision de faire une pause, sans prévoir qu’elle allait durer dix-sept ans. Je me suis réfugié dans la peinture. J’ai peint tout au long de ma vie, mais avant je n’avais pas le temps. Là, je me suis mis à peindre vraiment, avec un certain succès. J’ai eu plusieurs expositions, aux États-Unis et en Europe. J’ai vendu mes toiles, y compris à Jack Nicholson et à Dennis Hopper. Il faut dire aussi que je vis à Malibu, que le temps y va à un autre rythme qu’en Europe, et que cela a été des vacances prolongées. Un jour, je me suis mis en quête d’un projet de film. J’ai obtenu les droits sur In America, de Susan Sontag. C’était une production française où Isabelle Huppert devait tenir le rôle principal, et un film très cher. Le producteur n’est pas parvenu à réunir les deux millions d’euros nécessaires. D’où l’idée de faire un petit film entre-temps, pour montrer que j’étais toujours dans la course.
D’où ce retour à la Pologne ?
Jerzy Skolimowski. La Pologne, c’est dû à Susan Sontag. Son histoire, qui se situe à la fin du XIXe siècle, raconte l’histoire vraie d’une actrice, Maryna Zalezowska, qui décide d’aller aux États-Unis pour y devenir fermière. L’exploitation de la ferme débouchant sur une banqueroute, elle doit retourner sur scène où elle connaît la célébrité. On l’a comparée à Sarah Bernhardt. Elle était la seule alors à avoir son train privé. Or l’histoire commence en Pologne. Je m’y suis donc rendu pour chercher des décors et j’ai trouvé l’idée du petit film en Pologne.
D’où vient l’idée du film ?
Jerzy Skolimowski. C’est arrivé presque par hasard. J’ai signé le contrat, touché une avance… Après, j’ai oublié, je peignais. Six jours avant la date limite, ma femme Eva (coscénariste du film - NDLR), s’est souvenue d’une petite information du Los Angeles Times traitant d’un Japonais qui, pour se rapprocher de la femme qu’il aimait, n’avait rien trouvé de mieux que de procéder à l’ascension d’un mur pour la contempler en train de dormir. Il n’y avait aucun détail, ni sur son âge, ni sur sa condition sociale. Alors on a écrit sans relâche pendant six jours puis envoyé le sujet au producteur, qui l’a trouvé génial et a dit qu’il fallait le faire.
La distribution ?
Jerzy Skolimowski. Cela a été facile pour le rôle féminin. Kinga Preis est pratiquement la meilleure actrice polonaise. Pour l’homme, cela a été difficile. Je voulais un inconnu. Je n’avais pas d’âge précis : toute personne entre vingt-cinq et cinquante ans pouvait convenir. J’ai rencontré cent cinquante acteurs et en ai trouvé deux parfaits. Il y avait un nouveau venu de vingt-quatre ans et un metteur en scène de théâtre qui jouait à l’occasion et en avait quarante-sept.
Mais quelque chose me poussait vers cette idée de théâtre provincial. C’est ainsi que j’ai trouvé mon acteur, Artur Steranko, dans un coin reculé de la Pologne. Il s’est faufilé par la porte (Skolimowski se lève et mime magnifiquement la scène - NDLR) et j’ai su qu’il était le personnage sans avoir à le faire jouer. Je l’ai dirigé quand même, lui ai demandé de ne pas sourire, d’être Buster Keaton, et il l’a fait. C’est une découverte.
Que pensez-vous de l’état du cinéma actuel ?
Jerzy Skolimowski. Je ne suis pas très touché par ce que je vois, qui souffre de deux maladies : les effets spéciaux, qui ne sont que des jeux sans fin, et le montage haché comme sur MTV. J’ai fait exprès de tourner mon film contre cela, comme si c’était un film des années soixante au moment de la nouvelle vague, et je suis donc surpris que ce petit film d’art sans sexe ni violence soit si bien reçu.
Entretien réalisé par Jean Roy
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"Little Hamlet"
court métrage de 1959
court métrage de 1959
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Two Lovers
de James Gray
Le James Gray que l’on rencontre dans le salon d’un grand hôtel parisien ne ressemble plus en rien au garçon débordant de flamme qui, il y a un an, nous accueillait pour We Own the Night (la Nuit nous appartient). Il savourait alors chaque interview comme une victoire, content d’avoir vaincu la «fatwa» qu’avait lancée à son encontre Harvey Weinstein, après que Gray se fut opposé en 2000 au vieux mogul de Miramax sur le final cut de son deuxième film, The Yards. Durant un long temps mort de sept ans, l’ex-jeune prodige (premier film à 25 ans) regarda depuis sa chambre les autres cinéastes de sa génération (Paul Thomas Anderson, Wes Anderson…) grandir, affermir leur style, sans savoir si lui pourrait jamais retourner un jour. Le Gray 2007 était un homme de 38 ans, tout juste gracié, qui revenait aux affaires plus impétueux que jamais, parlant à 200 à l’heure. Le Gray 2008, lui, est crevé. Affalé dans le fond d’un large fauteuil, les jambes étalées, il regarde dans le vague, hésite longuement au moment de se lancer dans des analyses passionnantes qu’il interrompt pourtant vite d’un interrogateur : «Est-ce que ce que je dis à du sens ?»
En cette après-midi pas comme les autres (nous sommes le 4 novembre et toute l’Amérique s’habille pour aller voter), il semble loin de tout, loin de la France, de la promotion du film, du monde («Je préfère ne pas parler de l’élection : si Obama perd, je leur laisse la suite du scénario»). Fatigué sûrement d’avoir essayé de convaincre son acteur fétiche, ami, alter ego, producteur et allié Joaquin Phoenix, de revenir sur sa décision d’abandonner sa carrière d’acteur. «C’est fini. Il ne reviendra pas dessus. Il est star depuis qu’il est enfant. Il craque. Il cherche quelque chose de plus humain que le cinéma. Je lui souhaite d’être heureux dans la musique. Voilà pour le communiqué officiel.» Il y a de la lassitude dans la voix, nettement moins d’enthousiasme. Physiquement, c’est net : il se met par endroit à ressembler à un prof de littérature de Princeton. Un mot revient dans sa bouche, qu’il mâche et remâche tout au long de la conversation : «maturité». Maturité et émotion.
On sait maintenant ce qui occupe l’esprit d’un homme qui vient de traverser une année hallucinante. Il y a d’abord eu le succès de We Own the Night, qui vit Gray redevenir aux yeux du monde le plus grand espoir du cinéma américain. Entre l’automne et le printemps, le film a cartonné partout où il est sorti. On l’a vu ici s’installer dans la durée, à l’affiche des multiplex durant neuf semaines. Un exploit. Le souffle de la promo mondiale à peine retombée, le festival de Cannes créait la surprise en annonçant la présence en compétition d’un nouveau film, Two Lovers, tourné en moins de quarante jours et monté dans la foulée. Soit un plan de travail plus serré encore que ceux que subissent les jeunes cinéastes français les plus farouchement indépendants (et fauchés). Explication : «Les acteurs étaient libres, on a tourné.»
Sur le papier, on voyait mal comment un type qui porte sur lui une réputation de perfectionniste dérangé allait pouvoir livrer en un temps si bref quelque chose de conséquent. Le résultat était d’autant plus surprenant : Two Lovers est peut-être le plus beau de ses quatre films. Sa puissance est désarmante. Les flingues ont été rangés, le scénario ne se cache plus derrière des histoires de flics mouillés et de mafieux repentis, il se jette dans une arène réaliste teintée de romance, dépourvue de mythologie des clans : «Pour être honnête, j’ai tenté avec ce film d’interrompre quelque chose dans ma filmographie, que je trouvais trop uniforme : le ton était un peu trop le même…» Pour en changer, il s’est inventé un autre objectif dangereux, désormais piqué par cette folie qui a pu, par le passé, bouffer la vie d’autres cinéastes : être en mesure de capturer l’émotion là où elle naît, donner à voir l’instant et le lieu de son surgissement, puis regarder comment le choc en vient à tout transformer - les rues, le ciel, les gens… Enregistrer l’amour fou, le retour à la vie et l’immersion totale dans la violence des sensations.
Sous ses allures classiques (grande mise en scène, photographie distillant une palette de bruns viscontiens), voilà sans doute le film le plus risqué qui nous ait été donné à voir en 2008 : tout ici est pris à contre-pied. Les acteurs sont des bombes sexuelles que Gray regarde comme si de rien n’était, tels des individus lambda, rongés par le doute, se noyant constamment dans la haine d’eux-mêmes, tombant dans des trous noirs que l’on croyait réservés à nous autres, les spectateurs, pauvres humains. Et le pire, c’est qu’on y croit. Sinon, on rirait devant Joaquin Phoenix qui a déjà tendance à faire plus vieux que ses 35 ans et qui pourtant joue un pauvre mec, Leonard Kraditor, qui vit à l’étroit chez ses parents (si vous reconnaissez Isabella Rossellini déguisée en mère juive, bravo à vous). Lesquels tiennent une blanchisserie sans envergure.
Cet empoté, qui ne sait trop quoi faire de son corps, trop grand pour continuer à vivre dans sa chambre d’ado et perdu dès qu’il en sort, beau gosse, mais à qui le manque d’assurance a bousillé toute allure, va quand même, au lendemain d’une tentative de suicide minable, tomber simultanément amoureux d’une brune fausse sage, aussi resplendissante que rassurante (et toute à lui : Vinessa Shaw, trop rare depuis son rôle de prostituée dans Eyes Wide Shut), et d’une voisine blonde (impressionnante Gwyneth Platrow), vénéneuse, dangereuse, anxieuse, fragile et violente, donc irrésistiblement magnétique. Qui à son tour en aime un autre, qui pour l’instant lui échappe…
Ce qui s’en suit, en termes de tourment existentiel, maux d’estomacs, élans de lyrisme dégradant, battements de cœur roman photos et autres déchirements du corps comme de l’âme, tient en une ligne de dialogue : «Je ne voudrais pas me tromper.» Leonard dit ça au moment d’acheter une bague, tordu de doutes. Il ne voudrait pas se tromper de bague, d’alliance, de forme d’amour (passion contre raison, on ramasse les copies dans une heure), mais devant cette perplexité, qui est si grande, son pas hésite. Son corps tombe. Il est foutu d’amour. «Quand je travaillais sur ce script, durant ma période d’inactivité contrainte, j’étais à quelques mois de me marier, dit Gray. Toutes ses questions me hantaient, comme toute personne qui s’apprête à s’engager. Pourquoi cette personne et pas une autre ? Il est de toute façon impossible de vraiment connaître une personne. Chaque fois que l’on croit savoir, on est justement dans l’erreur. La complexité humaine est infinie. Je ne dis pas que le grand amour n’existe pas. Mais je sais qu’on ne sait rien de l’autre, sinon les projections que l’on en fait. On se berce d’illusions, mais cette projection vaut pour réalité. Elle est ma réalité en face de cette personne. La cristallisation finit par exister pour elle-même. Si on pouvait sortir de soi et se regarder agir, on verrait toute l’absurdité de nos désirs.»
