du 4 Fevrier au 10 Mars 2009













Programme Imprimable:





Horaires:










Les Rendez-vous du mois

Jeudi 12 Fevrier 2009
à 18h30

Nos Enfants
nous accuseront


(Acces direct au dossier
cliquer sur l'affiche)

Projection, Débat, Buffet bio !

En présence de JEAN-PIERRE BERLAND, directeur de recherche à L’INRA et
de Mme COSSON, responsable de la cuisine centrale de Salon

En partenariat avec l’AMAP Atout Bio, le service Education Enfance et la Cuisine Centrale de la Ville de Martigues, la Biocoop des cigales,
le chantier d'insertion Graines de soleil,
la librairie l’Alinea

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Jeudi 5 Mars 2009
à 20h30

Che, Guerilla




Débat animé par
Jean-Marie PAOLI
Association France-Amerique Latine


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PROGRAMMATION du mois


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HOME
Ursula Meier




Mais qu'est-ce que c'est que cette maison qui semble avoir été posée là, comme par inadvertance, au bord de cette autoroute vide ? Et qu'est-ce que c'est que ces gens qui y habitent ? Ils semblent parfaitement heureux, d'ailleurs : papa, maman et leurs trois enfants jouent au hockey, la nuit, s'éclaboussent gaiement, avec des cris et des rires, dans la salle de bains, et se frôlent tous avec tendresse. Au matin, le père (Oliver Gourmet) part travailler et les deux cadets vont à l'école. L'aînée (Adélaïde Leroux) ne fait que bronzer, allongée sur son transat, avec, dans les oreilles, une musique qui tue le silence. Normal. Tout paraît normal.



Et en même temps très étrange. De fait, on va percevoir, peu à peu, les craintes enfouies, mal cachées de la mère (Isabelle Huppert). On devine, sans en comprendre les raisons, que c'est pour elle qu'ils sont là à s'obstiner à paraître heureux, dans cette drôle de maison, près de cette autoroute vide... Vide, justement, elle ne va plus l'être. C'est le fils qui les prévient, alors qu'ils regardent la télé, sagement assis sur un divan, en pleine rue : il a vu des types qui se mettaient à goudronner. Mauvaise nouvelle, ça ! Et brusquement, telles des apparitions maléfiques, des camions jaunes et des hommes en rouge, impassibles, silencieux, débarquent, nettoient, ôtent de la route le divan, la parabole, le tuyau d'arrosage et la petite piscine gonflable que la famille avait disséminés.

Voilà. Ça y est. Après dix ans d'attente, le tronçon E 57 de l'autoroute à deux voies va enfin devenir opérationnel, pour le plus grand plaisir des automobilistes. Très vite - les statistiques précises de Marion (Madeleine Budd) l'attestent -, 5 157 voitures passent quotidiennement devant la maison, quand elles ne s'arrêtent pas, victimes d'embouteillage. Et presque autant de camions et de motos. L'enfer... Partir, oui, il faudrait partir. Bien sûr qu'il faudrait partir. « Tu vas nous faire déménager ? demande la mère, affolée, en larmes. On irait où ? On ferait quoi ? C'est chez nous, ici... »

Avec une cruauté insidieuse, quasi clinique, et une drôlerie grinçante, presque surréaliste, Ursula Meier se met alors à contempler deux mondes parallèles et névrosés. A l'extérieur, elle filme le bruit et la fureur : ces anonymes dans leurs boîtes colorées, dont on se demande s'ils savent seulement pourquoi et vers où ils roulent, ces indifférents qui jettent leurs canettes vides et leurs papiers gras dans le jardin de gens qu'ils regardent mais ne voient pas. A l'intérieur, elle filme l'absurde et la peur. Les enfants forcés d'emprunter un parcours ridicule pour rentrer de l'école. L'impuissance grandissante de la mère à affronter un univers qui s'effrite. Jusqu'au moment où ils décident tous (sauf l'aînée, la bronzeuse, mais elle, c'est de loin la plus saine de la famille) d'aller au bout de leur déraison.

On songe à Cassavetes, bien sûr (pour Isabelle Huppert, soeur lointaine de la Gena Rowlands d'Une femme sous influence). Et au Polanski débutant : celui de Répulsion et de Cul-de-sac, pour le sens de l'inquiétude et de la dérision. Références superflues, en fait, puisque la plus grande qua lité de Home, c'est d'être parfaitement original. Ursula Meier a réussi une fable gorgée de couleurs vives et d'entrelacs mystérieux, de pistes qu'elle propose d'emprunter, sans jamais nous forcer à les suivre... On sent, chez elle, un plaisir à inventer, à tenter, à surprendre. A provoquer, même. A faire réfléchir, en tout cas - juste comme ça, en passant - sur une société tentée davantage par l'asphyxie que par la survie. A sa façon, Home est, évidemment, un conte moral.
Pierre Murat


Portrait d'Ursula Meier:






Dossier de Presse


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PARC
Arnaud des Pallieres






elle seule, la sortie de ce film justifie l'existence de la critique de cinéma. Parc, oeuvre dérangeante et complexe, nimbée d'une rare beauté formelle, divise ceux qui l'ont vu. La satisfaction d'attirer l'attention sur ce film est d'autant plus intense que plane la conviction d'être en présence d'un grand cinéaste, quand bien même les festivals les plus prestigieux l'ont refoulé.
Légitimes, les divergences d'appréciations soulignent le caractère parfois suspect des consensus. La reconnaissance de la valeur d'un artiste est parfois affaire de temps.

Parc est l'adaptation d'un roman de l'Américain John Cheever (1912-1982), Les Lumières de Bullet Park, texte subversif de 1969, symptomatique du règlement de comptes auquel s'adonnait son auteur contre les banlieues résidentielles habitées par des citoyens dont il dépeignait la déréliction conjugale, la brutale révélation de leurs frustrations, prix à payer pour leur réussite sociale.

Chez Arnaud des Pallières, le luxe de la Côte est des Etats-Unis est transposé sur la Côte d'Azur. Il a gardé les noms, sursignifiants jusqu'au burlesque, des deux personnages principaux : Georges Clou et Paul Marteau. "Un clou est une victime rêvée pour un marteau", dit-il.

Clou (Sergi Lopez) est un bourgeois anémié par sa réussite, gestionnaire méticuleux d'un quotidien normatif, confit dans son désir de convenance, répressif à tout affect, béat de s'être bâti un royaume avec femme, fils, chien, confort et golf. Le fils enraye ce paradis illusoire en entamant une sorte de grève de la vie : amorphe sur son lit, cloîtré dans sa chambre, décervelé d'avoir "l'impression d'être un personnage de série télé", il se dit "triste", alors que les médias font écho de la rébellion des banlieues qui flambent.

Marteau (Jean-Marc Barr) est un play-boy oisif qui vient de s'acheter une résidence dans cette cité privée. Otage passif d'un mariage publiquement humiliant, justicier psychopathe, il se pique de faire un geste rédempteur en crucifiant l'idéal de bonheur de l'homme occidental, et choisit son voisin comme victime symbolique.

En dépit de cette menace qui plane et que le moraliste forcené va tenter de mettre à exécution en kidnappant le fils asthénique avant de rêver de sa propre crucifixion, Parc n'est pas un thriller, c'est ce qui fait sa fascinante singularité. Et qu'importe, rançon des métaphores, les gestes emphatiques qui peuvent y désarmer certains, tel le découpage d'une porte d'église à la tronçonneuse : Seven, tueur en série de David Fincher, auteur anobli, n'était pas moins grandiloquent.

TONDEUSE À GAZON

Cette fable crépusculaire, et même gothique au final, stupéfie par la manière dont est suggéré le désarroi métaphysique et le morbide malaise social qui l'entretient. Cette façon de diffuser un vertige du néant, d'insinuer la présence du mal dans un paysage idyllique, de filmer un souffle de vent dans les arbres, un orage, la menace d'un désastre écologique, l'imminence d'un vacillement du monde par une tondeuse à gazon, est la marque d'un cinéaste d'envergure.

Au bilan de ce constat d'une asphyxie morale, Parc ne bascule pas totalement dans le néant. Une scène d'étreinte (Pallières sait aussi relever l'un des défis les plus difficiles - un corps-à-corps amoureux) annonce un sursaut dyonisiaque contre la fatalité de cette alternative millénariste : le chaos par le conformisme de Monsieur Clou ou par le terrorisme de Monsieur Marteau ; le premier courtise l'apocalypse en se murant dans un égoïsme suicidaire, le second en risquant de sonner le glas de l'humanité au nom de sa révolte.

C'est grâce à une rare maîtrise du visuel et du sonore qu'Arnaud des Pallières rend palpable désarroi, effroi, décadence des idéaux humains.

Irrésistiblement surgissent les noms de Michael Haneke et de David Lynch pour cerner cette science d'une atmosphère cynique et onirique, l'art de donner matière filmique à la solitude et à la négation de l'identité, d'immerger le spectateur dans l'inquiétante étrangeté d'un fantasme lancinant. Car, bousculant la chronologie, Parc est aussi habité par des séquences qui transfigurent le rêve en hallucinations.

Jean-Luc Douin






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Nuit de Chien
Werner Schroeter





On peut tenir Werner Schroeter pour un des plus grands cinéastes en activité et ne pas être toujours d’accord avec lui : Nuit de chien est un beau titre, aussi, qui dit autre chose : la meute qui rôde, des nuits à aboyer avec les plus forts, pas toujours les mêmes d’un soir à l’autre, des alliances chiennes, et traîtres, et puis quelques bas instincts humains, du côté du caniveau et des bas-fonds du rêve, ceux qui vous emmènent tout droit au cabaret. Tout cela, d’ailleurs, est dans le film qui ne ressemble à aucun autre : raffiné, insolent, opératique, lyrique, sensuel. Ténébreux et libéré.

Un film que l’on observe faire, avant d’y plonger, intrigué par cette façon de saboter les repères du temps : atmosphère noire des dernières heures du fascisme, taxis-berlines remontant le quai sur lequel est amarré un bateau pour la terre libre, un bateau qui pourrait bien repartir vide si les milices qui tiennent la ville refusent encore de délivrer les billets. Un homme en imperméable (Pascal Greggory), qui regarde depuis un quai de gare la ville haute, un homme descendu d’un train désuet à la recherche d’une femme qui n’a laissé qu’une cigarette encore chaude et un disque rayé. Il la cherche le long des rues désertes et trempées, se heurte à des marins gitons, frères de querelles, à des putains fatales et retombe vite sur des vieux amis : l’homme à l’imperméable a été un temps connu dans cette ville, voué à un grand avenir politique, il aurait pu faire un Premier ministre parfait s’il avait su troquer l’idéal pour le cynisme. Aujourd’hui, il est le paria, le chien. Le temps d’une nuit, il sera le centre d’une danse politique et sauvage. Autant de linéarité surprendrait presque de la part de Schroeter. Certes, ceux qui ont vu, au début des années 80, le Règne de Naples ou Palermo le savent capable de prendre à bras-le-corps la forme historique en s’en jouant. Mais nous sommes quand même, cette fois, face à une forme totalement différente de son dernier film en date, le très claustro Deux. Schroeter parle de Para esta noche comme d’un film «ouvert, plus en communication avec le public».

La reconstitution historique est traitée sur un mode ironique, féroce, avec une garde-robe et des détails décoratifs empruntés à un large spectre temporel (1913-2008) : «Onetti a écrit le roman en 1943, inspiré par sa rencontre avec deux hommes qui s’étaient échappés de l’Espagne franquiste. Mais Onetti n’a pas voulu dater le livre de l’émergence du f ranquisme, il lui a donné cette note intemporelle : l’éternel et universel désastre de l’être humain. Il a inventé une ville imaginaire, Santa Maria. Et Santa Maria, c’est ici, c’est partout, c’est hier, c’est demain, c’est toujours… C’est aujourd’hui, aussi…» La cité noire de nombreux romans de l’œuvre tentaculaire d’Onetti (la Vie brève, le Chantier, Laissons parler le vent, Quand plus rien n’aura d’importance…), Schroeter l’a retrouvée à travers plusieurs villes du Portugal, en particulier Porto. Le film est né de l’insistance de son producteur, Paolo Branco. «Paolo me savait gravement malade d’un cancer de la gorge. Il insistait beaucoup pour qu’on fasse un troisième film ensemble [après le Roi des roses et Deux, ndlr]. Il m’a amené le roman d’Onetti, que j’ai lu en diagonale et, aussitôt, je me suis mis à écrire avec Gilles Taurand. Onetti, c’était le contraire du capitalisme : un homme qui a vécu avec son intelligence seule.»

Le film peut se voir comme essai sur la liberté. Envers et contre tout. Schroeter emploie assez souvent, au long des conversations, le mot «utopie» pour savoir précisément de quoi il retourne. Sa vie entière relève d’une geste libre. «Je suis arrivé au cinéma presque par hasard, car je suis quelqu’un qui a toujours manqué d’ambition - Maria Callas, la messagère de Dieu, m’avait appris combien l’ambition est le contraire de l’activité artistique. J’avais arrêté des études de psychologie après trois semaines et j’envisageais reprendre mes activités de putain. J’avais fait ça quelques mois, à Mannheim, et c’était très instructif, je crois ; j’avais une clientèle de père de famille, très dans le cliché d’époque : mon fils ne me comprend pas, ma femme ne me comprend pas… Bref, mes parents n’étaient pas enchantés à ce que je reprenne mes activités érotiques, aussi ils m’ont encouragé à m’inscrire dans une école de cinéma, tout à fait théorique. Moi qui suis tactile, j’ai tenu trois mois, avant d’aller au festival underground de Knokke-le-Zout. Là, dans une atmosphère de liberté incroyable, j’ai découvert les films de Gregory J. Markopoulos (qui ont influencé mes premiers films, je ne connaissais ni le cinéma de Warhol, ni Jack Smith) et je suis tombé amoureux d’un garçon de 25 ans, qui répondait du doux nom de Rosa Von Praunheim. Rosa ne supportait l’autre qui si l’autre était créatif, alors je me suis mis à faire des films avec la caméra 8 mm de mon enfance pour lui faire plaisir. Un an après, mes premiers films étaient montrés dans un cinéma d’art et essai à Munich. Puis j’ai acheté une Baulieu 16 mm et j’ai enchaîné les films avec mes amis qui constituaient une famille (Magdalena Montezuma, Candy Darling, Christine kaufmann, plus tard Margareth Clémenti, Bulle Ogier, Isabelle Huppert). En 1969, j’ai tourné Eika Katapa, et, de fil en aiguille, la télévision me passa commande de films, puis les gens du théâtre et de l’opéra sont venus à moi.»

L’œuvre de Schroeter court maintenant sur quarante ans, faites de 40 films et de 75 mises en scène d’opéras. Sur ces 40 films, qu’en reste-t-il ? Au mois de novembre dernier, la Viennale, sans doute, aujourd’hui, le festival le plus cinéphile au monde, a rendu hommage à Schroeter. En dépit des recherches lancées par Hans Hirch et son équipe, seuls quinze films ont pu être réunis, certains dans un état préoccupant. Il y manquait ni plus ni moins que la Mort de Maria Malibran, son chef-d’œuvre de la période underground, devenu impassable en salle tant la copie tombe en poussière (une version vidéo en état moyen est visible sur Ubu.com).

Abandonnée, en ruine, gangrenée, malade… voilà en quel état se trouve scandaleusement aujourd’hui cette œuvre immense. Celle-là même devant laquelle la critique a toujours employé le terme de décadence. Sale ironie. Malibran, Willow Springs (le film préféré de Fassbinder), Flocons d’or, Salomé, Weisse Reise, soit les grands films de sa période underground constituèrent, entre 1969 et 1978, une esthétique de l’isolement qui donnait à sentir une forme de désagrégation lente et raffinée, à partir de gros plans de visage, de séparation entre la bande-image, comme venue du cinéma muet, et de la bande-son ; mélangeant airs d’opéras et vieilles chansons calypso. «Je hais, dit-il, toute idée d’académie.» Schroeter composait de ses mains (peignant les décors, cousant les costumes) des miniatures camp qui se moquaient des grandes séparations européennes (culture haute contre culture basse). Lui préfère toujours rejouer Cocteau, la Callas, le muet, Genet, croiser l’opéra et la musique des bouges.

L’étiquette underground a pesé lourd, a fini par devenir une prison. Le Règne de Naples, Palermo, ou, aujourd’hui, Nuit de chien sont, dans sa filmographie, des films qui font imploser l’étroit placard de l’expérimental, fut-il grand crin. A Vienne, en novembre, Ingrid Caven et les acteurs de Nuit de chien montèrent sur scène pour chanter et célébrer un Schroeter lui-même très fatigué, dépassé par la maladie. Il ne se levait que pour offrir à chacun des roses rouges, qu’avec élégance, il plaçait dans les cheveux des filles et à la boutonnière des garçons. Il y avait là comme une dernière mise en scène de la mort au travail, où l’homme et ses films faisaient un dernier signe avant de s’enfoncer dans la nuit.

Mais la mort, cette fille de mauvaise vie, attendra. Schroeter, en ce mois de décembre à Paris, va beaucoup mieux. Il a vaincu la maladie, travaille comme un fou à une mise en scène qui aura lieu en janvier, répond sans souffler aux interviews. D’un café à l’autre, il tient à marcher dans les rues de Paris saisies par le froid. Et les films, à leur tour, vont revenir à nous, la Cinémathèque française, celle de Munich, de Lisbonne, de Berlin et de Madrid vont joindre leurs efforts pour restaurer son œuvre, lançant un chantier qui devrait courir jusqu’en 2012. On songe, en écho, à cette citation du Jules César de Shakespeare que Schroeter a tenu à lire lui-même deux fois, en ouverture et en conclusion de Nuit de chien : «De tous les prodiges dont j’ai jamais entendu parler, le plus étrange, pour moi, c’est que les hommes ont peur, voyant que la mort est une fin nécessaire qui doit venir quand elle doit venir.»

A Venise, lors de la présentation du film, ces mots à valeur d’épitaphe glacèrent le sang. Aujourd’hui, devant cet homme ressaisi, ils ont la sonorité métallique d’un bras de fer lucide : «Maintenant, je sais ça, la brutalité, la violence sont créés par ceux qui ont peur de la mort. Assassiner les autres, c’est espérer se trouver éternel. L’appropriation propre au capitalisme va dans le même sens. Ça rejoint aussi mon seul sujet, depuis toujours, dans ma vie comme dans mes films, qui est la quête de l’amour. Celui ou celle qui refuse d’être quitté, l’appropriation dont ils font preuve, est, elle aussi, une forme d’assassinat. En 1968, la mère de mon fils était tombée amoureuse de mon amant, un jeune artiste peintre américain. Elle était enceinte de quatre mois, ils se sont mariés et ont eu mon fils. J’étais heureux, vous ne pouvez pas imaginer. J’avais libéré ces deux êtres. Il faut ouvrir les bras, laisser partir, c’est cela la vie. En 1981, j’avais été chez Michel Foucault, qui avait écrit un texte fantastique sur la Mort de Maria Malibran. Chez Foucault, il y avait deux téléphones. Le second était pour la seule personne qui avait ce numéro, un jeune garçon dont il était amoureux et qui n’appelait jamais. Mais il était heureux en attendant ce coup de fil qui ne venait jamais… C’est cela, la liberté.» PHILIPPE AZOURY


DOSSIER de PRESSE:



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Los Bastardos
Amat Escalante



Amat Escalante propose avec son deuxième long métrage une immersion dans le quotidien désespéré des Mexicains sans papiers en Californie. Implacable!

Deux jeunes hommes que l’on devine sans papiers attendent à un carrefour d’un faubourg de Los Angeles qu’un «Yankee radin» vienne les chercher pour leur donner du travail. Le résumé de leur vie se borne donc, dans le meilleur des cas, à grimper chaque matin à l’arrière d’un camion pour creuser des tranchées au noir ou ramasser des fraises sous un soleil de plomb, le tout pour dix dollars de l’heure. Et si l’on observe le nombre de candidats à cet esclavage moderne, c’est qu’ils ne peuvent vraiment pas faire autrement.

Le film est construit comme une inexorable pente qui mène droit à la catastrophe. Dès le générique, rythmé par une avalanche de hurlements de guitares électriques, on sait que ça va mal se terminer. Et, dans cette tragédie qui prend à la gorge, il est impossible de s’arracher au spectacle que l’on ne voudrait pas voir. Comme au ralenti, dans une économie de mots et d’émotion, l’accident approche. Il aura lieu aujourd’hui, quand les deux hommes se font insulter par une bande de beaufs dans un parc. Ou demain, quand ils auront enfin décidé de se servir du fusil à canon scié que Jesus conserve en permanence dans son sac. Pour faire peur à quelqu’un, pour se faire un peu de fric, pour avoir aussi l’impression d’être autre chose qu’un larbin à perpétuité.