Mais on ne sort pas de soi, et le film non plus qui, vertige de l’amour, colle à la ronde des personnages, se métamorphose à leur contact, suivant leurs unions, se change au gré de leurs humeurs, comme se changeait la robe couleur de temps de Peau d’âne.
Two Lovers est non seulement versatile, mais sa mise en scène est écartelée. Et c’est un film qu’il faut voir deux fois, la première pour s’en étonner, réaliser les yeux grands ouverts qu’il y a là toute une force de jeu propre au cinéma américain, où des acteurs se réinventent devant nous, croisant l’envie d’en finir en même temps que la danse jusqu’au petit matin, les états à vif et le délire burlesque («Vous me citez Cary Grant dans Monkey Business, que j’adore, mais on a spécifiquement travaillé, avec Joaquin, sur Chaplin et Giulieta Masina : deux acteurs comiques qui manient la plus essentielle détresse»). On découvre le film et on découvre en même temps sa vitesse. Elle éblouit, stupéfait, jusqu’à laisser un goût de comédie paradoxale.
Le revoir, ce même film, c’est s’exposer à recevoir toute sa mélancolie, sa profondeur blessée, son amertume devant la vie. «Je voulais casser mon cinéma : Il ne s’agissait surtout pas de faire semblant, de masquer cette humeur sombre qui domine dans mon travail, mais de trouver un espace pour la faire ressortir autrement. Et je reste persuadé que la noirceur ressort encore plus fortement quand elle côtoie une certaine dose d’humour.»
Comme il y a deux amours, il y a deux films, deux mises en scène. Un film Gwyneth et un film Vinessa. Avec Phoenix au centre, composant en fonction de l’une et l’autre. Au tournage, Gray a essayé de tourner dans l’ordre des séquences, pour ne pas laisser une teinte dominer d’emblée et écraser l’autre, mais il a plié sa mise en scène au fonctionnement de chaque paire : «Joaquin aime improviser au fur et à mesure des prises. C’est ainsi qu’il construit son personnage. On flippait car on nous avait prévenus que Gwyneth respectait scrupuleusement le texte et n’appréciait pas d’avoir à refaire les prises. Mais elle s’est révélée ouverte à l’improvisation et c’est Joaquin qui, contre toute attente, a commencé à se discipliner. Les scènes entre Joaquin et Gwyneth tirent spontanément vers le plan séquence [trois scènes sont des séquences de près de cinq minutes, sur le toit, dans la chambre], filmées avec une certaine distance, comme si j’avais envie de les observer se déchirer. Entre Joaquin et Vinessa, le rapport est moins animal, moins désespéré, plus dans la compréhension, l’intimité, l’échange, alors j’ai beaucoup découpé, avec des plans plus rapprochés.» Ajoutons à cela que le duel pourrait s’écouter les yeux fermés tant l’affrontement entre ces deux horizons amoureux se joue encore sur la bande-son, thèmes glamours, urbains, pour la blonde, airs traditionnels juifs pour la brune, fille de la communauté.
Two Lovers est un film qui, littéralement, habite Brighton Beach. Gray a grandi là, dans ce quartier juif russe, sur Coney Island. Aussi les rares excursions en dehors du quartier, pour aller dans la boîte ou au restaurant, sont parmi les grands moments de Two Lovers, avec un Leonard soudainement propulsé hors de sa tranchée, lâché là comme en danger de mort géographique. Le reste du film est ancré dans la culture propre à Brighton Beach, respirant parmi les ruelles en brique, les boutiques, les couloirs du métro, le pont : «J’aime l’idée de partir à chaque film de ce point qui m’est si personnel. Et puis c’est dans ma cosmologie, un pont entre l’endroit d’où vient ma famille, les Russes de Kiev, et le rêve américain. A Brighton Beach, tout le monde parle russe, l’histoire y résonne comme nulle part ailleurs à New York.» Une petite Odessa hantée, l’endroit parfait pour lancer un film amarré au corps de personnages à la dérive.
Ce qui est resté de la trilogie policière des précédents films de Gray est là : dans ce rapport organique aux personnages et cette façon d’inscrire à la fois le film dans un projet global, très écrit, où rien n’est laissé au hasard, sans pour rien sacrifier de la force physique. On prend un Gray en plein visage, car voici l’homme dans ses états mythologiques : «Une fois, Coppola m’a refilé ce conseil : n’écouter personne et faire le film le plus personnel qui soit. Qu’on me taxe d’intellectuel new-yorkais, je m’en fous. Qu’on ouvre un peu les yeux : mon cinéma ne pratique aucune ironie postmoderne. Je ne supporte pas de filmer par-dessus mes personnages. Ils ont toute l’émotion du monde sur les épaules. C’est une conception ancienne qui vient de l’opéra. A chaque film, j’essaye de m’approcher de la plus grande authenticité émotionnelle. J’essaye d’y plonger, d’en toucher le danger. Récemment, j’ai montré Ran, de Kurosawa, à ma femme. Je n’avais pas revu Ran depuis vingt ans. J’étais étonné par sa simplicité. Il est totalement en phase avec le désir assumé de distraire, mais il ne lâche pas sur ce qui lui est cher. Quand on atteint cet équilibre, quand on a cessé de vouloir plaire pour travailler à soi, à explorer son art, sans se couper de la volonté de raconter une histoire et de la raconter au plus près de l’émotion, on accède à la maturité.»
PHILIPPE AZOURY
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Premières Neigesde Aida Begic
Un joli film, comme on dit, qui coule, pur comme l’eau des stalactites au printemps. Car malgré son titre hivernal, c’est plutôt le beau temps qui règne ici, et le renouveau. Chaque visage est filmé comme s’il émergeait du temps, comme s’il remontait à la surface d’une image un peu troublée et sombre –en termes techniques : faible profondeur de champ sur son coulis de clair-obscur.
Les actrices sont formidables (Zana Marjanovic tout en jeune tension retenue, Jasna Ornela Bery en quadra un peu revenue) et le scénario parvient à faire passer tranche de vie et message politique sans être ni démonstratif ni misérabiliste. La réalisatrice, Aida Begic a 32 ans et c’est son premier long-métrage.
Slavno est un village bosniaque après la guerre. Il n’y reste que les femmes, les enfants et un grand-père qui s’occupe essentiellement à enseigner l’islam à son petit-fils et à lui couper les cheveux, car ceux-ci repoussent à une vitesse littéralement fantastique, au rythme de ses cauchemars. On est en 1997 et dans ce champ de ruines, les femmes vivent en fabriquant des conserves tout en songeant aux disparus, dont elles espèrent le retour. Ces figures féminines se répartissent en trois modi supervivendi : il y a Nadija, quadra, un peu légère, un peu résignée, pragmatique et sympa. Alma, jeune, forte et lucide, attachée aux principes et qui, quoiqu’apparemment opposée à sa belle-mère Safija, partage avec elle le sens de l’éternité et de la tradition. Elle porte le foulard, comme la réalisatrice. Enfin, Sabrina, qui rêve d’Amérique et n’a pas fait son deuil : elle ne sera pas moins efficace que les autres pour lutter contre les Serbes qui viennent, vers le milieu de l’histoire, acheter le village en se dédouanant des horreurs de la guerre.
Quoique tout en subtilité, le film n’en repose pas moins sur les valeurs de la « famille » et de la « communauté », versant spiritualiste et anticapitaliste. Ce n’est pas forcément notre politique, mais comme on dit au café du commerce, on n’a pas été ravagé pour savoir si on aura toujours les idées larges après.
Eric Loret
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Loin d'une mise en scène mélodramatique qu'un tel sujet peut inspirer, le cinéaste René Féret au contraire s'appuie sur l'autobiographie d'un proche de son entourage pour évoquer à la fois les joies et les pleurs d'une expérience douloureuse de la maladie, une maladie ici vécue par deux personnes, l'une atteinte dans sa chair, l'autre touchée dans son coeur. Le film se cale sur la recherche d'une émotion vraie et d'une quotidienneté qui s'interdit l'emphase et le spectaculaire. Au contraire le rythme du film suit celui du couple, tour à tour empli du bonheur de la rencontre et de la première fois puis assailli de doutes par l'épreuve et la peur de la mort.
Avec cette mise en scène discrète et retenue, le film repose presque entièrement sur les épaules des deux acteurs principaux, Salomé Stévenin, fille de Jean-François Stévenin et soeur de Sagamore et Robinson Stévenin, et Nicolas Giraud. Les deux jeunes acteurs maîtrisent ici la délicatesse de leur relation et surtout l'énorme complicité d'un couple mis en péril par un mal invisible. Salomé Stévenin, plus intuitive, et Nicolas Giraud, plus cérébral, se complètent à merveille pour incarner l'image d'un couple moderne qui choisit très tôt la voie d'un projet commun à l'heure où l'on repousse le plus loin possible un tel engagement solennel. Plus forts que les doutes et les non-dits de l'entourage, Marc et Anne tiennent contre vents et marées lorsque la maladie transformera leur vie en un combat perpétuel et sans répit.
A la fois scénariste, réalisateur, producteur et distributeur, René Féret donne tout pour conserver son indépendance depuis ses débuts, à la fin des années soixante-dix. Son premier film, Histoire de Paul est déjà remarqué par l'obtention du prix Jean Vigo en 1975, mais c'est avec la sélection de son film suivant pour la compétition officielle du festival de Cannes, La communion solennelle, en 1977, qu'il trouve sa place dans le cinéma français. Loin d'accepter les propositions qui fleurissent, il préfère rester en marge du système officiel pour continuer à réaliser les projets qui lui tiennent à coeur, tournant à un rythme d'un film tous les deux ou trois ans. Cinéaste profondément créatif, il s'appuie sur la performance de ses comédiens et sur la dynamique du tournage plutôt que sur le respect du scénario et le film « tout fait » avant même le premier clap. Malgré cela, et Comme une étoile dans la nuit permet de le constater, René Féret se place dans une certaine tradition française du drame social qui installe la réalité de son sujet au-dessus des injonctions du spectacle. Emouvant, poignant, impressionnant dans sa faculté de se confronter sans subterfuge à un sujet maintes fois abordé, Comme une étoile dans la nuit retient notre souffle jusqu'à la fin
Avec cette mise en scène discrète et retenue, le film repose presque entièrement sur les épaules des deux acteurs principaux, Salomé Stévenin, fille de Jean-François Stévenin et soeur de Sagamore et Robinson Stévenin, et Nicolas Giraud. Les deux jeunes acteurs maîtrisent ici la délicatesse de leur relation et surtout l'énorme complicité d'un couple mis en péril par un mal invisible. Salomé Stévenin, plus intuitive, et Nicolas Giraud, plus cérébral, se complètent à merveille pour incarner l'image d'un couple moderne qui choisit très tôt la voie d'un projet commun à l'heure où l'on repousse le plus loin possible un tel engagement solennel. Plus forts que les doutes et les non-dits de l'entourage, Marc et Anne tiennent contre vents et marées lorsque la maladie transformera leur vie en un combat perpétuel et sans répit.