Sauvagerie ordinaire. Quand ils pénètrent dans la maison triste et proprette d’une femme abandonnée par son mari et méprisée par son fils, le doute s’évanouit pour de bon. Il ne reste plus qu’à attendre l’inéluctable, dans un éclair aveuglant de violence. Amat Escalante filme cette sauvagerie ordinaire sans pudeur et avec la tristesse infinie de celui qui sait que tout est joué.

Droit dans les yeux, il nous envoie affronter les étincelles que produisent ces deux mondes hermétiques qui ne cessent de s’entrechoquer. Une société opulente qui soigne sa cécité d’un côté et, de l’autre, un peuple de misère qui n’a pas d’autre choix que de grappiller les miettes tombées dans la poussière. Ça ne fait pas du bien et, au moins pour cette fois, il n’est pas facile d’oublier les visages de ces fantômes.






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CHE 1ere & 2eme Parties
Steven Soderberg




Voilà un projet dont on ne donnait pas cher de la peau. Faire un film hollywoodien en espagnol sur le personnage mythique – et quasi christique – du révolutionnaire Ernesto « Che » Guevara, c’est ce qu’on qualifie, en général, d’idée casse-gueule. Pas de quoi effrayer Benicio Del Toro et Steven Soderbergh pourtant (ils ont travaillé sur le projet pendant plus de sept ans) puisqu’ils poussent le vice à l’extrême en offrant une chimère (en deux parties) de 4h30. Au vestiaire les deux cinglés ?

Non, assurément non.
Posant leurs cojones sur la table, les deux hommes nous scotchent à la fois par leur audace formelle et leur réserve morale en renouvelant, en plus, la figure du héros.
La première partie retranscrit par instantanés la (re)conquête de Cuba par l’armée révolutionnaire menée par Castro et Guevara et, partant, adapte une mise en scène nerveuse et parallèle à l’effervescence politique et historique de la période. Multipliant en plus les allers-retours chronologiques (de la première rencontre entre les deux hommes, au brûlant discours du Che devant les Nations Unies), Le Che : 1ère Partie nous plonge dans la guérilla qui a bouleversé un monde en pleine Guerre Froide.

La seconde partie fait un bond de dix ans dans le temps, et voit Guevara (après son échec de soulèvement africain) de retour sur le continent Sud Américain, préparant une révolution populaire en Bolivie… jusqu’à son mortel échec.

Du lourd tout ça. Et pourtant, Soderbergh s’en sort avec les honneurs, créant un personnage, non pas messianique comme on aurait pu le craindre, mais extrêmement abouti et humain. Ce n’est pas le Christ qu’on voit porté à l’écran, c’est un homme de convictions, un humaniste et excellent meneur d’hommes, à la fois charismatique et discret et dont l’intégrité face à ses idéaux mènera à la perte. Devant ce monstre historique, Del Toro nous offre une prestation - toute en intériorité et en réserve – des plus salutaires.



Reste la difficulté de traiter (en 4h30 !) la vie d’un révolutionnaire historique dont on ne sait finalement (et avec certitude) pas grand-chose si ce n’est qu’il a son visage sur des milliards de T-shirts. Soderbergh prend le risque de faire deux films difficilement appréciables séparément et ainsi de toucher un public restreint… et courageux. Le résultat est étonnamment respectueux et maîtrisé. S’il est indéniable que Le Che : 2ème Partie - déchirante fuite en avant pour une liberté qui se dérobe – est le segment le plus réussi formellement (notamment du point de vue de la photo et du climax dramatique), il prend surtout son ampleur en regard du cheminement effectué dans le premier épisode.


Quant à l’aspect politique que l’on peut difficilement occulter, le réalisateur fait le choix d’une certaine distanciation (les échos avec l’actualité se feront d’eux-mêmes) en restant au plus proche de son (ses) personnage(s) ; évitant à la fois de tomber dans la description chronologique pesante et l’adhésion aveuglée à une mythologie.
Si l’on devine les rouages de complots et le glissement idéologique inexorable, Che est surtout le portrait d’un homme qui sacrifia tout pour la liberté des peuples. Pour le meilleur et pour le pire.




On a tout entendu sur Soderbergh, un génie ou un charlatan selon les sources, un esthétisant, qualification toujours péjorative dans quelques bouches pincées. Pourtant, à présent qu'il n'est plus le jeune prodige récompensé maintes fois pour son très bon Sexe mensonges et vidéo, cet homme a derrière lui une belle oeuvre protéiforme. Du film d'auteur pur, l'exercice de style cinéphile (Kafka, l'Anglais) ou l'expérimentation sans compromis (Full Frontal, Solaris en hommage à Tarkovski, et comme producteur Keane), au film de divertissement le plus jubilatoire et décomplexé (Ocean's 11, 12, 13) en passant par le film de genre (Hors d'atteinte). On note également dans sa filmographie une veine également plus engagée (Erin Bockovich, Traffic et comme producteur Syriana et Good night and good Luck)

ENTRETIEN avec CHE GUEVARA
En avril 1964, l'équipe de l'émission Point, conduite par le journaliste Jean Dumur, rencontre Ernesto "Che" Guevara à l'Hôtel Intercontinental, à Genève. Il occupe alors le poste de ministre de l'industrie et se trouve à Genève pour une conférence internationale. C'est pourquoi le "Che" s'exprime en français. A notre connaissance, c'est la seule interview faite en français de Guevara. Avec décontraction, "Che" Guevara évoque les questions essentielles de la politique cubaine, notamment les conséquences du blocus américain, le rapprochement avec l'URSS et les perspectives d'une extension de la révolution en Amérique latine. Une année après cette interview, il quitte ses fonctions ministérielles pour organiser la guerre révolutionnaire en Amérique latine. Le 8 octobre 1967, il est arrêté par l'armée bolivienne et exécuté le lendemain





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Frankenstein
James Whale




Près de 80 ans nous séparent la sortie de Frankenstein, 80 ans pendant lesquels la créature impie et tragique façonnée par le scientifique fou a profondément marqué autant l’imagerie du fantastique que l’imaginaire collectif. Mais si le maquillage éternellement reconnaissable dû à Jack Pierce a traversé un siècle de cinéma sans prendre une ride, redécouvrir Frankenstein aujourd’hui permet de se rendre compte à quel point, par l’utilisation qu’il a fait de ses références - et de celle de son prédécesseur au fauteuil de réalisateur Robert Florey - le réalisateur James Whale a profondément codifié l’univers du fantastique à venir.

L’histoire est bien connue - ou du moins en a t-on l’impression. Le docteur Frankenstein, brillant médecin autrichien, a résolu l’énigme de la création de la vie, et ce faisant, a créé un monstre, à partir de morceau de cadavres. Son prénom est Viktor, il s’enorgueillit d’une germanique particule "von", il est baron, sa créature elle-même est nommée Frankenstein, il utilise l’électricité d’un orage pour insuffler la vie à sa créature... : beaucoup de ceux qui, avec cette ressortie, découvriront le film, seront surpris de toutes les "incohérences" qu’il présente avec le mythe tel qu’on le connaît. Car depuis bien longtemps, ce mythe est passé dans le domaine public, non seulement via les hordes de remakes et de films dérivés du personnage, mais aussi et surtout parce que le monstre est devenu, plus peut-être que tout autre monstre fantastique, une icône mainte fois récupérée. Dans le film de James Whale, Frankenstein n’est pas Baron (mais son père, si), ne se prénomme pas Viktor (c’est le nom de l’amoureux éconduit de sa future femme), le monstre est créé via la découverte de rayons inconnus et primordiaux - et non par l’électricité, et surtout, malgré la confusion largement répandue, Frankenstein n’a jamais été le nom de la créature - qui ne portera jamais d’autre nom que "créature" ou "monstre de Frankenstein".

Surprenante version que celle de James Whale, non seulement par ses infidélités par rapport au mythe qui s’est créé à posteriori, par la brièveté du récit (un peu plus d’une heure dix minutes), mais surtout parce qu’elle fait la part belle, non pas à la seule créature, mais aussi au docteur créateur, et à la dualité entre les deux. Campé par Colin Clive, un acteur alcoolique (il mourut d’ailleurs 6 ans après le film, d’une pneumonie causée par cet alcoolisme) et aux humeurs réputées pour leur instabilité, le docteur Frankenstein est un être tourmenté, mégalomane, mais qui fait montre à l’égard de sa création d’une attention toute en ambiguïté. Mel Brooks s’en souviendra pour son merveilleux Frankenstein Junior : le docteur aime sa créature : il ne veut aucunement la voir détruite. Son baron de père le réclame à corps et à cris : il faut un fils héritier à la maison des Frankenstein - mais le docteur a déjà rempli ses obligations paternelles. Le rapport entre le docteur et le monstre est évidemment un rapport père-fils, allant jusqu’à réaliser la nécessité de tuer le père.

Mais la créature (c’est ainsi que Karloff aimait à appeler le rôle qui le rendra immortel) est tout sauf malveillante, et pour la première fois, le cinéma fantastique prenait le parti du monstre avec Frankenstein. La créature est nouvelle née, naïve, engoncée dans un corps certes monstrueux - mais les yeux qui s’agitent derrière les lourdes paupières cadavériques, les mains gigantesques, et à la chair couturée n’esquissent jamais que des regards de curiosité, des gestes de découverte. Dans la version originale (celle qui nous est également proposée aujourd’hui, les attentions des censeurs ayant eu l’obligeance d’aller voir ailleurs), le docteur Frankenstein s’enorgueillit, à la "naissance" de la créature, de savoir ce que c’est que d’être Dieu.

Et si le docteur est Dieu, alors la créature est à la fois l’homme, ou le fils préféré - et déchu - du dieu chrétien, Lucifer. La première apparition de la créature la montre découvrant avec un mélange de peur et d’émerveillement la lumière du jour - lumière dont elle se voit vite privée par les humains présents. La thématique céleste entoure toujours la créature : ainsi, la mise en scène de Whale, dans les décors fortement inspirés de l’expressionnisme allemand du laboratoire du docteur, privilégie les plans massifs, montrant une architecture verticale, comme pour souligner, préparer le rapport de la créature au monde : elle ne cessera jamais de tendre la main vers une instance supérieure - son créateur, ses frères doués de parole...

Boris Karloff s’était opposé à tourner la scène, longtemps retirée du premier montage, où la créature jette une petite fille dans l’eau, où elle se noiera (il convient d’ailleurs, encore une fois, de souligner la subtilité avec laquelle Mel Brooks reprend ce motif dans Frankenstein Junior). Karloff voulait offrir à la créature le droit à faire preuve d’un semblant de pitié, mais Whale insista pour que, à court de fleurs à jeter dans l’étang, la naïve créature choisisse d’y jeter l’enfant. La censure, qui coupa cette scène, offrit aux premiers spectateurs du film un portrait plus sinistre, plus horriblement suggéré de la créature, dont on voit les mains se tendre vers l’enfant, puis celle-ci morte dans les bras de son père. Mais Whale voulait maintenir le caractère désespérément naïf, et inexpérimenté de son monstre. Le motif deviendra récurrent, voir, pour certains l’essence même du cinéma fantastique : de montrer que l’étrange, que l’autre, que le monstrueux, n’est pas le mal (motif repris dans un nombre incalculable de films, dont il fait tout le prix : Le Garçon aux cheveux verts, Cabal, Edward aux mains d’argent...)

Boris Karloff disait sa fierté d’avoir un rôle dont il était le prisonnier : quand personne ne peut l’interpréter sauf vous, alors c’est que vous l’avez parfaitement interprété. Karloff, Dwight Frye (merveilleux dans le rôle de Fritz ici comme dans celui de Renfield dans le Dracula de Browning), Colin Clive (ici sur l’insistance expresse de Whale) doivent tellement à Frankenstein ! Grâce au film, ils sont entrés sans doute possible dans le panthéon du septième art par la grande porte. Whale lui même reste plus dans l’histoire pour sa contribution au genre fantastique que pour sa pléthorique contribution au genre du film de guerre. Mais Frankenstein, c’est avant tout le cas rare, voir unique, de symbiose entre un réalisateur, un acteur, un maquillage et un personnage, à jamais inséparables aux yeux de la postérité, et à jamais indispensables.
Vincent Avenel

Boris Karloff, un monstre de légende



La puissance mythique de Frankenstein est indissociable de l’incarnation du monstre par Boris Karloff. En 1931, cet acteur à lastature de golem est encore inconnu, à tel point que son nom n’est même pas mentionné au générique de début. C’est Bela Lugosi, inoubliable Dracula, qui devait à l’origine endosser le costume du monstre. Reprenant le rôle à son compte, Karloff imprime sur son personnage une force brute, aidé par les nombreuses couches de maquillage et de costume préparées par le génial Jack Pierce. Avec sa silhouette de marbre, son front plat, ses membres raides et les vis enfoncées dans son cou (qui sont en réalité des électrodes servant à faire passer l’électricité dans le corps afin de l’animer), la figure du monstre devient l’emblème du film et Karloff s’installe à jamais dans la mémoire collective comme l’image type de Frankenstein.



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Tony Manero
Pablo Larrain




Le hasard, qui est parfois facétieux, veut que l'argument de Tony Manero, deuxième long métrage du réalisateur chilien Pablo Larrain, soit identique à celui de Disco, le film de Fabien Onteniente avec Franck Dubosc, sorti le 2 avril en France.

C'est l'histoire d'un minable tombé en pâmoison devant La Fièvre du samedi soir (1978), le film de John Badham, passant le restant de ses jours à vouloir ressembler à son idole, le personnage de Tony Manero interprété par John Travolta. La similitude entre les deux films s'arrête ici. Disco est un pastiche sans conséquence situé au Havre ; Tony Manero, qui a lieu en 1979 sous le régime du dictateur Pinochet, est une farce macabre d'une force époustouflante, doublée d'une charge contre l'hégémonie américaine.

Raul, la cinquantaine et à moitié analphabète, est la figure d'un bar miteux de la banlieue de Santiago, où il donne, le samedi avec ses danseurs, une pâle réplique des chorégraphies de La Fièvre du samedi soir. Il apprend qu'une émission de variétés consacrée par la télévision aux sosies de célébrités va faire concourir tous les Travolta du pays.

Le film raconte la préparation de Raul au concours. Laquelle se révèle particulière. Car Tony Manero est pour Raul davantage qu'un personnage à imiter. Il est son dieu et sa loi, au point que rien ni personne ne saurait l'empêcher de réaliser son rêve.

Faisant régner par son mutisme la terreur dans sa troupe, subjuguant les femmes qui la composent par ses coups de sang, Raul se révèle un psychopathe issu de la frange sociale la plus défavorisée, aveugle au contexte politique qui l'entoure, sourd à la souffrance imposée par la dictature, amoral au point d'aller jusqu'au crime pour réaliser son projet.

Les cadavres vont joncher son chemin. Y compris celui du projectionniste du cinéma où Raul se recueille régulièrement devant La Fièvre du samedi soir, le jour où le film est déprogrammé pour Grease, autre comédie musicale tournée par Travolta.



PORTRAIT CRACHÉ D'AL PACINO

Cette touche d'humour noir court tout au long d'un film passablement effrayant, mais qui masque son excès symbolique par un style réaliste documentaire. Caméra portée, image sale, faux raccords, flous et décadrages nourrissent une esthétique qui s'inspire davantage du cinéma de la nouvelle vague américaine des années 1970 qu'à la comédie musicale qui fait rêver son héros.

Raul lui-même, joué par le formidable Alfredo Castro, loin d'être le sosie de John Travolta, est le portrait craché d'Al Pacino. On est donc à mille lieues de la magie et du strass disco, mais très près de ces portraits de perdants hallucinés incarnés par Pacino dans des films tels que Panique à Needle Park (1971) de Jerry Schatzberg, Serpico (1974) de Sidney Lumet ou Scarface (1983) de Brian De Palma.

Cette obsession de la ressemblance autour de laquelle est construit le film est aussi une affaire politique, à travers laquelle se règlent des comptes à la fois historiques et contemporains entre l'Amérique latine et les Etats-Unis. Le film montre ce que cela signifie d'être pris dans le regard et la puissance de l'Empire, d'intérioriser sa domination au point de délirer son identité, de participer enfin jusqu'à la folie à sa propre négation.

Raul, serial killer fou de disco, peut ainsi être vu comme une réplique au petit pied d'un Pinochet installé et maintenu au pouvoir par la grâce de l'Oncle Sam. Si le terme n'était aussi péjorativement connoté, on dirait que Tony Manero est un grand film anti-impérialiste.
Jacques Mandelbaum

John Travolta alias Tony Manero
dans Saturday Night Fever






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Slumdog Millionaire
Danny Boyle




On n’avait jamais cru pouvoir penser et dire un jour du bien d’un film de Danny Boyle, tant l’Anglais, depuis la plongée dans les tinettes droguées de Trainspotting, s’est imposé comme un maître tapageur et vulgaire. Il est vrai aussi qu’il a repris le flambeau d’un Alan Parker sur le terrain du film clippé et il aurait pu signer à l’aise un remake de Midnight Express dans l’enfer des prisons thaïes (à la place de la Turquie). Il a préféré tourner la Plage à Koh Phi-Phi.

Toujours est-il qu’avec Slumdog Millionaire, il signe, de loin, son meilleur opus. En tournant à Bombay, l’épicentre de la modernité indienne, mais aussi gigantesque chaudron de la misère du sous-continent où s’entasse une population excédée de plus de 13 millions d’habitants, Boyle semble avoir enfin trouvé l’espace saturé qui lui convient. On n’ose imaginer les problèmes d’intendance permanents auxquels l’équipe technique a dû faire face en se plantant ainsi dans les différents quartiers de Bombay, remplis de monde jour et nuit.

Choc. Evidemment, le film crée aussi un choc, parce qu’à notre connaissance, aucun cinéaste indien, aujourd’hui, n’aurait pu écrire, financer et mettre en scène un tel film tant l’Inde reste attachée à la tradition rutilante de Bollywood, qui est aussi un terrible carcan.

Slumdog a raflé la mise au Golden Globes (meilleurs film, réalisateur, scénario, musique originale), se plaçant ainsi en tête des favoris pour les oscars. Après tout, le film ne peut que gagner puisqu’il raconte, avec une infatigable énergie, que si le pire est toujours à craindre, le jackpot est au bout du calvaire. Adapté d’un roman, Q and A, de Vikas Swarup (traduit chez Belfond), le film raconte les aventures à la Dickens de Jamal (l’excellent acteur britannique Dev Patel), un jeune homme serveur de thé dans un centre d’assistance téléphonique.

Malmenée. Candidat à Qui veut gagner des millions ? animé par le Jean-Pierre Foucault local (interprété par la superstar indienne Anil Kapoor), il est sur le point de gagner quelque 20 millions de roupies quand la police l’embarque pour le soumettre à des questions autrement plus musclées. Comment un petit merdeux dans son genre peut-il avoir le niveau de connaissances suffisant et répondre aux colles de l’émission ? Il triche, c’est évident. Le prétexte de l’interrogatoire fournit à Jamal le cadre pour raconter les différents épisodes de son existence malmenée : comment, avec son frère, Salim, ils ont vu leur mère se faire assassiner par des fanatiques hindous venus casser du musulman ; comment ils ont survécu en dormant dans des décharges publiques avant d’être recueillis par un faux bon samaritain qui arrache les yeux des enfants pour qu’ils mendient dans la rue…

Chaque tableau en flash-back ouvre sur un aspect peu reluisant de la société, en particulier le rôle de la pègre, qui a prospéré dans l’immobilier à la faveur du boom. Mis en image par un chef op déchaîné (Anthony Dod Mantle), le film en fait trop, mais il est difficile de résister à la fureur flashante de son récit-kaleidoscope. DIDIER PÉRON



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PICNIC
Adrian Sitaru




C'est dimanche. Un couple petit-bourgeois, plutôt morose, Mihai et Lubi, part en pique-nique. La journée, comme semblent le prédire les premières minutes du film, vaguement déprimantes, promet autant d'être une mise au point intime entre les deux individus, qu'une simple promenade en plein air doublée d'une partie de pêche à la ligne.

Un enchaînement d'événements va faire dévier le programme prévu. La voiture de Mihai et Lubi heurte une jeune prostituée qui marchait sur le bord de la route. Croyant l'avoir tué, l'homme et la femme tentent de se débarrasser du corps, avant de découvrir que la jeune femme n'était pas morte. A son réveil, ils l'invitent à se joindre à eux pour leur excursion dominicale. Comme on voit, les prémices du récit de Picnic placent très vite la psychologie des protagonistes sous le régime de la culpabilité.