A la fois scénariste, réalisateur, producteur et distributeur, René Féret donne tout pour conserver son indépendance depuis ses débuts, à la fin des années soixante-dix. Son premier film, Histoire de Paul est déjà remarqué par l'obtention du prix Jean Vigo en 1975, mais c'est avec la sélection de son film suivant pour la compétition officielle du festival de Cannes, La communion solennelle, en 1977, qu'il trouve sa place dans le cinéma français. Loin d'accepter les propositions qui fleurissent, il préfère rester en marge du système officiel pour continuer à réaliser les projets qui lui tiennent à coeur, tournant à un rythme d'un film tous les deux ou trois ans. Cinéaste profondément créatif, il s'appuie sur la performance de ses comédiens et sur la dynamique du tournage plutôt que sur le respect du scénario et le film « tout fait » avant même le premier clap. Malgré cela, et Comme une étoile dans la nuit permet de le constater, René Féret se place dans une certaine tradition française du drame social qui installe la réalité de son sujet au-dessus des injonctions du spectacle. Emouvant, poignant, impressionnant dans sa faculté de se confronter sans subterfuge à un sujet maintes fois abordé, Comme une étoile dans la nuit retient notre souffle jusqu'à la fin
Dossier & Entretien avec René Feret :
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Serbis crache l'urgence par tous ses pores. Shooté en une vingtaine de jours par Brillante Mendoza (John John), cette plongée dans les entrailles d'un cinéma porno philippin bouillonne de pulsions, de crasse et de sexe jusqu'à déborder. De son précédent film, le cinéaste n'a gardé que photo cramée et vérisme sauvage, le reste a été sacrifié sur l'autel du mouvement. Au centre du magma trône le fameux cinoche. Un bordel insalubre digne des trompe-l'oeil d'Escher, où les volées d'escaliers se grimpent dessus, où l'espace s'entortille tel un nœud gordien. En fait, c'est tout Serbis qui carbure au chaos et à l'inversion, comme s'il répondait au troublant métissage philippin (écoutez leur langue, regardez leurs traits). Jusqu'à ce titre - serbis / service - qui désigne le joli paradoxe de la prostitution locale : ici, c'est celui qui suce qui paie.
Dans un indescriptible foutoir, homos, hétéros et travelos se mélangent dès lors au point de ne plus se distinguer. C'est le retour du corps en tant que véhicule, délesté de tout jugement ou considérations, moins pris pour ce qu'il est que pour ce qu'il fait. Ici tout n'est qu'action, expulsion, éjaculation, miction, comme s'il fallait nettoyer, assainir avant tout. Dans Serbis, on balaie les chiottes comme on se branle ou perce un furoncle : c'est une même manière de vider le trop-plein, d'appuyer sur reset pour purger le système. En vain. Le film entier obéit à ce principe incendiaire, flirte avec les points de suture et les digues prêtes à péter. Documentaire, fiction, fantastique, quotidien s'écrasent les uns sur les autres dans une frénésie croissante, portés par une caméra sur la brèche et un souci de vitesse permanent. Jusqu'au dernier plan où tout se consume. Un geste radical que les gardiens du temple taxeront sans doute de plagiat, hermétiques hélas à sa belle évidence : cette image n'est que l'issue logique d'un film en surrégime, l'embrasement d'un feu qui couvait.
Julien Abadie
Il en va des salles de cinéma porno comme de l’espace dans Alien : de ce fin fond-là, personne pour vous entendre crier. Serbis est un film intégralement tourné dans un cinéma porno d’Angeles, Philippines, un trou noir de deux étages dans une zone suburbaine. Une salle de cinéma à l’italienne, avec ses affiches peintes et un escalier en majesté, duquel ruisselle l’eau noire des latrines quand celles-ci sont inondées. Les murs sont recouverts de graffitis. Qui tiennent la mémoire de toute la bande de tapins rouleurs de hanches, pour la plupart des garçons qui se sont fait pousser les seins et qui occupent ce grand escalier entre deux passes. Avant d’y retourner, dans la salle.
Il n’est pas nécessaire que Serbis soit en odorama pour que l’image sente là physiquement le foutre, la pisse, la merde, la clope froide et même la chèvre. Il arrive, oui, de temps à autre que des chèvres s’égarent dans cet Eden pourri. Pénétrer là, dans la salle comme dans le film (les deux ont fini par se confondre), c’est prendre le risque de ne jamais en ressortir vraiment.
Serbis, en dépit de ses apparences bordéliques, magnifiquement anarchiques, est un film qui sait bel et bien où il va : un cinéaste ne commence pas par hasard sur une lueur aveuglante de lampe, qui n’est pas sans rappeler l’éclat trop fort d’une lampe de projecteur cinématographique, pour se terminer (comme au temps des joyeuses seventies et des longues analyses sur le méta-cinéma) sur une belle image qui crame, un photogramme qui se consume de l’intérieur. Nous voilà encerclés dans un petit cosmos crasseux, autonome, qui ne saurait avoir d’horizon extérieur (sinon une rue, encore plus cruelle, arnaqueuse, bruyante et dont la violence innée interagit sur le ciné porno).
Mais ce n’est pas étouffant, au contraire, c’est la vie pure et simple. Qui circule de la salle au couloir, du couloir à la cabine de projection. Qui monte et descend. Qui va et vient. Une fois de plus, alors que vous vous croyiez au cinéma, vous tombez nez à nez avec ce qui subsiste de réel : ça ressemble au dépôt qui s’accroche au verre. Ce réel a l’allure, inattendue ici, d’une famille. Sinon d’un royaume. Avec sa reine mère (Nanay Flor), ses rejetons dégénérés (Jewel, la fille adoptive et gérante, Lando, Ronald, le projectionniste adopté, Alan, le neveu qui peint les affiches), ses bouffons, ses schémas de tragédie antique.
La reine mère recueille tous les enfants égarés, les adopte, leur offre un refuge (sans s’en rendre compte, elle ressemble exactement à cette salle de cinéma-baleine qu’elle gère tout en la maudissant). Entre eux, les enfants, les vrais, les faux, se disputent un tee-shirt, discutent d’un procès ou gardent pour eux un secret (une fiancée enceinte, un cousin et une cousine qui n’arrivent plus à refréner leur attirance). Entre leurs pattes, un gosse de 10 ans, qui circule parmi les folles, parmi les clients, parmi les travs suceurs de bites, parmi les siens, sur un tricycle : c’est Shining par temps humide. Lui aussi est tombé dans un trou du temps : sa maison hantée à lui, qui de partout suinte, est un cinéma. L’éternité toutes les deux heures, service compris. Rêvez encore : le cinéma dans lequel Mendoza a choisi d’installer son tournage existe bel et bien. Et le hasard a voulu qu’il s’appelle le Family.
Brillante MA. Mendoza (c’est nouveau, cette petite coquetterie entre le prénom et le nom) ex-pubard métamorphosé cinéaste, leader du renouveau philippin par force talent et un brin de stakhanovisme (cinq longs métrages en trois ans) investit des mondes exclusifs. Une fois, c’est un salon de massage (le Masseur, son premier film, en 2005). Une fois, un bidonville (John John, Tirador), là un ciné porno en déliquescence (comme dans la Chatte à deux têtes de Jacques Nolot, comme dans Goodbye, Dragon Inn de Tsai Ming Liang, la salle de ciné ici est plus ou moins en instance de dernière séance, du dernier service). Chaque fois, des lieux forclos qu’il occupe, comme on occupe une usine en grève. Il est aux aguets du moindre mouvement, sa caméra colle au train, elle ne veut rien rater de la façon dont un endroit que l’on croit fini continue de se nourrir de toute force. L’originalité de Mendoza, c’est que sa vison d’un ghetto compte aussi sur chaque élément extérieur qui viendrait l’alimenter. Ce n’est pas Fort Alamo qui l’intéresse, mais comment un microcosme est aussi une chambre d’échos, perméable, qui finit par inventer au hasard des flux sa propre énergie, telle une dynamo.
Plus petit est ce monde, plus grand est son désir de le filmer, de guetter, de chasser l’instant où quelque chose jaillira, surgira, éjaculera de cette boîte de Pandore à deux doigts de l’implosion, (Mendoza filme la première scène au monde sur l’éjection du pus d’un bubon, et il la regarde comme si c’était une scène masturbatoire : sperme, sang, pus, pisse, ramenés à la même force jubilatoire).
Philippe Azoury
Dans un indescriptible foutoir, homos, hétéros et travelos se mélangent dès lors au point de ne plus se distinguer. C'est le retour du corps en tant que véhicule, délesté de tout jugement ou considérations, moins pris pour ce qu'il est que pour ce qu'il fait. Ici tout n'est qu'action, expulsion, éjaculation, miction, comme s'il fallait nettoyer, assainir avant tout. Dans Serbis, on balaie les chiottes comme on se branle ou perce un furoncle : c'est une même manière de vider le trop-plein, d'appuyer sur reset pour purger le système. En vain. Le film entier obéit à ce principe incendiaire, flirte avec les points de suture et les digues prêtes à péter. Documentaire, fiction, fantastique, quotidien s'écrasent les uns sur les autres dans une frénésie croissante, portés par une caméra sur la brèche et un souci de vitesse permanent. Jusqu'au dernier plan où tout se consume. Un geste radical que les gardiens du temple taxeront sans doute de plagiat, hermétiques hélas à sa belle évidence : cette image n'est que l'issue logique d'un film en surrégime, l'embrasement d'un feu qui couvait.
Julien Abadie
Il en va des salles de cinéma porno comme de l’espace dans Alien : de ce fin fond-là, personne pour vous entendre crier. Serbis est un film intégralement tourné dans un cinéma porno d’Angeles, Philippines, un trou noir de deux étages dans une zone suburbaine. Une salle de cinéma à l’italienne, avec ses affiches peintes et un escalier en majesté, duquel ruisselle l’eau noire des latrines quand celles-ci sont inondées. Les murs sont recouverts de graffitis. Qui tiennent la mémoire de toute la bande de tapins rouleurs de hanches, pour la plupart des garçons qui se sont fait pousser les seins et qui occupent ce grand escalier entre deux passes. Avant d’y retourner, dans la salle.