C'est parce qu'ils se sont surpris eux-mêmes à vouloir commettre un geste pendable (se débarrasser du corps et s'enfuir) que ceux-ci s'adjoignent la compagnie de la jeune femme. Mais la culpabilité est un état d'esprit plus général qui va contaminer inexorablement le comportement des personnages.

La naufragée de la route va progressivement, entre vraie coquetterie manipulatrice et fausse candeur inoffensive, mettre à nu la vérité du couple. Entreprend-elle une tentative de séduction, de l'homme d'abord, puis de la femme ? Elle va dévoiler, en tout cas, les désirs profonds de ceux-ci.

L'ORDINAIRE D'UN COUPLE

C'est par un parti pris de mise en scène que Picnic - excellente surprise issue de la toute récente production roumaine - va livrer la signification de ses ambitions. Chaque plan correspond, par un effet de caméra subjective, au regard d'un des éléments du trio formé par les protagonistes.

Il y a ainsi une alternance continue des points de vue durant toute la projection. Or, c'est bien par le regard de l'autre que chacun va se retrouver précisément décrit. Mensonge, dépression, lassitude, baisse de l'attirance sexuelle, l'ordinaire d'un couple en somme, sont ici dévoilés par un jeu faussement anodin de la vérité. Ce choix du cinéaste désigne très bien un mécanisme de désir mimétique, où chacun va comprendre sa propre pulsion en la retrouvant dans ce que semble exprimer celle qui, très vite, devient une intruse.

Dite comme cela, la mise en marche de ce qui ressemble à un mécanisme implacable et déprimant, la découverte d'une part sinon sombre, du moins médiocre de soi, ne devrait donner lieu qu'à un film sinistre. Or, Picnic est aussi une comédie particulièrement drôle construite sur la capacité du personnage de la jeune prostituée à mettre les pieds dans le plat. La cruauté ici n'exclut pas le rire, mais en découlerait plutôt.
Jean-François Rauge







DOSSIER de PRESSE:



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Elève Libre
Joachim Lafosse




Générique au noir. Seul un bruit de coups résonne, accompagné d’un râle en rythme. Sont-ce les clous d’une crucifixion ? Le fouet claquant sur le fessier d’un masochiste ? Peu à peu, l’ingénieur du son laisse filtrer l’ambiance, un second bruit advient en écho, on reconnaît une balle, un court de tennis. L’image apparaît. Un garçon blond, entre 16 et 18 ans, guidé par la voix d’un coach hors-champ. Plus tard, il est accompagné de trois adultes - deux hommes et une femme -, la trentaine, dans un restaurant. La conversation roule sur la sexualité de l’adolescent, nommé Jonas. S’il a déjà couché ou pas, pourquoi il n’ose pas. Ne pas «confondre sexe et amour», professe l’un des adultes. Jonas rit. Ces scènes de dîner reviennent avec insistance et la caméra s’y enroule, avoue Joachim Lafosse, comme le constrictor du Livre de la jungleautour de ses victimes hypnotisées. C’est à l’image de son cinéma (quatre films à 34 ans), tirant sa force d’une précision formelle et d’une disponibilité de regard redoutables.

Castration. Jonas n’a aucun problème, il n’a que du désir. Il aime Delphine et peu leur importe que leur premier rapport sexuel ait à peine duré plus de cinq minutes. Mais les adultes, eux, ont des choses à enseigner à Jonas. Si bien que ces scènes récurrentes de repas nous montrent en direct (façon Dispute de Marivaux) l’invention de la sexualité et de la faute qui va avec.

Jonas, ont décidé ces adultes bienveillants, n’est pas assez performant sexuellement pour assurer son propre bonheur. Ils savent à sa place. Parallèlement, l’adolescent a raté ses exams et doit repasser les épreuves en candidat «libre» (d’où le titre). Pierre, l’un des trois adultes, va lui faire bosser ses maths et son français, liaisons dangereuses comprises. Vu de l’extérieur - et Lafosse nous prévient que l’interprétation de son film est libre, comme un miroir tendu au spectateur -, on ne peut qu’y lire une fable politique sur la difficulté de transmettre et de renaître à la fois.

Didier, Pierre et Nathalie incarnent ce moment de désarroi politique où l’on n’arrive plus à jouir, parce qu’on se sent étouffé par un monde qui a mal tourné et dont on est cependant responsable. Des choses sont encore à faire, mais c’est trop tard pour nous. Il ne reste donc qu’à reporter ses espoirs sur la jeune génération et, en l’aidant, tenter à travers elle de retrouver un peu de jouissance et de possible. Sauf que cette passation s’avère toujours être une castration : comme s’il n’y avait pas de transmission sans répression. On découvre que la jouissance des uns ne s’échange pas avec celle des autres et la seule forme d’aide possible au renouveau est le retrait, l’abstention et l’abstinence. Pierre, au contraire, abusera de son autorité.

«Lien pervers».La question qui taraude Elève libre est celle des limites. «C’est sur l’espace intime et la façon dont on peut le préserver aujourd’hui, dans une société où la liberté est assimilée à la transparence, au tout dire, etc. Les adultes du film ont l’idée que la jouissance va les mener vers le bonheur. Ils théorisent pour cacher leur incapacité à être dans le lien et dans l’affection. Ce qu’ils ne transmettent pas à Jonas, c’est l’aptitude à vivre avec le manque, la frustration, et à s’inscrire dans le lien.»

Pourtant, Jonas est libre et le «lien pervers», pour reprendre le terme de Lafosse, qui se tisse avec Pierre se joue à deux. Aussi bien, dans son travail de transmission au spectateur, le réalisateur a voulu et su éviter l’écueil dénoncé plus haut de la castration. A chaque plan, dans chaque cadre, Lafosse offre son regard, comme un dialogue, une question. Nous laisse juge à chaque nouvelle proposition qui fait avancer son récit : «Film moral, dit-il, mais pas moraliste», où l’on a tout le temps de se sonder, de se dégoûter, de se pardonner ou de s’éprouver, voire d’un tout petit peu progresser. Un miroir laissé à notre entière discrétion.
ÉRIC LORET





DOSSIER de PRESSE:




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MORSE
Thomas Alfredson




Grand Prix au Festival de Gérardmer 2009

A l’origine du film de Tomas Alfredson, il y a un roman devenu phénomène de librairie en Suède voici quatre ans. Let Me in (titre anglais), de John Ajvide Lindqvist, est un récit moderne de vampires qui, du moins dans sa version cinématographique, s’est débarrassé du bazar gothique habituel. Le héros est un ado solitaire maltraité par de robustes crétins de son école. Dans cette banlieue aussi gaie que l’intérieur d’un congélateur, le blondinet passe le temps en s’imaginant saigner ses bourreaux. Tandis que le film s’oriente à un rythme typiquement scandinave dans le registre du drame social, l’emménagement d’une jeune fille dans l’appartement voisin de celui du jeune homme modifie radicalement la donne. La petite a une drôle de tronche, ne se lave pas tous les jours et se nourrit de sang humain à la nuit tombée.

«Colère».«Dans ce roman, j’ai été touché par cet enfant maltraité à l’école, comme j’ai pu l’être moi-même, dit Tomas Alfredson. A l’écriture du scénario, avec l’auteur, nous avons retiré certains éléments qui auraient été trop lourds pour le film : l’enfant vampire, dans le roman, est un garçon castré et le personnage qui l’accompagne un pédophile. Ces thèmes auraient écrasé le reste de l’histoire. Depuis longtemps, l’utilisation de la pédophilie dans une fiction se résume à un effet spécial émotionnel. Or, c’est trop grave et trop compliqué pour être traité avec cette légèreté.»

Entre ces deux «freaks» se noue une relation fusionnelle, asexuée, au point de maintenir longtemps l’ambiguïté de l’existence même du vampire. «Dans le phénomène de la maltraitance, il y a à la fois une profonde tristesse liée à l’exclusion, mais surtout une terrible colère. C’est pour cela que j’aime l’idée de cette créature, juste de l’autre côté du mur, qui constitue le corps de la colère de cet enfant.»

Animalité.Bien qu’il s’assume totalement comme un film de vampires, Morse n’a pas grand-chose à voir avec l’étonnante recrudescence de buveurs de sang sur les écrans de cinéma ou de télévision.«Ce doit être ce que les philosophes appellent la synchronicité. Certains pensent que le vampire est lié aux périodes de crises, financières ou intellectuelles. C’est intéressant, mais je crois surtout que le mythe correspond à notre penchant animal, un besoin que nous ne cessons de nier dans nos cultures occidentales. Il doit pourtant s’exprimer, à travers le sexe, la violence, le sang. Et le vampire remplit probablement cette fonction.» Surtout si cette animalité s’exprime, comme ici, dans la tragédie silencieuse d’un enfant en perdition.
BRUNO ICHER



Vampires éternels
Jeune toujours et transgressif par nature. Le vampire est le corps utopique d’aujourd’hui, du méga-succès Twilight jusqu’à Morse – en salle cette semaine, et Grand prix du dernier festival de Gérardmer. Tandis que ressort Les Prédateurs de Tony Scott.

Comment vont les vampires à l’écran en cette première décennie des années 2000 qui touche à sa fin ? Plutôt bien. Ils ont survécu au n’importe quoi (Van Helsing, Day Watch), viré superhéros cool (Blade II) ou avancé cachés (Les Lois de l’attraction, beau film de vampires – émotionnels – qui n’avoue pas son nom).

A présent, puisque le siècle est jeune, ils rajeunissent et reviennent purs, aux fondamentaux. (Peur du) désir, intimité et amours contrariées. La phrase-clé du Dracula de Bram Stoker n’est-elle pas cette pique lancéeau comte par une concubine : “Vous-même n’avez jamais aimé ; vous n’aimez jamais !” Le couple mixte de Twilight fait des ravages (en livre, au cinéma) et trouve sa contrepartie télé, moite, redneck (de Louisiane), en la série True Blood, créée par Alan Ball, qui passe avec aisance des croque-morts (Six Feet Under) aux non-morts. L’héroïne y rêve de perdre sa virginité entre les crocs d’un vampire, mais Ball est plus intéressé par les aspects sociaux du phénomène – dans son univers, les vampires font leur coming-out et tentent de s’insérer parmi nous.
Un autre couple étrange nous vient aussi de Suède avec Morse – bête à prix dans les festivals de films fantastiques. Dans un décor de banlieue enneigé, en 1982, le vampire est Eli, une fille de 12 ans qui subjugue Oskar, freluquet du même âge, rêveur et maltraité par ses camarades écoliers. Sans trop en dire, une perversité revigorante y est à l’oeuvre. Elle joue sur les clichés tout en préservant une sensibilité extrême, précieuse. Le film de Tomas Alfredson est d’une grande justesse sur l’âge ingrat, sur les tâtonnements qui fondent le désir et la personne : la scène où Oskar demande du bout des lèvres à Eli de sortir avec lui – et se voit répondre “Qu’est-ce qu’on fait quand on sort ensemble ?” – capte aussi bien les appréhensions teen (sur la “normalité”) que l’étrangeté du vampire, hors des lois humaines.

Et Morse n’occulte pas la violence de l’adolescence : galvanisé par Eli, Oskar fait le sadique de cour de récré, prenant parfois l’ascendant sur elle. Le visage extatique d’Oskar qui fait saigner un camarade a aussi tout d’une défloraison. Alfredson joue habilement sur l’eau qui dort, sur les ellipses visuelles (lors d’un massacre) et scénaristiques (les origines d’Eli). Le cinéaste nous avait confié avoir tourné un flashback sur Eli, sagement laissé de côté mais paradoxalement vertigineux quant à son sens.

La jouvence de Morse rappelle la pérennité (fictionnelle) du vampire, ressuscité à chaque époque. A la fin des années 90, le genre ruminait ses démons et la fin de siècle. Coppola décoche son Dracula (1992), surfilm voulant résumer et enterrer le genre. Via The Addiction, Abel Ferrara fait superbement dialoguer suceurs de sang et crimes contre l’humanité. Et l’élégamment morne Morse trouve un beau miroir dans Les Prédateurs (qui ressort en salle), premier et meilleur film de Tony Scott, parfait Polaroid eighties qui n’a pas fané.


Face à Susan Sarandon (en punkette préraphaélite), David Bowie et Catherine Deneuve sont les chasseurs au sommet de leur glamour. La forme clip chic fait merveilleusement sens : tout y est surface et narcissisme – les vampires tuent avec un bijou –, maladies eighties qui sont l’écrin (à double tranchant) idéal pour le Bowie perdu période Let’s Dance et une Deneuve actrice distanciée par excellence. Lorsque cette dernière susurre à Sarandon “Tu m’appartiens”, pointent des accents d’éternité et d’époque, sur l’égoïsme d’alors, de Wall Street à Tapie. Le film s’achève d’ailleurs sur un personnage littéralement au sommet, aux dépens d’un autre.
Giorgio Agamben écrit que “contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps” (Qu’est ce que le contemporain ?). Définition rêvée du vampire, qui embrasse son temps tout en le transcendant. Qui est corps et âme le reflet d’interdits, mais surtout possibilités (devenir autre). Vampires, we can.
Léo Soesanto




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Les Plages d'Agnès
Agnès Varda




Agnès Varda . Autoportrait d’une femme libre et curieuse

À quatre-vingts printemps, la grande réalisatrice Agnès Varda se regarde dans le miroir. Un documentaire qui n’a rien d’un docu menteur.

Malgré (ou à cause de) ses quatre fois vingt ans, Agnès Varda est d’une énergie débordante et sa maison de production et de distribution une ruche bruissante. Il y a la sortie du film, l’édition des oeuvres de Jacques (Demy) en DVD, un lâcher de patates à Moscou, on en passe et des meilleures. Quand ce n’est pas le téléphone qui sonne, c’est une collaboratrice qui quémande des instructions, voire un voisin d’une association de quartier qui passe faire la retape, sans que cela nuise pour autant à la préparation du café et du thé. Tout ceci avec une grippe carabinée qui clouerait au lit n’importe quel jeunot. On pourrait continuer à brosser le tableau mais le film s’en charge très bien tout seul. Comme nous l’écrivions au lendemain de la première mondiale à Venise, « plus que de mémoires ou d’une autobiographie, il s’agit de feuillets arrachés au livre de la vie, d’un "keepsake" que l’on parcourt sans que jamais la mélancolie l’emporte tant la soif de poursuivre est présente ». Rencontre hachée avec la citoyenne la plus connue de la rue Daguerre, à Paris.

D’où est venu le projet ? De « l’idée des humeurs et des conditions, on ne me connaissait pas tout à fait ». L’autoportrait ? Il est revendiqué comme un acte d’artiste, Rembrandt étant le premier exemple qui vient à sa bouche, Agnès commentant alors ses visites au musée de Vienne. Et la cinéaste d’opposer la peinture - remontant à Philippe de Champaigne pour expliquer à quel point l’autoportrait y est pratique courante - et le cinéma, où elle ne trouve que Godard, avec JLG par JLG, tout en reconnaissant par ailleurs que, malgré son titre, il ne s’agit pas dans ce cas d’un exercice d’introspection. Elle en revendique la pratique, d’où ces plans de miroirs au début, à comprendre comme l’outil de l’autoportrait, dans la séquence belge où ils reflètent la mer et les gens autour d’elle : « C’est une Agnès un peu planquée, où les autres ont de l’importance. Les autres, ceux qui m’ont formée plus que la famille, dont je ne fais pas grand cas. Je dis que j’étais la petite des grandes et la grande des petites, mais je ne donne pas beaucoup d’explications sur mon père et ma mère, même si elle réapparaît à la fin vieille et oublieuse. » Lui fait-on remarquer que ce qui est vrai en amont ne l’est pas en aval, ses descendants étant fort présents, elle le reconnaît volontiers : « Ils sont très importants mais je les traite de façon un peu originale. » Et Agnès Varda de remonter à l’exposition à la fondation Cartier et à leur présence dans la cabine aux portraits : « Ils y entrent comme s’ils étaient tout le monde, mais bien sûr ils ne sont pas tout le monde. » Dans le film, alors qu’habillés de blanc ils composent un groupe un peu en mouvement, ils répondent pour la réalisatrice aux voltigeurs dans les arbres qui, eux, incarnent la liberté.

Interrogée sur son travail ici par rapport à celui en oeuvre dans ses fictions, Agnès Varda trouve plus difficile ce qu’elle a fait là : « J’avais un matériel gigantesque, mon petit magasin de films où je pouvais me servir, ce que j’ai tourné en reconstitution, sorte de flirt avec la fiction. Je pouvais puiser dans le fond hors contexte. » D’où le plaisir qu’elle a eu à parler de son travail, et cela depuis Cléo de cinq à sept, qui opposait temps objectif et temps subjectif. Au total, huit mois de travail n’ont pas été de trop, étalés entre avant l’été 2006 pour l’exposition des photos à Avignon, 2007 pour Sète, Noirmoutier, la Belgique, Los Angeles et début 2008 pour Paris, par périodes de huit à dix jours, « cela tout en montant, ce que j’ai toujours fait. Cela fait ressortir ce qui manque. Les Glaneurs et la glaneuse, je l’avais filmé et monté en un an. Je ne suis pas pressée. Il faut que le film trouve son rythme, un peu de jeunesse, de passion, de calme, avec une fin réflexive, mais il y a de la rigolade. Il faut aller doucement au montage, pour parler un peu de chaque film, me laisser aller à ce qui arrive… » Vue la quantité d’archives disponibles, elle a travaillé avec deux monteurs, passant d’une table à l’autre : « Je ne me prends pas au sérieux mais je prends le film au sérieux. Je fais l’andouille, et pourquoi pas ? Faire le clown m’a fait du bien. Il y a tellement d’autodérision dans l’idée de faire un portrait, que j’assume. Le tournage a été amusant, plein de surprises. »

Ainsi du vent dans la séquence belge, qui lui a permis de faire des facéties avec son mouchoir. Ou le coup de chance qu’a représenté le passage d’une armée de types avec leurs planches à surf : « Ça c’est aussi l’école documentaire. Tu apprends non à t’adapter mais à en profiter. » Néanmoins, elle revendique à part égale les séquences non réalistes comme la fausse baleine échouée sur le sable ou la rue Daguerre transformée en plage devant chez elle : « Tout ça participe d’un désir d’offrir du spectacle, de faire plaisir aux gens, que je devienne une possibilité de distraction. »

À une question sur le bilan de l’expérience, Agnès Varda répond : « L’entreprise m’a pris deux ans de bonheur mais avec des difficultés. Je n’arrive pas à financer mes films. Je suis très aimée, un peu admirée, mais on me dit : "Tu es dans la marge, restes-y…" Pourtant, les gens sont émus. Il y a beaucoup de choses sur Demy, qui était très aimé. On a fait un couple extraordinaire, avec des failles, des trucs, mais qui a duré trente-deux ans avec ce projet de vieillir ensemble. »


Le style ? « Je n’avais pas de système, j’essayais d’être moi-même, y compris à l’occasion un peu mal coiffée. Je voulais donner un côté vrai, faire au mieux avec des variations, ne porter que mes habits. Il y a des collages qui sont rigolos, des jeux de mots, ça m’est naturel… Je jongle avec les périodes, ramenant le temps passé dans le présent. C’est un documentaire très particulier. »

Entretien réalisé par Jean Roy




Les Fiances du Pont Mac Donald (1961)
Court métrage d'Agnes Varda
avec Jean-luc Godard, Anna Karina









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Les Seigneurs de la guerre
Ho-Sun Chan




Après le succès en 2005 de leur film musical et romantique Perhaps Love, le producteur André Morgan et le réalisateur/producteur Peter Chan se sont de nouveau associés pour Les Seigneurs De La Guerre, une épopée qui a coûté 40 millions de dollars.Le film est inspiré de faits réels. Le 26 juillet 1870, Ma, le gouverneur de Nanking, fut exécuté. Son assassin, Jiang Wenxiang, ne chercha pas à s'enfuir et fut appréhendé aussitôt.

L'impératrice douairière Cixi demanda une enquête. Peter Chan était intéressé par ces événements historiques, et surtout par la façon dont la guerre et la fraternité étaient entremêlées. Les acteurs les plus populaires d'Asie figurent en tête d'affiche : Andy Lau, Jet Li, Takeshi Kaneshiro ainsi que l'actrice Xu Jinglei (que l'on a remarquée dans Confession Of Painet qui est également réalisatrice). L'équipe derrière la caméra est composée, à la création des costumes de Yee Chung-Man (La Cité Interdite) - qui fut nominé aux Oscar -, du chorégraphe d'arts martiaux Ching Siu-Tung, mondialement reconnu (Hero, La Cité Interdite) et du chef opérateur Arthur Wong, déjà couronné de nombreuses récompenses pour son travail.