Il n’est pas nécessaire que Serbis soit en odorama pour que l’image sente là physiquement le foutre, la pisse, la merde, la clope froide et même la chèvre. Il arrive, oui, de temps à autre que des chèvres s’égarent dans cet Eden pourri. Pénétrer là, dans la salle comme dans le film (les deux ont fini par se confondre), c’est prendre le risque de ne jamais en ressortir vraiment.
Serbis, en dépit de ses apparences bordéliques, magnifiquement anarchiques, est un film qui sait bel et bien où il va : un cinéaste ne commence pas par hasard sur une lueur aveuglante de lampe, qui n’est pas sans rappeler l’éclat trop fort d’une lampe de projecteur cinématographique, pour se terminer (comme au temps des joyeuses seventies et des longues analyses sur le méta-cinéma) sur une belle image qui crame, un photogramme qui se consume de l’intérieur. Nous voilà encerclés dans un petit cosmos crasseux, autonome, qui ne saurait avoir d’horizon extérieur (sinon une rue, encore plus cruelle, arnaqueuse, bruyante et dont la violence innée interagit sur le ciné porno).
Mais ce n’est pas étouffant, au contraire, c’est la vie pure et simple. Qui circule de la salle au couloir, du couloir à la cabine de projection. Qui monte et descend. Qui va et vient. Une fois de plus, alors que vous vous croyiez au cinéma, vous tombez nez à nez avec ce qui subsiste de réel : ça ressemble au dépôt qui s’accroche au verre. Ce réel a l’allure, inattendue ici, d’une famille. Sinon d’un royaume. Avec sa reine mère (Nanay Flor), ses rejetons dégénérés (Jewel, la fille adoptive et gérante, Lando, Ronald, le projectionniste adopté, Alan, le neveu qui peint les affiches), ses bouffons, ses schémas de tragédie antique.
La reine mère recueille tous les enfants égarés, les adopte, leur offre un refuge (sans s’en rendre compte, elle ressemble exactement à cette salle de cinéma-baleine qu’elle gère tout en la maudissant). Entre eux, les enfants, les vrais, les faux, se disputent un tee-shirt, discutent d’un procès ou gardent pour eux un secret (une fiancée enceinte, un cousin et une cousine qui n’arrivent plus à refréner leur attirance). Entre leurs pattes, un gosse de 10 ans, qui circule parmi les folles, parmi les clients, parmi les travs suceurs de bites, parmi les siens, sur un tricycle : c’est Shining par temps humide. Lui aussi est tombé dans un trou du temps : sa maison hantée à lui, qui de partout suinte, est un cinéma. L’éternité toutes les deux heures, service compris. Rêvez encore : le cinéma dans lequel Mendoza a choisi d’installer son tournage existe bel et bien. Et le hasard a voulu qu’il s’appelle le Family.
Brillante MA. Mendoza (c’est nouveau, cette petite coquetterie entre le prénom et le nom) ex-pubard métamorphosé cinéaste, leader du renouveau philippin par force talent et un brin de stakhanovisme (cinq longs métrages en trois ans) investit des mondes exclusifs. Une fois, c’est un salon de massage (le Masseur, son premier film, en 2005). Une fois, un bidonville (John John, Tirador), là un ciné porno en déliquescence (comme dans la Chatte à deux têtes de Jacques Nolot, comme dans Goodbye, Dragon Inn de Tsai Ming Liang, la salle de ciné ici est plus ou moins en instance de dernière séance, du dernier service). Chaque fois, des lieux forclos qu’il occupe, comme on occupe une usine en grève. Il est aux aguets du moindre mouvement, sa caméra colle au train, elle ne veut rien rater de la façon dont un endroit que l’on croit fini continue de se nourrir de toute force. L’originalité de Mendoza, c’est que sa vison d’un ghetto compte aussi sur chaque élément extérieur qui viendrait l’alimenter. Ce n’est pas Fort Alamo qui l’intéresse, mais comment un microcosme est aussi une chambre d’échos, perméable, qui finit par inventer au hasard des flux sa propre énergie, telle une dynamo.
Plus petit est ce monde, plus grand est son désir de le filmer, de guetter, de chasser l’instant où quelque chose jaillira, surgira, éjaculera de cette boîte de Pandore à deux doigts de l’implosion, (Mendoza filme la première scène au monde sur l’éjection du pus d’un bubon, et il la regarde comme si c’était une scène masturbatoire : sperme, sang, pus, pisse, ramenés à la même force jubilatoire).
Philippe Azoury
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L'Apprenti de Samuel Collardey
Prix de la Semaine de la Critique
à la Mostra de Venise 2008.
L'apprenti est à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, mais au fil du métrage, on ne saurait dire s'il s'agit de l'un ou l'autre. L'histoire, si l'on prend le parti de la fiction, coule de source. On nous raconte le voyage initiatique d'un adolescent solitaire, un peu désorienté, au sein de cet univers qu'est l'agriculture ou plutôt la culture de la terre. Mathieu apprend ce métier, mais il y fait avant tout et surtout l'apprentissage de la vie auprès de Paul et de sa famille. Il s'y intègre bien et apprécie cette vie au sein de cette famille tant rêvée et admirée. Des liens profonds se tissent entre Mathieu et Paul, Mathieu trouvant en la personne de Paul la figure paternelle qui lui a toujours manqué et Paul reconnaissant sans doute en Mathieu le fils idéal. C'est donc plus que le lien de la terre qui unit ces deux hommes, c'est une profonde reconnaissance. Au fond, tout ce qui manquait dans la vie de Mathieu, cet apprentissage lui procure. Mathieu a sans doute trouvé le bonheur dans cette vie rythmée par les saisons et les travaux à la ferme. Mais ce bonheur est imperceptible. Le spectateur n'y est pas pleinement immergé, mais il peut le ressentir à travers des gestes simples, quotidiens qui contribuent à créer ce bonheur pur. Pas besoin de luxe, la simplicité de cette vie suffit à leur bonheur.
Tout ceci est filmé avec une justesse admirable, sans excès de mise en scène. Et cette justesse, cette sincérité donne un léger aspect documentaire à ce chef d'oeuvre. Même la lumière et les cadrages se veulent les plus naturels, les plus justes possibles, en concordance avec cet univers rural. De plus, l'interprétation est admirable et ceci pour une simple et unique raison : ces personnes jouent leurs propres rôles. Ils débordent alors tous de sincérité et sont donc honnêtes vis-à-vis d'eux-mêmes. Mathieu est Mathieu, Paul est Paul. Il n'y a rien d'autre à ajouter.
Le film est l'éloge d'une vie paysanne paisible, agréable dans une campagne où la nature est reine, où le quotidien est rythmé par les saisons. La vie de ces hommes et ces femmes ne s'attache qu'à l'indispensable, rien de plus, rien de moins. Et cela suffit à contribuer à leur bonheur. Cette tranche de vie dans cette campagne, identique à toutes nos campagnes françaises, montre qu'il existe un monde sans stress, sans artifice, sans faux-semblants, beaucoup plus proche de ce à quoi chacun d'entre nous pourrait tendre. Là où Collardey aurait pu décrire une campagne française à partir de tous les clichés qu'on lui a auparavant attribués, il nous offre plutôt un conte réaliste, magnifique de par son image et de son traitement. On n'est pas chez les ploucs. On est entouré de gens comme vous et moi, attachants, qui exercent leur métier avec passion et paix.
L'apprenti est un véritable chef d'oeuvre de sincérité, d'honnêteté, porté par une image sublime et une interprétation splendide. Ce film n'est ni un documentaire, ni une fiction, c'est un véritable petit bijou cinématographique. Bref : il n'y a pas d'avenir sans agriculteurs !
Amandine Quanté
Entretien avec Samuel Collardey
Votre film brouille les cartes entre documentaire et fiction...
Ce n'est pas un but, ni une intention, c’est intuitif, c’est ma façon de filmer. Je comprends qu'on se pose la question. Comme spectateur, je suis comme tout le monde : je marche dans les histoires qu’on me raconte même si je sais que c’est de la fiction. Mais quand je fais un film, j’ai du mal à croire à mes personnages si c’est moi qui les invente. J'ai besoin de partir du réel. Si j’ai envie de raconter un personnage habité par le manque de père, je cherche dans la réalité une personne qui porte en lui cette question et je m'attache à faire son portrait. Bien sûr, je prends des libertés. Quand un peintre fait un portrait, il prend des libertés avec la couleur ou la perspective. L'important est qu'il vous fasse partager l'émotion qui a été la sienne face à la personne qu'il a eu en face de lui. Kiarostami disait que le cinéma c'est “une suite de petits mensonges pour raconter une grande vérité.”
D'où vient le désir de filmer en milieu rural ?
C’est le monde de ma famille. Je vis à la campagne, pas très loin de chez Paul et Mathieu, sauf que moi, je suis celui qui est parti faire des études à la ville, l’artiste, le réalisateur. On ne savait pas trop ce que je faisais. Mon statut était assez bizarre, mais le fait de faire des films sur ce monde rural me donne justement une fonction dans la communauté. Concrètement, je suis celui qui fait des films sur eux, celui qui les représente. Eux font du lait, moi je fais des films. Il est donc important pour moi qu’ils se reconnaissent dans mes films, que ceux-ci leur soient fidèles et accessibles. J'ai été marqué par Courbet, originaire d’ailleurs d’Ornans où j’habite. La révolution de Courbet a consisté à consacrer des grands formats, réservés habituellement aux scènes religieuses, à des scènes plus prosaïques, avec des paysans. Ce qui avait une portée à la fois artistique et politique. D’habitude, le 35 mm est réservé aux acteurs de cinéma. Moi, je m’en sers pour filmer Mathieu, Martine et Paul, pour filmer leur parole. J’avais envie qu’ils deviennent des personnages de cinéma. De manière plus générale, L’apprenti raconte aussi ce que devient le monde paysan, notamment dans la confrontation d’opinions entre les aînés et les jeunes qui vont prendre la relève. Les apprentis parlent d’“exploiter” et se moquent un peu de leurs maîtres de stage qui parlent de “cultiver”. C'est presque incidemment que le film aborde ces choses-là. Je ne cherche pas à relater les évolutions du monde paysan. Cela ne m'intéresse que parce qu'à un moment, c'est un sujet de conflit entre Paul et Mathieu, un enjeu dans leur relation.
Et d'où vient cette envie de raconter le lien d’un apprenti en mal de père et de son maître de stage ?
C’est assez autobiographique. Mon père est décédé quand j’avais treize ans, au moment un peu charnière où l’on sort de l’enfance. Comment se construit-on en tant qu’homme sans modèle ? Moi, je me suis un peu raccroché à toutes les personnes dont je croisais le chemin à ce moment-là. Je me suis construit grâce à des rencontres, parfois brèves. Paul, je n’ai pas l’impression qu’il prenne la place du père de Mathieu, mais à un moment donné, il sert de repère à Mathieu et l’aide à grandir, à comprendre certaines choses et continuer son chemin.
Comment avez-vous trouvé Mathieu et Paul ?
J’ai d’abord cherché la ferme qui allait accueillir l’apprenti pendant son stage, grâce à un membre de ma famille qui est maquignon et connaît donc tous les paysans du coin. Je l’ai accompagné dans son travail et je suis tombé sur Paul, qui m’a rapidement séduit. J'ai senti que cet homme ne prenait pas des apprentis pour avoir de la main d’œuvre gratis, mais pour construire quelque chose avec eux. Il en reçoit peu car c'est chaque fois une expérience forte.
Et Mathieu ?
Je suis allé dans un lycée agricole près de chez moi, où j’avais déjà tourné mon court métrage et j’ai demandé à la directrice qu’elle m’organise des rencontres avec des lycéens qui devaient faire un stage l'année d'après. Àla fin de la journée, je n’avais pas trouvé l’adolescent que je cherchais et j’allais partir quand Mathieu, qui n’avait pas été “casté” par la directrice, est venu de lui-même frapper à la porte : “On peut parler un peu ?” Mathieu avait 14 ans, il était très fragile à l’époque. Il avait besoin de parler, il s’est mis à pleurer, et m’a raconté toute sa vie. Il m’a touché. Ensuite, je suis retourné le voir chez lui, j’ai commencé à le filmer avec une petite caméra et assez rapidement, on a décidé que c’était lui.
Pour L’apprenti, vous avez écrit un scénario...
Oui, qui avait la forme d’un scénario de fiction classique et qui a été nourri de choses que Paul et Mathieu pouvaient me raconter d’eux. Et aussi d’entretiens avec d’anciens apprentis de Paul. J’ai dû écrire pour formuler mon envie de filmer. Il me semblait important de mettre sur papier mes intentions avant de me confronter au réel. Mais dès la première semaine de tournage, j’ai rangé le scénario pour inventer le film au fur et à mesure. Je proposais aux protagonistes des scènes, une action ou un sujet de conversation. Les dialogues n’étaient pas écrits, l’idée était juste que ce que je leur propose soit le plus proche possible de ce qu’ils vivent réellement. Non pas leur demander d’inventer mais leur dire : “Je sais que tu penses ça, pourquoi n’en parles-tu pas avec lui ?” La scène où Janine engueule Mathieu en épluchant les pommes au sujet de la traite des vaches, c’est parce que je savais que Janine était énervée après Mathieu à ce sujet. Alors je lui ai dit : “Est-ce que tu serais d'accord pour lui dire en face ?” On a installé la caméra, les micros, l’éclairage et je leur ai dit : “C’est bon, ça tourne !”
Vous n’êtes jamais dans la captation, caméra à l’épaule, avec la volonté de voler des moments aux gens… On sent une présence au réel, mais aucune violence pour le saisir...
C'est le dispositif qui fait cela. On ne tourne pas de la même façon avec une petite caméra vidéo et le lourd équipement qu'induit la pellicule. Mais c’est surtout un vrai parti pris de mise en scène. Je ne voulais pas voler des moments de leur intimité mais plutôt les amener à interpréter leur propre rôle.
DOSSIER :
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Le Silence avant Bach
de Pere Portabella
de Pere Portabella
Tour à tour expérience visuelle et sonore, reconstitution historique et dialogue philosophique, Le Silence avant Bach est une énigme sans solution. Il a pourtant pour matière et fil conducteur la plus lumineuse, la plus cohérente, la plus rationnelle des expressions de l'esprit humain : la musique de Jean-Sébastien Bach.
Pere Portabella l'évoque à travers des séquences disparates, procédant par libres associations, ce qui n'étonnera pas de la part d'un cinéaste qui fit ses premières armes aux côtés de Luis Buñuel, au temps de Viridiana (1961). Depuis, ce Catalan aujourd'hui octogénaire s'est fait une place aux frontières du cinéma expérimental et du documentaire, territoire qu'il arpente avec vigueur et humour tout au long de ce film.
L'ouverture relève à la fois de l'installation plastique et du canular à l'usage des mélomanes : un piano mécanique monté sur roulettes se déplace dans une galerie d'art aux murs nus, en jouant les Variations Goldberg. Que reste-t-il de la musique si elle est privée d'interprète ? Qu'est-ce qu'un musée sans oeuvres à ses murs ? S'il avait fallu établir la liste des questions que pose malicieusement Portabella, on aurait passé la projection à griffonner frénétiquement.
On voit aussi un routier mélomane, une violoncelliste nue dont le corps ressemble à son instrument, un marché du XIXe siècle, où la viande est vendue enveloppée dans le manuscrit de la Passion selon saint Matthieu. Le musicien Christian Brembeck interprète Bach (et c'est seulement dans ces moments que Pere Portabella marche sur les traces de Chronique d'Anna Magdalena Bach, "documentaire d'époque" réalisé par Jean-Marie Straub et Danièle Huillet en 1968). Un Allemand d'aujourd'hui revêt un costume du XVIIIe siècle pour exercer son métier de guide touristique dans les rues de Leipzig. Vers la fin du Silence avant Bach, deux hommes discutent dans une librairie de la place de la musique dans les camps de la mort.
PERSPECTIVES INATTENDUES
Cette juxtaposition est loin d'épuiser la matière à laquelle s'est attaqué Portabella, ce qui n'est sans doute pas l'ambition du cinéaste. Plutôt qu'une analyse définitive de la place de Jean-Sébastien Bach dans notre culture, il offre une série de provocations au sens le plus positif du terme, ouvrant des perspectives inattendues.
L'épisode du marché, qui s'ouvre sur un long travelling très complexe à travers les étals, reconstitués au détail près, débouche sur l'évocation de la redécouverte de Bach par les romantiques, en l'occurrence Mendelssohn. Cette façon de faire est parfois trop abrupte, quand on la rapporte à certaines interrogations.
Une partie du film est tournée à Dresde, une ville rasée pendant la seconde guerre mondiale, et le dialogue dans la librairie pose lui aussi la question de la place de l'art sur un continent qui a un temps abjuré son humanité. C'est là que la méthode de Pere Portabella trouve ses limites, en se contentant de poser laconiquement une question aussi dérangeante pour passer très vite à la séquence suivante.
Il est difficile de lui en tenir rigueur, le dernier plan du film, lent travelling sur une partition liturgique dont on entend l'exécution, est d'une simplicité lumineuse, comme l'essence de cette musique venue combler le silence qui régnait avant elle.
Thomas Sotinel
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Pere Portabella l'évoque à travers des séquences disparates, procédant par libres associations, ce qui n'étonnera pas de la part d'un cinéaste qui fit ses premières armes aux côtés de Luis Buñuel, au temps de Viridiana (1961). Depuis, ce Catalan aujourd'hui octogénaire s'est fait une place aux frontières du cinéma expérimental et du documentaire, territoire qu'il arpente avec vigueur et humour tout au long de ce film.
L'ouverture relève à la fois de l'installation plastique et du canular à l'usage des mélomanes : un piano mécanique monté sur roulettes se déplace dans une galerie d'art aux murs nus, en jouant les Variations Goldberg. Que reste-t-il de la musique si elle est privée d'interprète ? Qu'est-ce qu'un musée sans oeuvres à ses murs ? S'il avait fallu établir la liste des questions que pose malicieusement Portabella, on aurait passé la projection à griffonner frénétiquement.
On voit aussi un routier mélomane, une violoncelliste nue dont le corps ressemble à son instrument, un marché du XIXe siècle, où la viande est vendue enveloppée dans le manuscrit de la Passion selon saint Matthieu. Le musicien Christian Brembeck interprète Bach (et c'est seulement dans ces moments que Pere Portabella marche sur les traces de Chronique d'Anna Magdalena Bach, "documentaire d'époque" réalisé par Jean-Marie Straub et Danièle Huillet en 1968). Un Allemand d'aujourd'hui revêt un costume du XVIIIe siècle pour exercer son métier de guide touristique dans les rues de Leipzig. Vers la fin du Silence avant Bach, deux hommes discutent dans une librairie de la place de la musique dans les camps de la mort.
PERSPECTIVES INATTENDUES
Cette juxtaposition est loin d'épuiser la matière à laquelle s'est attaqué Portabella, ce qui n'est sans doute pas l'ambition du cinéaste. Plutôt qu'une analyse définitive de la place de Jean-Sébastien Bach dans notre culture, il offre une série de provocations au sens le plus positif du terme, ouvrant des perspectives inattendues.
L'épisode du marché, qui s'ouvre sur un long travelling très complexe à travers les étals, reconstitués au détail près, débouche sur l'évocation de la redécouverte de Bach par les romantiques, en l'occurrence Mendelssohn. Cette façon de faire est parfois trop abrupte, quand on la rapporte à certaines interrogations.
Une partie du film est tournée à Dresde, une ville rasée pendant la seconde guerre mondiale, et le dialogue dans la librairie pose lui aussi la question de la place de l'art sur un continent qui a un temps abjuré son humanité. C'est là que la méthode de Pere Portabella trouve ses limites, en se contentant de poser laconiquement une question aussi dérangeante pour passer très vite à la séquence suivante.
Il est difficile de lui en tenir rigueur, le dernier plan du film, lent travelling sur une partition liturgique dont on entend l'exécution, est d'une simplicité lumineuse, comme l'essence de cette musique venue combler le silence qui régnait avant elle.
Thomas Sotinel
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LAUTREC de Roger Planchon
Au lendemain des massacres de la Commune, c'est la Belle Epoque en
France, les théâtres retentissent des pièces de Georges Feydeau, les jeunes et désinvoltes Van Gogh, Degas, Renoir et autres impressionnistes font basculer la peinture de leur temps. A son arrivée dans la capitale, en 1872, lorsque ses parents viennent s'y installer pour permettre à leur fils de menerune bonne scolarité, Lautrec prend ses premiers conseils auprès du peintre animalier René Princeteau. Avide de peinture, il rejoint Paris en 1882 pour travailler dans plusieurs ateliers du quartier de Montmartre. Dès 1885, Lautrec expose ses toiles dans le cabaret le Mirliton, tenu par le poète, chansonnier et artiste Aristide Bruant (Jean-Marie Bigard).
Son père, le comte Alphonse de Toulouse-Lautrec (Claude Rich) vit avec sa famille- royaliste et légitimiste, appartenant à la plus ancienne noblesse provinciale - dans plusieurs châteaux et passe de l'un à l'autre au cours de l'été. Mais la fiction de Roger Planchon n'en dévoile qu'un seul, suffisant pour revisiter les rapports de sa famille avec Henri - solide habitué des bordels, surnommé « La cafetière » ou « Le porte-manteau » par les filles. Ainsi, le grand peintre d'Albi passe des tripots de la capitale, des petits caboulots de Montmartre aux châteaux du Midi où se réunit sa grande tribu familiale.