Le film a remporté 10 prix aux Hong Kong Awards : Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleur Acteur (Jet Li) mais aussi Meilleure Photographie, Meilleur Montage, Meilleure Direction Artistique, Meilleur Son, Meilleurs Costumes et Maquillage, Meilleure Chorégraphie, Meilleurs Effets Visuels. Il est également nominé dans 12 catégories au Golden Horse Film Festival de Taïwan dont Meilleur Film,Meilleur Réalisateur et Meilleur Acteur (Jet Li).










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35 Rhums
Claire Denis



Inspirée par la relation très forte de son grand-père avec sa mère (voir notre interview), Claire Denis tisse « 35 Rhums », le récit fonctionnalisé d’un couple père-fille inséparable. A cette occasion, la réalisatrice retrouve pour la huitième fois devant sa caméra l’acteur Alex Descas (Lionel, le père) dont elle dit aimer avant tout « l’intensité intérieure qui laisse passer la profondeur des sentiments ».

Face à lui, pour la première fois à l’écran une révélation, Mati Diop dans le rôle de sa fille Joséphine. Nimbé de la partition originale du groupe Tindersticks, «35 Rhums» circonscrit cet amour inné sans limite au travers des regards, des gestes, où l’image se substitue le plus souvent aux mots.

Surtout Claire Denis diffuse la conscience d’une peur enfantine universelle arrimée au ventre de tous ses personnages à l’encontre de « choses définitives » qui fatalement se produisent dans la vie. Au-même titre qu’elle met en scène l’angoisse de la séparation naturelle et inévitable redoutée par Lionel et Joséphine, la cinéaste décline les sensibilités d’autres personnages, le cas d’un nouveau retraité en peine du fait de sa nouvelle vie, les tourments de Noé (Grégoire Colin) célibataire dans un appartement hérité qu’il ne se résout pas à vendre, la mélancolie de Gabrielle (Nicole Dogue) amoureuse de Lionel qui ne s’intéresse pas à elle.

Chaque personnage chemine ainsi dans l’effort répété d’admettre une réalité qu’il fixe mal, préférant l’esquive à la décision, rassuré par la langueur collective mais qui sait que, tôt ou tard, peu ou prou, il est attendu au tournant. Cinéaste des sensations, Claire Denis inscrit ainsi « 35 Rhums » au plus près d’elle-même et de ses obsessions inquiètes profondément émouvantes, comme si seul le cinéma semblait lui permettre de s’évader enfin, la fleur au fusil.
Olivier Bombarda





Attaché par tradition à l’excellence du mot, le cinéma français ne semble nullement avoir de prise sur Claire Denis qui, film après film, explore l’indicible et peaufine son statut d’éternelle marginale. Cinéaste nomade voyageant de l’Afrique aux Etats-Unis, Claire Denis se tourne naturellement vers l’immigré, figure récurrente de sa filmographie, qui la conduit à creuser les mêmes obsessions: l’inconnu, l’étranger et le déracinement. Des collaborations éclectiques auprès d’esthètes de l’image (Jim Jarmusch et Wim Wenders), nourrissent un imaginaire sans frontière, secoué d’éclats d’une beauté saisissante.



Pour Claire Denis, le cinéma sera d’abord une affaire de geste. Le texte importe peu, l’intrigue poreuse constitue un fragile fil conducteur. Les dialogues, réduits à des bruissements imperceptibles, en disent moins que les pulsations et les déhanchements d’un corps. D’une sensualité électrique, habitées par des visions sublimes, les oeuvres de Claire Denis puisent leur inventivité dans la matière, du grain de l’image à la texture du son, en parcourant les sillons de la peau. Etrangers à leur environnement ou étrangers à eux-mêmes, les personnages de Claire Denis se fondent dans des univers décalés, presque déréalisés. La cinéaste fait elle-même l’expérience de cette rupture. Née à Paris, elle passe toute son enfance en Afrique et ne revient en France qu’à l’âge de quatorze ans. De retour au pays, elle s’y sent à l’étroit et ne s’intéresse au cinéma qu’en dilettante. Des études d’économie expédiées, un passage par les langues orientales, puis elle entre à l’IDHEC (ancêtre de la FEMIS) et co-réalise quelques courts inspirés des nouvelles de Philip K. Dick et de Julio Cortazar. Aucune vocation jusque-là; Claire Denis mène toutefois ses études à leur terme. Sortie de l’IDHEC, elle devient l’assistante de Robert Enrico (Le Secret, Le Vieux Fusil), Costa-Gavras (Hanna K.), Jim Jarmusch (Down by Law) ou encore Wim Wenders (Paris, Texas, Les Ailes du désir). Le tournage de Paris, Texas lui inspire alors son premier long, Chocolat. Poussée malgré elle à la réalisation, elle s’attèle à l’écriture du scénario et voit enfin poindre un vrai désir de cinéma.

Entre Claire Denis et ses créatures itinérantes, toujours entre deux pays et deux aéroports, le parallèle est constant: l’histoire de Chocolat, une héroïne prénommée France retournant au Cameroun après vingt ans d’absence, s’inspire de ses propres souvenirs. Dans son imaginaire, deux acteurs donnent corps à cet ailleurs entêtant: Isaach de Bankolé, le domestique de Chocolat et l’immigré de S’en fout la mort s’initiant aux combats de coqs, partageant lui-même sa carrière entre l’Europe et les Etats-Unis. Et Vincent Gallo, l’artiste polyvalent, icône un rien subversif de l’Amérique underground, obnubilé par le nom de sa mère, Betty Brown. Regard magnétique, visage émacié, il apparaît pour la première fois chez Claire Denis dans un moyen métrage intitulé Keep it for Yourself, sous le nom de Vito Brown. Ou la mésaventure sentimentale d’une Française à New York et sa rencontre impromptue avec un Portoricain. Il ressurgit trois ans plus tard dans le rôle du Captain Brown offrant sa bouteille de Coca (US Go Home), puis de Vincenzo Brown, boulanger à Marseille, (Nénette et Boni) avant de compléter le tableau de famille en revenant à Paris dans Trouble Every Day dans la peau du Dr. Shane Brown. Fidèle à ses acteurs, Claire Denis s’entoure d’une communauté solidaire: le couple Béatrice Dalle-Alex Descas de J’ai pas sommeil et Trouble Every Day ou les frère et sœur Grégoire Colin-Alice Houri de US Go Home et Nénette et Boni. Son amitié avec Jim Jarmusch lui fait rencontrer Béatrice Dalle sur le plateau de Night on Earth, mais aussi Tricia Vessey qu’elle repère dans Ghost Dog. Isaach de Bankolé participe d’ailleurs aux deux films.

A l’écoute des tensions culturelles et sociales, l’œuvre de Claire Denis revendique son métissage: Katerina Golubeva, comédienne lithuanienne tentant sa chance à Paris dans J’ai pas sommeil, Alex Descas et Isaach de Bankolé, les compagnons d’infortune originaires du Bénin et des Antilles dans S’en fout la mort. Man No Run, son documentaire sur la première tournée française d’un groupe de rock camerounais, accompagnait déjà le regard des visiteurs. Nouant et dénouant les liens du sang, les amitiés et les amours, elle isole ses personnages pour mieux embrasser leurs contradictions et leur intimité, refusant néanmoins tout attrait du voyeurisme.

J’ai pas sommeil et Trouble Every Day s’aventurent ainsi du côté des monstres humains; le premier observe le quotidien d’un serial killer, le second suit la trajectoire de deux cannibales. Articulées autour de leur gestuelle et de leurs déplacements, les histoires se concentrent en premier lieu sur les acteurs. A l’affût des tressaillements, la caméra s’attarde sur les visages et épouse amoureusement la cadence des interprètes, électrons libre guidant la mise en scène.
L’intrusion des danses rituelles dans Beau Travail n’est que l’aboutissement de cette structure charnelle et musicale. L’écriture de Nénette et Boni a été inspirée par la chanson My Sister des Tindersticks ou l’effrayante biographie d’une sœur fantasque et frappée par le sort. La magnifique partition de Trouble Every Day revient également au groupe anglais, ainsi que celle de Vendredi soir composée par le guitariste-violoniste Dickon Hinchliffe.


La musique remplace peu à peu les mots, influant sur le rythme et la durée d’une séquence. On se souvient de God Only Know de Brian Wilson accompagnant le jeu de séduction entre Valéria Bruni-Tedeschi et Vincent Gallo dans Nénette et Boni, et de Safeway Cart de Neil Young apaisant la marche des légionnaires dans Beau Travail. L’opéra Billy Bud de Benjamin Britten donne une ampleur insoupçonnée aux chorégraphies de Bernardo Montet. Réconciliant les arts –la peinture, la musique et la littérature (Herman Melville pour Beau Travail, Emmanuèle Bernheim pour Vendredi soir)-, le cinéma sensitif de Claire Denis balaie toute contrainte grammaticale et réinvente un langage à la fois pictural et harmonique, bouleversant l’espace et les fuseaux horaires. De Paris à Marseille, de New York à Djibouti, ses villes insolites deviennent à leur tour des personnages. Construite à partir de blocs temporels et de fragments éphémères, son oeuvre parfaitement ciselée privilégie la contemplation; il s’agit moins de comprendre que d’éprouver physiquement une émotion, un sentiment. Avide de nouvelles expérimentations, Claire Denis s’adapte à tous les formats et travaille aussi bien pour le cinéma que la télévision, la fiction et le documentaire. Vers Nancy, l’un des huit courts de Ten Minutes Older: The Cello commandé à plusieurs cinéastes, montre le philosophe Jean-Luc Nancy s’entretenir avec l’une de ses étudiantes. Le sujet? L’étranger.