Sa mère Adèle (Anémone) est pieuse et son père Alphonse passe pour un individu extravagant - qui, au bois de Boulogne, offre le lait de ses juments à ses maîtresses ou lave ses chemises dans les caniveaux de Paris. Mais le film « Lautrec » est d'abord une romance d’amour sur un air de polka entre l'unique héritier des princes de Toulouse et la grande Suzanne Valadon (Elsa Zylberstein), son modèle.
France, les théâtres retentissent des pièces de Georges Feydeau, les jeunes et désinvoltes Van Gogh, Degas, Renoir et autres impressionnistes font basculer la peinture de leur temps. A son arrivée dans la capitale, en 1872, lorsque ses parents viennent s'y installer pour permettre à leur fils de menerune bonne scolarité, Lautrec prend ses premiers conseils auprès du peintre animalier René Princeteau. Avide de peinture, il rejoint Paris en 1882 pour travailler dans plusieurs ateliers du quartier de Montmartre. Dès 1885, Lautrec expose ses toiles dans le cabaret le Mirliton, tenu par le poète, chansonnier et artiste Aristide Bruant (Jean-Marie Bigard).
Son père, le comte Alphonse de Toulouse-Lautrec (Claude Rich) vit avec sa famille- royaliste et légitimiste, appartenant à la plus ancienne noblesse provinciale - dans plusieurs châteaux et passe de l'un à l'autre au cours de l'été. Mais la fiction de Roger Planchon n'en dévoile qu'un seul, suffisant pour revisiter les rapports de sa famille avec Henri - solide habitué des bordels, surnommé « La cafetière » ou « Le porte-manteau » par les filles. Ainsi, le grand peintre d'Albi passe des tripots de la capitale, des petits caboulots de Montmartre aux châteaux du Midi où se réunit sa grande tribu familiale.
Sa mère Adèle (Anémone) est pieuse et son père Alphonse passe pour un individu extravagant - qui, au bois de Boulogne, offre le lait de ses juments à ses maîtresses ou lave ses chemises dans les caniveaux de Paris. Mais le film « Lautrec » est d'abord une romance d’amour sur un air de polka entre l'unique héritier des princes de Toulouse et la grande Suzanne Valadon (Elsa Zylberstein), son modèle.
Dossier de Presse:
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Moscow-Belgium
de Chistophe Von Rompaey
Moscow, Belgium est d'abord un film bien écrit. Un scénario sans grosses prises de risques, servi par de bons dialogues et des personnages lumineux. Pas de révolution du cinéma dans ce film belge, les amateurs de Bullet Time et autres effets spéciaux devront se contenter de Matty (Barbara Sarafian) et Johnny (Jurgen Delnaet) les deux personnages principaux du film, et de Véra la fille aînée interprétée par la très prometteuse Anémone Valcke. Les acteurs et l'histoire tiennent donc le film de bout en bout et remplissent l'essentiel des attentes du spectateur.
Unis par le côté bancal de leur existence, ces personnages en quête d'amour évoluent en périphérie avec l'espoir de trouver chacun leur part du gâteau. Johnny et Wermer se disputant Matty, avec une certaine forme de courtoisie propre aux mâles dominants. Véra, adolescente rebelle et mignonne, contre l'autorité masculine, use de son mauvais caractère en toute liberté. La voir envoyer balader chaque membre de sa famille en toute impunité est un vrai plaisir et rappelle à chacun ce « bon vieux temps ».
Moscow, Belgium vaut le détour. Pour tous ceux qui aiment sortir du cinéma de bonne humeur c'est le film à voir. Une sorte de comédie dramatique familiale où les maladresses avec la vie sont prétexte à de nouveaux espoirs. On attend bien entendu le prochain film de Christophe Van Rompaey avec impatience, avec, on l'espère, une petite étincelle supplémentaire pour passer de la catégorie des films juste réussis à la catégorie des petits trésors.
Raphaël Neira
extrait:
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de Chistophe Von Rompaey
Moscow, Belgium est d'abord un film bien écrit. Un scénario sans grosses prises de risques, servi par de bons dialogues et des personnages lumineux. Pas de révolution du cinéma dans ce film belge, les amateurs de Bullet Time et autres effets spéciaux devront se contenter de Matty (Barbara Sarafian) et Johnny (Jurgen Delnaet) les deux personnages principaux du film, et de Véra la fille aînée interprétée par la très prometteuse Anémone Valcke. Les acteurs et l'histoire tiennent donc le film de bout en bout et remplissent l'essentiel des attentes du spectateur.
Unis par le côté bancal de leur existence, ces personnages en quête d'amour évoluent en périphérie avec l'espoir de trouver chacun leur part du gâteau. Johnny et Wermer se disputant Matty, avec une certaine forme de courtoisie propre aux mâles dominants. Véra, adolescente rebelle et mignonne, contre l'autorité masculine, use de son mauvais caractère en toute liberté. La voir envoyer balader chaque membre de sa famille en toute impunité est un vrai plaisir et rappelle à chacun ce « bon vieux temps ».
Moscow, Belgium vaut le détour. Pour tous ceux qui aiment sortir du cinéma de bonne humeur c'est le film à voir. Une sorte de comédie dramatique familiale où les maladresses avec la vie sont prétexte à de nouveaux espoirs. On attend bien entendu le prochain film de Christophe Van Rompaey avec impatience, avec, on l'espère, une petite étincelle supplémentaire pour passer de la catégorie des films juste réussis à la catégorie des petits trésors.
Raphaël Neira
extrait:
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Hunger, qui sort six mois après avoir cassé la baraque à Cannes (presse dithyrambique, caméra d’or) est un film plus que puissant. Un des ogres de l’année. Il apparaît surtout comme le plus apte à répondre à ce que veut l’époque, comme taillé sur l’imaginaire 2008. Son geste relève tout du tour de force esthétique tout en abordant de front une histoire contemporaine jusqu’ici mal filmée : la grève de la faim en 1980 de prisonniers républicains, membres de l’IRA (Armée républicaine irlandaise), en guerre contre l’Angleterre pour l’indépendance de l’Irlande du Nord. Une grève de la faim qui se terminera en octobre 1981, après le décès de neuf d’entre eux (dont le leader, Bobby Sands, élu député pour l’Assemblée de Westminster depuis sa prison), butant devant l’inflexible politique de la «Dame de fer», Margaret Thatcher. Dernier point, Hunger est signé par Steve McQueen, 39 ans, l’artiste anglais le plus demandé du moment. Beauté, vérité, engagement, colère, un soupçon de hype mais avec ce qu’il faut d’estomac : trop beau pour être vrai ? Quelque chose à redire ? Pour cela, il va falloir se lever de bonne heure.
Brutalité. La critique est devant Hunger à compter les points. Des points que McQueen marque avec une facilité d’autant plus agaçante qu’il n’avait jusqu’ici jamais travaillé ni avec des acteurs ni sur scénario. Pourtant, après une heure quarante de happening christique en milieu carcéral, on a l’impression saisissante d’avoir été, à notre tour, ce dixième prisonnier, oublié par chance dans un coin noir d’une salle de cinéma devenue le quatrième mur d’une cellule quelque part en plein Ulster. On peut toujours faire le sourcilleux, hurler à la prise d’otage, l’effet est là : Hunger a bien retrouvé la trace vive de ces indépendantistes catholiques embastillés dans les QHS de Maze. Incarcérés mais continuant à protester, refusant de porter l’infamant uniforme de prisonnier, puis de se laver, s’enlisant dans une merde immense (quand dehors c’est la merde plus encore) et, ne voyant toujours pas leur statut de prisonnier politique reconnu, refusant d’ingérer le moindre aliment venant des Loyalistes.
Hunger : en français, la faim. Le refus par la faim. Passé une intro tâtonnante (suivre d’abord les matons n’était pas une si bonne idée), Hunger se referme sur nous avec la brutalité d’une porte d’airain : c’est dans l’expérience sensible que l’on épousera la bonne cause, hagard dans un barbouillage excrémentiel, un Lascaux tartiné d’excréments. Ils l’ont enduré, et durant des semaines, vous pouvez donc bien tenir une petite demi-heure. La récompense viendra sous la forme d‘un héros, Bobby Sands (porté par le charismatique Michael Fassbender, actuellement en tournage chez Tarantino), gagnant en présence symbolique tout ce qu’il perd en épaisseur physique semaine après semaine, quand, atteignant les soixante jours de jeûne, son corps ne devient plus que cette chose squelettique, tachée, malade, touchant ce point où tout semble avoir déjà basculé vers la disparition. Boby Sands est à la fois Jésus, l’Irlande du Nord ouvrière tout entière, le peuple qui manque et l’addition de toutes les injustices. Un symbole en puissance.
Fascination. C’est pourquoi on peut rester perplexe à entendre McQueen certifier que non, non, non, «les notions simplistes de héros, de martyr, de victime» ne l’intéressent pas. Quand Hunger est tout à la fabrique de son héros. McQueen est trop baigné de théorie arty pour ne pas savoir que sur ce point sa fascination a été plus forte que son intention. Ce n’est pas un reproche, le cinéma (accroché comme il est au vieux principe d’identification) n’a jamais pu se faire tout à fait au concept moderne de la mort du héros. Dès qu’on le laisse faire, le cinéma ne demande que ça : admirer des hommes admirables.
PHILIPPE AZOURY
Steve McQueen, l'artiste et réalisateur, est un personnage plutôt discret, à l'œuvre minimaliste et méditative. Lorsqu'il fut appelé le 25 mai 2008 sur la scène du Palais des Festivals à Cannes, afin de recevoir des mains de Dennis Hopper la Caméra d'Or pour son premier long-métrage Hunger, bien peu de professionnels du cinéma comme de journalistes pouvaient prétendre le connaître.
Pourtant Steve McQueen, né à Londres en 1969, ancien étudiant du fameux Goldsmith College de Londres puis de la Tisch School of Arts de New York au début des années 1990, a déjà derrière lui une carrière de vidéaste couronnée de succès. Lauréat du Turner Prize (qui récompense chaque année un artiste britannique) en 1999, il représentera en 2009 son pays à la Biennale de Venise.
Interrogé en 2007 par le magazine Frieze sur les films qui ont influencé sa pratique, Steve McQueen cite Zéro de conduite, de Jean Vigo : « C'est inventif, magique, dans une certaine mesure sexuellement ambigu, politique, bizarre et très narratif en même temps. Andy Warhol de 1964, œuvre sur le temps qui montre un homme endormi sur un canapé, observé par un autre. Etonnant rapprochement suggéré par Steve McQueen, entre un film de cinéma gai et lyrique des années 1930, censuré en son temps, sur l'irruption de la liberté à l'adolescence, et une œuvre plus strictement d'« art contemporain », nettement plus proche, dans sa réflexion sur le temps de l'image, du travail filmique de Steve McQueen, très minimaliste et non-narratif.
En 2003, l'exposition « Speaking in Tongues » au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris présentait plusieurs œuvres majeures de l'artiste. Girls, Tricky, vidéo de 2001, montrait dans un clair-obscur entêtant une séquence d'improvisation du chanteur Tricky, gueule cassée surgissant de l'ombre. Deadpan (Pince-sans-rire), en 1997, reprenait un gag tiré de Steamboat Bill Jr. de Buster Keaton, dans lequel la façade d'une maison tombe sur l'acteur, le laissant indemne. Le spectateur s'identifiait au personnage immobile (Steve McQueen lui-même), filmé sous divers angles, et ressentait le vertige du mouvement, sensible dans le souffle de la chute du mur. L'artiste poursuit sa réflexion sur l'image cinématographique dans des œuvres telles Rayners Lane (2008) ou Running Thunder (2007), paradoxaux plans fixes.
Entretien avec Stève McQueen :
Brutalité. La critique est devant Hunger à compter les points. Des points que McQueen marque avec une facilité d’autant plus agaçante qu’il n’avait jusqu’ici jamais travaillé ni avec des acteurs ni sur scénario. Pourtant, après une heure quarante de happening christique en milieu carcéral, on a l’impression saisissante d’avoir été, à notre tour, ce dixième prisonnier, oublié par chance dans un coin noir d’une salle de cinéma devenue le quatrième mur d’une cellule quelque part en plein Ulster. On peut toujours faire le sourcilleux, hurler à la prise d’otage, l’effet est là : Hunger a bien retrouvé la trace vive de ces indépendantistes catholiques embastillés dans les QHS de Maze. Incarcérés mais continuant à protester, refusant de porter l’infamant uniforme de prisonnier, puis de se laver, s’enlisant dans une merde immense (quand dehors c’est la merde plus encore) et, ne voyant toujours pas leur statut de prisonnier politique reconnu, refusant d’ingérer le moindre aliment venant des Loyalistes.
Hunger : en français, la faim. Le refus par la faim. Passé une intro tâtonnante (suivre d’abord les matons n’était pas une si bonne idée), Hunger se referme sur nous avec la brutalité d’une porte d’airain : c’est dans l’expérience sensible que l’on épousera la bonne cause, hagard dans un barbouillage excrémentiel, un Lascaux tartiné d’excréments. Ils l’ont enduré, et durant des semaines, vous pouvez donc bien tenir une petite demi-heure. La récompense viendra sous la forme d‘un héros, Bobby Sands (porté par le charismatique Michael Fassbender, actuellement en tournage chez Tarantino), gagnant en présence symbolique tout ce qu’il perd en épaisseur physique semaine après semaine, quand, atteignant les soixante jours de jeûne, son corps ne devient plus que cette chose squelettique, tachée, malade, touchant ce point où tout semble avoir déjà basculé vers la disparition. Boby Sands est à la fois Jésus, l’Irlande du Nord ouvrière tout entière, le peuple qui manque et l’addition de toutes les injustices. Un symbole en puissance.
Fascination. C’est pourquoi on peut rester perplexe à entendre McQueen certifier que non, non, non, «les notions simplistes de héros, de martyr, de victime» ne l’intéressent pas. Quand Hunger est tout à la fabrique de son héros. McQueen est trop baigné de théorie arty pour ne pas savoir que sur ce point sa fascination a été plus forte que son intention. Ce n’est pas un reproche, le cinéma (accroché comme il est au vieux principe d’identification) n’a jamais pu se faire tout à fait au concept moderne de la mort du héros. Dès qu’on le laisse faire, le cinéma ne demande que ça : admirer des hommes admirables.
PHILIPPE AZOURY
Steve McQueen, l'artiste et réalisateur, est un personnage plutôt discret, à l'œuvre minimaliste et méditative. Lorsqu'il fut appelé le 25 mai 2008 sur la scène du Palais des Festivals à Cannes, afin de recevoir des mains de Dennis Hopper la Caméra d'Or pour son premier long-métrage Hunger, bien peu de professionnels du cinéma comme de journalistes pouvaient prétendre le connaître.
Pourtant Steve McQueen, né à Londres en 1969, ancien étudiant du fameux Goldsmith College de Londres puis de la Tisch School of Arts de New York au début des années 1990, a déjà derrière lui une carrière de vidéaste couronnée de succès. Lauréat du Turner Prize (qui récompense chaque année un artiste britannique) en 1999, il représentera en 2009 son pays à la Biennale de Venise.
Interrogé en 2007 par le magazine Frieze sur les films qui ont influencé sa pratique, Steve McQueen cite Zéro de conduite, de Jean Vigo : « C'est inventif, magique, dans une certaine mesure sexuellement ambigu, politique, bizarre et très narratif en même temps. Andy Warhol de 1964, œuvre sur le temps qui montre un homme endormi sur un canapé, observé par un autre. Etonnant rapprochement suggéré par Steve McQueen, entre un film de cinéma gai et lyrique des années 1930, censuré en son temps, sur l'irruption de la liberté à l'adolescence, et une œuvre plus strictement d'« art contemporain », nettement plus proche, dans sa réflexion sur le temps de l'image, du travail filmique de Steve McQueen, très minimaliste et non-narratif.
En 2003, l'exposition « Speaking in Tongues » au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris présentait plusieurs œuvres majeures de l'artiste. Girls, Tricky, vidéo de 2001, montrait dans un clair-obscur entêtant une séquence d'improvisation du chanteur Tricky, gueule cassée surgissant de l'ombre. Deadpan (Pince-sans-rire), en 1997, reprenait un gag tiré de Steamboat Bill Jr. de Buster Keaton, dans lequel la façade d'une maison tombe sur l'acteur, le laissant indemne. Le spectateur s'identifiait au personnage immobile (Steve McQueen lui-même), filmé sous divers angles, et ressentait le vertige du mouvement, sensible dans le souffle de la chute du mur. L'artiste poursuit sa réflexion sur l'image cinématographique dans des œuvres telles Rayners Lane (2008) ou Running Thunder (2007), paradoxaux plans fixes.
Entretien avec Stève McQueen :
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Le cinéma de Clint Eastwood a quelque chose de paradoxal. Plus le réalisateur avance en âge et en expérience, plus il semble vouloir maîtriser son histoire, au risque de la verrouiller dans une forme impeccable mais dénuée de toute ambiguïté. Pour son trentième film, il s’est emparé d’un fait divers oublié (accompagné de l’inévitable et comminatoire sentence du générique, « a true story »), dont il fait un récit chronologique méticuleux, survolé par un désir obsessionnel de sanctuariser la victime et d’accabler ses bourreaux.
L’affaire se déroule dans le Los Angeles de 1928 (deux ans avant la naissance du cinéaste), ainsi que le dévoile ce premier plan aérien qui croque en une image le gigantisme désordonné de cette bourgade qui a poussé trop vite, à l’ombre envahissante d’Hollywood. Il ne manque pas une feuille de palmier à la reconstitution de la Cité des Anges, du joli tramway rouge aux voitures d’époque en passant par les meubles de chez l’antiquaire et le chapeau cloche qui ne quitte jamais l’héroïne.
Christine Collins (Angelina Jolie), une femme émancipée car mère célibataire, gagnant sa vie dans une entreprise florissante de téléphonie (comme si aujourd’hui elle bossait pour Google), signale la disparition de son jeune fils. Trois mois d’angoisse plus tard, la police convoque triomphalement la presse et la mère éplorée pour annoncer qu’elle a retrouvé le garçon. Formidable, sauf que c’est un autre gamin.
C’est le début d’un interminable calvaire pour cette femme qui devra sans cesse faire la démonstration qu’elle n’est pas une mauvaise mère, qu’elle ne mène pas une vie de barreau de chaise et qu’elle a conservé sa santé mentale. Surtout, avec l’aide d’un pasteur un poil janséniste qui ne devait pas rigoler tous les jours (John Malkovich), elle s’engage malgré elle dans une croisade contre un pouvoir municipal corrompu jusqu’aux guêtres et une police dont les méthodes préfigurent celles de la Gestapo.
Rien, au cours des deux heures et demi du film, ne viendra alors dévier d’un iota le caractère inexorable de ce réquisitoire contre la corruption des politiques, prêts à toutes les ignominies. Eastwood va ainsi jusqu’à filmer les moindres détails d’une exécution capitale, avec une froideur qui fout un peu les jetons. Rien ne vient non plus troubler l’entreprise de béatification d’une femme qui incarne, presque à elle seule, le martyre des femmes battues, méprisées et opprimées dans cette Amérique encore barbare.
Pour autant, comme s’il s’agissait d’un exercice d’équilibre, Clint Eastwood met en images sa sainte colère avec le professionnalisme du vieux briscard qu’il est. Sans passion dévorante, dans l’ordre et sans s’énerver.
L'ECHANGE
de Clint Eastwood
de Clint Eastwood
Le cinéma de Clint Eastwood a quelque chose de paradoxal. Plus le réalisateur avance en âge et en expérience, plus il semble vouloir maîtriser son histoire, au risque de la verrouiller dans une forme impeccable mais dénuée de toute ambiguïté. Pour son trentième film, il s’est emparé d’un fait divers oublié (accompagné de l’inévitable et comminatoire sentence du générique, « a true story »), dont il fait un récit chronologique méticuleux, survolé par un désir obsessionnel de sanctuariser la victime et d’accabler ses bourreaux.
L’affaire se déroule dans le Los Angeles de 1928 (deux ans avant la naissance du cinéaste), ainsi que le dévoile ce premier plan aérien qui croque en une image le gigantisme désordonné de cette bourgade qui a poussé trop vite, à l’ombre envahissante d’Hollywood. Il ne manque pas une feuille de palmier à la reconstitution de la Cité des Anges, du joli tramway rouge aux voitures d’époque en passant par les meubles de chez l’antiquaire et le chapeau cloche qui ne quitte jamais l’héroïne.
Christine Collins (Angelina Jolie), une femme émancipée car mère célibataire, gagnant sa vie dans une entreprise florissante de téléphonie (comme si aujourd’hui elle bossait pour Google), signale la disparition de son jeune fils. Trois mois d’angoisse plus tard, la police convoque triomphalement la presse et la mère éplorée pour annoncer qu’elle a retrouvé le garçon. Formidable, sauf que c’est un autre gamin.
C’est le début d’un interminable calvaire pour cette femme qui devra sans cesse faire la démonstration qu’elle n’est pas une mauvaise mère, qu’elle ne mène pas une vie de barreau de chaise et qu’elle a conservé sa santé mentale. Surtout, avec l’aide d’un pasteur un poil janséniste qui ne devait pas rigoler tous les jours (John Malkovich), elle s’engage malgré elle dans une croisade contre un pouvoir municipal corrompu jusqu’aux guêtres et une police dont les méthodes préfigurent celles de la Gestapo.