Danielle Chou


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Les Noces Rebelles
Sam Mendes



Des vies pétrifiées

April et Frank Wheeler fument comme des cheminées et boivent comme des poissons. Chaque matin, Frank (Leonardo DiCaprio) se mêle à la cohorte des employés, costume, chapeau, chemise blanche amidonnée, déversés par les trains de banlieue sur Manhattan, puis rejoint le bureau où il s'ennuie, dans la société même qui naguère employait son père. Le soir, il retrouve April (Kate Winslet), et le Martini coule à flots dans le salon de leur maison sur «Revolutionary Road» (titre original du roman de Richard Yates), qu'éclaire une magnifique «Fenêtre panoramique» (titre de la traduction française, chez Robert Laffont). Le livre, paru en 1961, se situe dans les années 1950, que le film de Sam Mendes s'applique à recréer telles que la littérature américaine d'alors et quelques rares films d'aujourd'hui («Loin du paradis», de Todd Haynes) les ont dessinées.

Plus près de la fiction que de la réalité, donc, ce qui ne signifie nullement que le monde et les comportements décrits ne soient pas vrais. Au contraire. Entre routine au quotidien et rêves fugaces, c'est là que les Wheeler s'embourbent. April en a conscience, qui voulut un temps devenir actrice et qui au soir d'une représentation ratée de «la Forêt pétrifiée» renonça, pour se consacrer à son foyer, à son mari. Lequel se pétrifie à son tour, ses vêtements sont gris, son teint même semble de lave, il ne s'anime guère que pour séduire la secrétaire avec laquelle il s'enverra en l'air, tandis que sa femme s'obstine à rêver pour lui, pour eux.

Adultère l'après-midi, mensonges et fanfaronnades pour lui, qui pourrait bien verser dans l'hystérie, coup tiré vite fait dans la voiture avec un ami du couple et silence pour elle, c'est à croire que les pôles masculin et féminin trouveraient à s'inverser, ce à quoi songe peut-être April quand elle envisage qu'ils partent pour Paris, là-bas elle travaillera pour lui donner le temps de savoir celui qu'il veut être. Mais non, il est ce qu'il est, rien d'autre, il s'enfonce doucement, et April bovaryse. Leurs enfants ne comptent pas, ou si peu, seul le fils (composition saisissante d'un certain Mchael Shannon) de celle qui leur a trouvé la maison (Kathy Bates) semble se former sur l'existence des opinions qu'il a l'audace d'exprimer, mais il est «dérangé», personne ne l'écoute, tout le monde fait comme le père du garçon, qui coupe son Sonotone quand le bavardage de sa femme lui devient insupportable.

Leonardo DiCaprio possède le côté lisse de celui que rien n'atteint vraiment et ne paraît pas chercher à griffer la surface de son personnage, c'est un choix d'interprétation possible. En revanche, Kate Winslet s'empare d'April à bras-le-corps, elle la bouscule et la torture, sa bouche se tord et ses yeux se perdent, entraînant vers la tragédie un film que son partenaire semble par instants tenté de tirer vers la caricature. Entre les deux, là encore, c'est aussi ce qui fait la force des «Noces rebelles», titre incompréhensible, April et Frank Wheeler ne sont pas des rebelles. Ce qu'April paiera au prix fort, qui en deux heures de film passe du printemps à l'automne sans connaître l'été.

L'hiver est venu pour M. Jean, qui depuis sa ferme de Lozère téléphone à un ami, lequel, comme lui, endure les conséquences d'un mariage avec une femme venue de loin. Raphaël Mathié filme Jean Barrès à la bonne distance et dans le respect de la durée nécessaire, tournant ainsi une nouvelle page du livre de la campagne française saisie par le cinéma. Quand une jeune femme se présente pour reprendre l'exploitation, la douleur se révèle, désarroi et lucidité mêlées. Son épouse camerounaise est partie, il n'a plus personne, M. Jean est seul, «Dernière Saison» est un beau film simple.
Pascal Mérigeau




Elle aurait pu couler à pic après le raz de marée Titanic. Elle a réalisé un parcours risqué, et sans faute. Avec deux films cette année, dont les impressionnantes Noces rebelles, de son mari, Sam Mendes, l'actrice britannique revient au sommet.



On ne sort pas indemne de la projection des Noces rebelles. On imagine que pour les acteurs l'expérience s'est révélée encore plus violente.
C'est vrai. April a été incroyablement difficile à jouer. Je suis plus positive et plus forte qu'elle. Quand quelque chose ne va pas dans ma vie, il faut que je le change tout de suite. Mais sa sincérité, son exigence, je les comprends. Lorsqu'elle lance à son mari : « On ne peut pas se mentir en disant que cette vie est celle dont nous avions rêvé », c'est terrible, et ça nous parle à tous.

C'était difficile de quitter April ?
Oh, oui ! J'aimerais pouvoir redevenir moi-même d'un claquement de doigts après un tournage, mais j'en suis incapable. C'est comme si je réchappais d'un grave accident de voiture et que j'avais besoin de comprendre ce qui venait de se produire. Quand je quitte un personnage, je dois analyser la transe par laquelle je suis passée. Et puis j'aime tellement les femmes que j'ai interprétées qu'il me faut plusieurs mois pour leur dire adieu.

Avec l'expérience, cette période de deuil n'est-elle pas moins longue ?
Non, c'est de pire en pire, au contraire. Heureusement, mes enfants ne se rendent pas compte de ce qui m'arrive...
Mais votre mari, Sam Mendes, si.
Oui, et il est d'un soutien fantastique. Sam peut lire chacune de mes émotions. Quand il sent que j'ai besoin d'être seule, il le respecte, et s'arrange pour discrètement abandonner une tasse de thé ou mon paquet de tabac à côté de moi. Si je fonds en larmes, il me prend dans ses bras, me dit que ce n'est pas grave et qu'il m'aime... Il sait que je dois en passer par là pour « revenir ».


Les Noces rebelles marquent vos retrouvailles avec Leonardo DiCaprio, douze ans après Titanic. C'est vous qui avez eu l'idée de l'associer au projet. A-t-il été difficile à convaincre ?
Non, mais il a fallu un peu de temps. Leo et moi ne fonctionnons pas du tout de la même manière quand il s'agit de choisir nos films. Je marche à l'instinct. Lui exige une longue période de réflexion avant de s'engager. Il a donc fallu que je sois patiente, que je me retienne de l'appeler tous les jours en lui disant : « Allez, dis oui ! » J'ai vraiment dû prendre sur moi. Une fois que Sam a accepté de mettre en scène le film, en revanche, tout s'est enchaîné très vite : Leo a signé, et deux mois plus tard le tournage commençait.

Qu'avez-vous appris de votre ami que vous ne saviez déjà ?
Rien, sinon la confirmation de l'immensité de son talent. Leo, pour moi, est vraiment le meilleur de sa génération. Sur le plateau, c'était fascinant de le voir repousser ses limites comme jamais il ne l'avait fait auparavant. Je lui disais souvent : « Leo, ce que tu viens de faire là, c'est incroyable. » Leo et moi sommes faits de la même étoffe : nous avons commencé très jeunes, nous n'avons pas appris notre métier dans des cours de théâtre. Nous avons tourné dans un film qui a fait date...

Justement, c'est différent, la « deuxième fois » ?
C'est plus intense ! Sur Titanic, nous étions entourés de tout un tas d'acteurs, d'effets spéciaux, de décors monumentaux. Tandis que cette fois-ci nous étions face à nous-mêmes. J'étais d'ailleurs beaucoup plus proche de lui que de Sam sur le plateau. Si je devais masser les épaules d'un homme entre les prises, c'était plutôt celles de Leo. [Rires.]

Vous évoquiez votre formation peu académique. Pensez-vous que l'on puisse réellement apprendre le métier d'acteur à l'école ?
Maintenant, non. Mais j'ai traversé une période, entre 17 et 24 ans, où je me suis posé beaucoup de questions par rapport à ça. Je complexais un peu de ne pas connaître les classiques par coeur. Il m'arrivait de me trouver mauvaise, de me demander si j'avais ma place. Et puis j'ai vu que je continuais à être la « bienvenue » dans le milieu, à recevoir des scénarios. Je me suis alors dit que je faisais peut-être quelque chose de bien. Que l'expérience que je vivais chaque jour devant les caméras, les étudiants rêvaient peut-être de la vivre.


Vous vous montrez sous un jour très glamour dans Les Noces rebelles. Cela vous ennuie que la question de votre silhouette, qui refuse l'ultramaigreur imposée par Hollywood, revienne souvent dans les interviews ?
Oui, ça m'ennuie, mais je le comprends. Depuis Titanic, je suis observée par les médias, je le sais, et je n'y attache aucune importance. Je n'ai pas suivi de régime pour être telle que je suis. Je ne me surveille pas particulièrement, je ne suis pas une accro au sport. J'ai été plantureuse, je le suis moins depuis que j'ai des enfants. Les gens semblent étonnés et croient voir là une métamorphose. Mais je ne suis pas plus glamour qu'avant. Je suis simplement plus âgée.

En quinze ans de métier, qu'avez-vous appris d'essentiel ?
J'apprends constamment. Mais la principale leçon, c'est qu'il n'y a aucune règle quand on est acteur. Il ne faut pas qu'il y en ait. Il n'y a pas une façon juste de jouer une scène, par exemple, et une autre mauvaise. Il existe une infinité d'interprétations possibles. J'ai appris aussi qu'il fallait être prêt à perdre le contrôle de soi-même. Il ne faut avoir peur de rien.

Mais cette intrépidité, vous l'avez toujours eue. Vous êtes l'une des rares actrices de votre génération à ne pas refuser la nudité, par exemple.
Oui, je crois que la peur peut vraiment, pardonnez mon langage, vous foutre en l'air. J'ai toujours cherché à dépasser la mienne.
Autre singularité dans ce milieu très policé, vous jurez beaucoup...
C'est vrai, mais de moins en moins, je vous assure. [Rires.] J'essaie de me maîtriser pour mes enfants, et surtout pour ma mère. Chaque fois qu'elle m'entend dire un gros mot, elle est dans tous ses états.
Plus sérieusement, vous avez été nommée cinq fois aux Oscars, en vain. Avec Le Liseur et Les Noces rebelles, on voit mal comment la précieuse statuette pourrait vous échapper cette année.
C'est si difficile de répondre... Je n'ai jamais cherché à être meilleure ou plus célèbre que qui que ce soit. Je le dis souvent à mes enfants : ce qui est important, c'est donner le meilleur de soi-même. Cela dit, c'est vrai que ces deux films comptent énormément pour moi. Deux rôles comme ça, on a une chance incroyable si on les reçoit dans une carrière. Alors, au cours de la même année ! Disons que je croise les doigts...

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Le Petit Fugitif
Morris Engel, Ruth Orkin et Ray Ashley


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