Rien, au cours des deux heures et demi du film, ne viendra alors dévier d’un iota le caractère inexorable de ce réquisitoire contre la corruption des politiques, prêts à toutes les ignominies. Eastwood va ainsi jusqu’à filmer les moindres détails d’une exécution capitale, avec une froideur qui fout un peu les jetons. Rien ne vient non plus troubler l’entreprise de béatification d’une femme qui incarne, presque à elle seule, le martyre des femmes battues, méprisées et opprimées dans cette Amérique encore barbare.
Pour autant, comme s’il s’agissait d’un exercice d’équilibre, Clint Eastwood met en images sa sainte colère avec le professionnalisme du vieux briscard qu’il est. Sans passion dévorante, dans l’ordre et sans s’énerver.
Bruno Icher
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MASCARADES
de Lyes Salem
Touchante, brillante par moments, cette comédie se veut un pamphlet contre les traditions et les conservatismes obsolètes incarnés par Mounir et son village en partie.
Tandis que la sœur de Mounir, Rym, et le jeune Khlifa, notamment, sont des personnages au sang neuf tournés vers l’avenir.
En fait, si Rym s’endort à tout bout de champ c’est qu’elle souffre de l’inertie insupportbale et insoutenable de la société où elle vit.
A preuve quand elle épouse Khlifa, malgré son frère Mounir, elle ne s’endort plus du tout… ou presque… Il faut bien garder l’humour
Dans la forme et le fond, Elyès Salim aurait pu pousser davantage dans le délire, mais le message nous est malgré tout parvenu : l’auteur-réalisateur pose des interrogations autour du poids des traditions et des conservatismes. Va-t-on un jour aspirer à la modernité? Comment s’accaparer la modernité sans pour autant renoncer à nos traditions? Car on le voit bien, Khlifa en dépit de sa recherche de l’amour et de la liberté est accroché à sa religion (il fait ses 5 prières), à ses traditions et à sa culture. Il est le support et le pilier de sa famille, il est le seul homme, ou presque, à travailler dans ce village, tandis que la majorité des hommes désœuvrés, roulent des mécaniques ou s’éternisent au café.
A l’opposé, les femmes et l’enfant représentent quelque peu l’espoir de la société. Les personnages de femmes plutôt positifs (l’épouse de Mounir, Rym, les voisines, la grand-mère) sont représentés comme des piliers de la société, efficaces, perspicaces et ouverts d’esprit.
Mascarades se termine en boucle avec la même scène du début par un cortège de voitures roulant à une vitesse folle sur la place poussiéreuse du village, un groupe de vieux les regarde, l’air ébahi, tout en se protégeant le visage de la poussière.
Ainsi quoique ébranlé dans leur conviction et leur âme, ces vieux n’ont pas tout perdu. Les transformations du temps n’ont pas altéré leur culture authentique. C’est en substance ce que nous dit cette comédie saignante, délurée et décalée. Une comédie algérienne, comme on les aime très justement, interprétée par Elyès Salim, (Mounir, le réalisateur lui-même, Sarah Reguieg, Rym Takoucht, Mourad Khaïn). Très bien accueilli par le public des JCC, Mascarades a suscité des applaudissements nourris (même de la part du jury), des youyous et des bravos. L’on croit savoir également que Mascarades, production algéro-française, est proposé aux Oscars pour le meilleur film étranger
DOSSIER de PRESSE:
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Après La petite Jérusalem, dont l'action se déroulait à Sarcelles, Karin Albou ancre son second métrage en Tunisie, en 1942. Pourtant, les thèmes des deux films offrent une parenté : même détermination des jeunes femmes, même désir de vivre dans un milieu répressif à leur égard, mêmes préoccupations d'adolescentes. Magnifique.
Nombreux sont les films qui traitent de la seconde guerre mondiale, mais rares sont ceux dont l'action se situe dans un protectorat ; la propagande Nazi y est très présente, et les répercussions sur les personnages, extrêmement fortes. La présence même des soldats allemands hante le film : silhouettes d'hommes, bruits de bottes, couvre-feux, explosions. Et pourtant, loin d'une grande fresque historique, Karin Albou choisit l'intimité des maisons et le point de vue féminin pour percevoir la guerre. Les fenêtres deviennent des postes d'observation où chacune se glisse le soir.
Mais la violence n'est pas que du côté allemand, et c'est en quoi le film ne tombe jamais dans les clichés ou la caricature. Le Hammam est un lieu de conflit entre juifs et musulmans, et les magasins participent à la séparation des communautés (l' « indigène » lancé à Nour dans la boutique de robes de mariage en est symbolique). L'image elle-même joue avec cette dureté ; le gris, le bleu glacé dominent.
Les deux jeunes femmes sont toutes deux frappées par cette dureté : elles sont sous le joug de leur mère, enfermées dans un schéma social très traditionnel, et contraintes au mariage forcé. Nour est fiancée à Khaled, Myriam se voit contrainte d'épouser Raoul pour payer la forte taxe imposée aux juifs. La guerre fait tout pour les séparer : elles sont toujours collées l'une à l'autre au début du film, dans un mode fusionnel, avant de s'éviter jusqu'à faire semblant de ne plus se voir. A cela s'ajoutent les préoccupations liées à l'adolescence, les interrogations sur l'amour, la découverte de la sensualité, et l'angoisse de ces hommes qu'on leur fait éviter soigneusement depuis leur plus tendre enfance.
Tous ces thèmes mêlés avec retenue et finesse font de ce film un objet magnifique. Bizarrement, on a l'impression de redécouvrir la période. Aux antipodes du déjà-vu, Karin Albou cultive l'ambiguïté de personnages dont aucun n'est parfait, et brosse un joli portrait de ces femmes, enfermées dans une société aux accents féodaux.
Heloïse Vandesmet Toullec
Un film magnifique, très fin, profondément humain, de ceux qui vous remuent les sangs et la conscience des années passées. Celle d'aujourd'hui aussi.
Nous sommes emportés à Tunis, l'année 1942. On découvre une famille musulmane, à côté de laquelle vivent une mère et sa fille, juives, sans le sou. L'Allemagne occupe la ville, et y diffuse sa propagande anti-juive.
L'amitié liant Myriam, la jeune fille juive et Nour la Tunisienne, traversera des drames et des péripéties. Leurs mariages respectifs les séparent un temps.
Écrit et réalisé par la Française Karine Albou, Le Chant des mariées est aussi une chronique raffinée des us et coutumes se rapportant aux unions arrangées par les familles. Le film offre des scènes féminines très sensibles et emplies d'esthétisme, Il brosse aussi le tableau de la tolérance du peuple tunisien, ainsi que celle des textes du Coran, quand il est lu par des gens qui le comprennent. Mais il y a une exception, incarnée par le fiancé de Nour.
On est interpellés, encore, par la qualité des rapports entretenus dans chacun des couples. La supériorité masculine est revendiquée dans le couple musulman (« C'est moi qui décide, dit le marié pro allemand, le soir de ses noces). L'influence qu'a la mariée juive sur son mari rend le courage à ce dernier de résister au pouvoir nazi.
Scénario parfait, croisement des intérêts des personnages, montage sensible et léger, expressivité des regards, Le Chant des mariées se promet un très bel avenir.
DANIELLE BÉCU
Nombreux sont les films qui traitent de la seconde guerre mondiale, mais rares sont ceux dont l'action se situe dans un protectorat ; la propagande Nazi y est très présente, et les répercussions sur les personnages, extrêmement fortes. La présence même des soldats allemands hante le film : silhouettes d'hommes, bruits de bottes, couvre-feux, explosions. Et pourtant, loin d'une grande fresque historique, Karin Albou choisit l'intimité des maisons et le point de vue féminin pour percevoir la guerre. Les fenêtres deviennent des postes d'observation où chacune se glisse le soir.
Mais la violence n'est pas que du côté allemand, et c'est en quoi le film ne tombe jamais dans les clichés ou la caricature. Le Hammam est un lieu de conflit entre juifs et musulmans, et les magasins participent à la séparation des communautés (l' « indigène » lancé à Nour dans la boutique de robes de mariage en est symbolique). L'image elle-même joue avec cette dureté ; le gris, le bleu glacé dominent.
Les deux jeunes femmes sont toutes deux frappées par cette dureté : elles sont sous le joug de leur mère, enfermées dans un schéma social très traditionnel, et contraintes au mariage forcé. Nour est fiancée à Khaled, Myriam se voit contrainte d'épouser Raoul pour payer la forte taxe imposée aux juifs. La guerre fait tout pour les séparer : elles sont toujours collées l'une à l'autre au début du film, dans un mode fusionnel, avant de s'éviter jusqu'à faire semblant de ne plus se voir. A cela s'ajoutent les préoccupations liées à l'adolescence, les interrogations sur l'amour, la découverte de la sensualité, et l'angoisse de ces hommes qu'on leur fait éviter soigneusement depuis leur plus tendre enfance.
Tous ces thèmes mêlés avec retenue et finesse font de ce film un objet magnifique. Bizarrement, on a l'impression de redécouvrir la période. Aux antipodes du déjà-vu, Karin Albou cultive l'ambiguïté de personnages dont aucun n'est parfait, et brosse un joli portrait de ces femmes, enfermées dans une société aux accents féodaux.
Heloïse Vandesmet Toullec
Un film magnifique, très fin, profondément humain, de ceux qui vous remuent les sangs et la conscience des années passées. Celle d'aujourd'hui aussi.
Nous sommes emportés à Tunis, l'année 1942. On découvre une famille musulmane, à côté de laquelle vivent une mère et sa fille, juives, sans le sou. L'Allemagne occupe la ville, et y diffuse sa propagande anti-juive.
L'amitié liant Myriam, la jeune fille juive et Nour la Tunisienne, traversera des drames et des péripéties. Leurs mariages respectifs les séparent un temps.
Écrit et réalisé par la Française Karine Albou, Le Chant des mariées est aussi une chronique raffinée des us et coutumes se rapportant aux unions arrangées par les familles. Le film offre des scènes féminines très sensibles et emplies d'esthétisme, Il brosse aussi le tableau de la tolérance du peuple tunisien, ainsi que celle des textes du Coran, quand il est lu par des gens qui le comprennent. Mais il y a une exception, incarnée par le fiancé de Nour.
On est interpellés, encore, par la qualité des rapports entretenus dans chacun des couples. La supériorité masculine est revendiquée dans le couple musulman (« C'est moi qui décide, dit le marié pro allemand, le soir de ses noces). L'influence qu'a la mariée juive sur son mari rend le courage à ce dernier de résister au pouvoir nazi.
Scénario parfait, croisement des intérêts des personnages, montage sensible et léger, expressivité des regards, Le Chant des mariées se promet un très bel avenir.
DANIELLE BÉCU
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